Introduction

Les cultures vivaces sensibles comme les vignes et les arbres à fruits tendres peuvent subir des dommages irréversibles qui entraînent des anomalies ou la mort de cellules végétales quand leurs tissus sont exposés à des températures inférieures à des valeurs critiques. Ces dommages peuvent être évités par le recours à des éoliennes.

Les premières éoliennes installées dans un but de protection des cultures l’ont été dans la péninsule du Niagara à la fin des années 1990. On en compte aujourd’hui près de 500 à la grandeur de l’Ontario.

À l’automne 2009, a pris fin un projet de recherche sur quatre ans mené à la ferme dans la péninsule du Niagara dans le but d’établir des pratiques de gestion optimales applicables aux éoliennes et à leur utilisation.

Mode de fonctionnement des éoliennes

L’éolienne bipale dont il est ici question est un ventilateur fixe, très haut qui est mû par un moteur et qui, durant des épisodes de fortes inversions de températures, rabat au sol l’air plus chaud qui se trouve à au moins 15 m au-dessus du niveau du sol et chasse et remplace ce faisant l’air froid qui se trouve au ras des cultures à protéger. Elle permet ainsi d’élever la température de l’air au ras de cultures vivaces sensibles comme la vigne (figure 1). Ces éoliennes ne servent pas à la conversion de l’énergie éolienne.

Figure 1 : Photo d’une éolienne installée dans un vignoble avec, en arrière-plan, l’Escarpement du Niagara à la fin de l’automne. L’éolienne possède un mât de 10 mètres de haut et deux pales longues de 3 mètres chacune.
Figure 1. Le recours aux éoliennes est un moyen de protéger les cultures horticoles des dommages causés par le froid.

À une échelle microscopique, les éoliennes détruisent les frontières des couches d’air sus-jacentes aux cultures, améliorant ainsi le transfert de chaleur sensible de l’air vers les végétaux. Ces appareils transfèrent la chaleur par convection forcée. En plus de la rotation des pales, l’ensemble du rotor effectue une rotation autour de l’axe vertical du mât. Ainsi, l’air est-il poussé vers le Nord, l’Est, le Sud, l’Ouest et à nouveau vers le Nord entre 4,5 et 6,5 minutes plus tard, selon le type d’appareil (figure 2). La superficie protégée représente 3-5 ha, selon la topographie, la forme du champ, l’importance de l’inversion de températures, le moment de l’année et la dérive attribuable à la brise. Si l’éolienne effectue cette rotation horizontale trop lentement, il arrive que l’air froid se dépose à nouveau sur les cultures ou que celles-ci soient endommagées par des courants d’air provenant de zones plus froides situées en amont de l’appareil par rapport au vent. Quand l’air descend jusqu’aux températures critiques, les dommages peuvent survenir assez rapidement.

Figure 2 : Schéma d’une éolienne bipale montrant la rotation des pales et celle de l’ensemble du rotor autour de l’axe vertical du mât. Le fonctionnement de cette éolienne s’apparente à celui d’un ventilateur portatif qui pousse l’air droit devant, mais qui pivote sur lui-même, propulsant éventuellement l’air dans toutes les directions à l’intérieur d’une pièce.
Figure 2. Les éoliennes rabattent au sol l’air plus chaud qui se trouve à bonne hauteur de la culture tout en chassant et en remplaçant l’air froid qui se trouve au ras des cultures à protéger.

Inversions de températures

Les inversions de températures sont fortes quand la température de l’air à 20 m au-dessus du champ est d’au moins 3 ˚C plus élevée qu’au ras du sol, c.-à-d. à environ 0,625 m au-dessus du sol. Il se produit de fortes inversions de températures de rayonnement la nuit pendant les périodes où les éoliennes fonctionnent dans la péninsule du Niagara, lorsque le ciel est clair et étoilé, mais que les déplacements d’air sont minimes. Des inversions de températures pouvant aller jusqu’à 10 ˚C ont été observées dans le cadre du projet de recherche.

Pour que des inversions se produisent, le vent doit souffler à moins de 7 km/h; pour que les inversions de températures se dissipent, il faut que les vents soufflent à plus de 7 km/h. C’est que les vents assurent le mélange de l’air qui se trouve en hauteur avec celui qui se trouve au ras du sol. C’est un peu comme le ventilateur d’une installation de chauffage domestique qui brasse l’air dans toute la maison afin de maintenir la température plus uniforme. Quand la ventilation s’arrête, l’air se stratifie; l’air plus froid et plus lourd reste au sous-sol et l’air plus chaud et plus léger s’élève et reste à l’étage. Les éoliennes permettent de réchauffer l’air au ras des végétaux en réduisant du tiers ou de la moitié environ l’écart représentant l’inversion de températures.

Les températures de l’air dans un champ sont souvent très différentes des températures annoncées par les prévisions locales ou régionales. Les prévisions ne renseignent pas sur les températures de l’air si près des cultures ni dans les terres basses où l’air est souvent plus froid. Il peut être difficile de déterminer avec précision s’il y a lieu de faire fonctionner une éolienne et à quel moment le faire, car à la tombée du jour ou au lever du soleil, les températures de l’air peuvent s’abaisser brutalement de nombreux degrés en une heure.

Influence sur les températures de l’air au ras du sol

Le démarrage d’une éolienne a des effets quasi-instantanés sur les températures de l’air au ras du sol, sous réserve de légères variations de températures dans la zone d’influence. Voir le tableau 1. On remarque une forte inversion de températures de 4,8 °C à 2 h 25 du matin au moment du démarrage de l’éolienne (6,2-1,4 °C = 4,8 °C), tandis que la température de l’air à 20 m au-dessus du vignoble est restée presque constante, ce qui est révélateur de ce qui peut être considéré comme étant un océan d’air doux à bonne hauteur des plants.

Tableau 1. Températures de l’air mesurées en temps réel sur 30 minutes, avant et après le démarrage d’une éolienne, pendant un épisode de gel potentiel au printemps dans un vignoble situé au sud-est de Virgil (péninsule du Niagara), le 18 mai 2009.
HeureÉtat de l’éolienneTempérature de l’air à 20 m de hauteurTempérature de l’air au ras des vignes à 115 m au nord de l’éolienne
2 h 20Arrêt6,1 °C1,5 °C
2 h 25Démarrage6,2 °C1,4 °C
2 h 30Marche6,1 °C1,5 °C
2 h 35Marche5,8 °C1,7 °C
2 h 40Marche5,8 °C2,0 °C
2 h 45Marche6,1 °C2,2 °C
2 h 50Marche6,0 °C2,5 °C

Sous l’effet d’un vent léger du Sud-Ouest soufflant à 4-5 km/h, une élévation de températures plus accentuée s’est produite au Nord-Est (en aval de l’éolienne), alors que l’élévation de températures a été plus lente dans la portion sud-ouest (en amont de l’éolienne). La superficie de la zone d’influence d’une éolienne dépend à la fois de la topographie du terrain et de la direction et de la vitesse du vent. En effet, les masses d’air froid se déplacent vers le bas d’une pente comme de la mélasse froide.

Bruit engendré par les éoliennes

Souvent, le bruit que font les éoliennes gênent les voisins. Il est difficile de rendre les éoliennes plus silencieuses, car ces appareils ont besoin de moteurs puissants pour tourner rapidement et de longues pales pour propulser l’air sur une longue distance. Le bruit vient du moteur et des pales. Comme ce type d’éolienne effectue en quelques minutes une rotation de 360˚autour du mât, l’intensité sonore perçue oscille suivant une courbe sinusoïdale. Pour certaines personnes, l’expectative d’une recrudescence du bruit constitue un irritant (figure 3).

Figure 3 : Graphique indiquant le niveau sonore de l’éolienne (en décibels), sur l’axe des y, en fonction du temps nécessaire à une révolution complète (en minutes), sur l’axe des x. Le graphique présente une courbe sinusoïdale qui indique que le niveau sonore varie en fonction du temps et qu’il s’élève et s’abaisse successivement selon la direction dans laquelle l’éolienne souffle l’air.
Figure 3. Les voisins perçoivent le bruit produit par l’éolienne suivant une courbe sinusoïdale selon la position des pales par rapport au mât. Pour le récepteur (voisin), l’intensité sonore perçue est maximale quand l’éolienne pousse l’air en direction opposée à celle où il se trouve. Elle est encore forte, mais l’est un peu moins, quand l’éolienne pousse l’air en sa direction. Enfin, elle est beaucoup moins forte quand l’éolienne pousse l’air à 90° par rapport à sa position.

En diminuant la vitesse de rotation des pales, on réduit le bruit produit par l’éolienne, mais celle-ci pousse alors l’air moins loin, ce qui oblige à installer davantage d’appareils pour couvrir la même superficie.

Malheureusement, quand les éoliennes fonctionnent au printemps, à l’automne ou durant l’hiver, c’est en général en pleine nuit, quand tout est très calme à la campagne et qu’on ne peut plus compter sur le bruit de la circulation automobile ni parfois même sur le bruit du vent pour masquer celui de l’éolienne. La dispersion du bruit produit par les éoliennes se trouve aussi compliquée et influencée par des conditions extérieures comme :

  • l’absence de feuillage sur les pieds de vigne, d’herbe au sol ou de feuilles dans les boisés qui, autrement, feutreraient le bruit;
  • l’inversion de températures qui amène le son à se répercuter contre la couche d’air plus doux et à être redirigé vers le sol;
  • la surface du sol dure, gelée et non absorbante durant l’hiver, qui permet aux ondes sonores de se propager facilement;
  • le fait que le son est produit en hauteur, ce qui lui permet de se propager sur de grandes distances;
  • le fonctionnement simultané de nombreux appareils;
  • la faible humidité relative de l’air froid.

Parmi les conditions à l’intérieur des maisons qui sont sources de complications du fait qu’elles permettent aux ondes sonores de pénétrer ou d’être amplifiées, mentionnons les pièces vastes, les grandes fenêtres, les revêtements de sol durs et les charpentes légères. Le bruit produit par une éolienne est en général moins incommodant dans les petites pièces dont le sol est revêtu de moquette, dans les maisons dont les murs sont épais et dans les parties de la maison qui se situent du côté opposé à celui de l’éolienne ou encore au sous-sol. Parfois, le son est partiellement masqué à l’intérieur d’une maison, en présence d’un bruit blanc, comme le son d’une radio, d’un téléviseur ou d’un ventilateur.

Les pales des éoliennes produisent des vibrations acoustiques de l’ordre des infrasons, c.-à-d. de fréquence basse, qui se propagent sur de grandes distances et peuvent pénétrer dans les éléments des bâtiments résidentiels. Ces vibrations s’apparentent à celles que produisent les basses en musique et qu’on ressent même sans entendre la musique d’un voisin qui fait jouer sa chaîne stéréo.

Pratique agricole normale

Le producteur est protégé des plaintes pour nuisance sonore des voisins s’il respecte des pratiques agricoles normales. Seule la Commission de protection des pratiques agricoles normales est à même de déterminer si une pratique agricole est normale. Il s’agit d’une commission administrative quasi-judiciaire constituée de membres n’appartenant pas à la fonction publique, qui sont nommés par le Gouvernement de l’Ontario en vertu de la Loi de 1998 sur la protection de l’agriculture et de la production alimentaire.

Conformément à cette loi, « pratique agricole normale » se définit comme étant une pratique qui, selon le cas :

  • est exécutée conformément à des coutumes et à des normes adéquates et acceptables, telles qu’elles sont établies et respectées à l’égard d’exploitations agricoles comparables dans des circonstances similaires;
  • utilise des technologies novatrices conformément à des pratiques de gestion agricole modernes et adéquates.

Pratiques de gestion optimales applicables aux éoliennes

Voici une liste de pratiques de gestion optimales que les viticulteurs devraient mettre en œuvre pour utiliser plus efficacement les éoliennes et réduire au minimum le bruit qu’elles produisent.

Rusticité des cultures

  • Conduire les cultures de manière à leur garantir un niveau de santé optimal pour affronter l’hiver.
  • Faire reposer les décisions d’utiliser une éolienne sur les données les plus à jour sur la résistance des végétaux au froid et sur les températures critiques.

Emplacement des éoliennes

  • Choisir l’emplacement des éoliennes en tenant compte de l’effet prévisible que la topographie et la direction des vents peuvent avoir sur leur zone d’influence.
  • Choisir l’emplacement des éoliennes en tenant compte de l’emplacement d’éoliennes adjacentes et d’éléments du paysage de nature à assurer une protection supplémentaire contre le froid, comme des routes, des bâtiments chauffés, des cours d’eau ou des boisés.
  • Envisager d’installer les cultures les plus sensibles au froid aussi loin que possible des voisins, de façon à éloigner les éoliennes des habitations.

Surveillance

  • Se fier aux prévisions météorologiques locales les plus précises.
  • Faire une surveillance constante afin de détecter les inversions de températures supérieures à 3 ˚C à la ferme ou à proximité de celle-ci, afin de décider de la pertinence de faire fonctionner l’éolienne ou les éoliennes. Cette surveillance oblige à se doter d’une tour d’au moins 10 m de haut qui permet de recueillir des données de température au-dessus des cultures.
  • Veiller à ce que le démarrage automatique des éoliennes se fasse en fonction des lectures de capteurs thermiques situés sous le fil de palissage dans un rayon de 15 m de l’appareil.
  • Surveiller et automatiser le démarrage, le fonctionnement et l’arrêt des éoliennes à l’aide d’une combinaison de capteurs détectant à distance en temps réel les températures, la vitesse du vent et le fonctionnement des éoliennes et assurer un suivi à l’aide de téléphones cellulaires, d’ordinateurs, de téléavertisseurs, etc.
  • Régler les températures de démarrage aussi près que possible des températures critiques attendues :
    • Gel printanier : 2-3 °C;
    • Gel automnal : 1-2 °C;
    • Hiver : températures variables selon les données les plus récentes sur la rusticité des bourgeons, tirées d’essais locaux sur le gel.
  • Régler le différentiel (écart entre les températures de démarrage et d’arrêt des éoliennes) de sorte que la température d’arrêt soit supérieure de 2-3 °C à la température de démarrage.

Vent

  • S’abstenir de faire fonctionner les éoliennes si les vents dépassent de beaucoup 7 km/h, car il est alors peu probable qu’il y ait une forte inversion de températures ou qu’il y ait une couche d’air plus doux au-dessus de la culture.
  • S’abstenir de faire fonctionner les éoliennes si les vents soufflent à 13 km/h ou plus, sous peine d’endommager leurs pales longues et fines.
  • Ne jamais faire fonctionner les éoliennes si les vents soufflent à 21 km/h ou plus, sous peine de les endommager gravement.

Entretien

  • Conserver les éoliennes dans un bon état d’entretien par une révision annuelle comportant la vidange d’huile de la boîte de vitesse (à la base et au sommet du mât), la lubrification des mécanismes, l’inspection des joints d’étanchéité, le resserrement des écrous et boulons, l’inspection des pales et des pièces qui les tiennent et l’entretien périodique du moteur. Conserver des câbles de démarrage à portée de main pour y avoir accès rapidement au besoin.

Bruit

  • Situer les éoliennes aussi loin que possible des habitations voisines au sein des zones agricoles et jamais à moins de 125 m, sauf si des pratiques de gestion optimales ont été mises en place.
  • Expliquer aux voisins qui vivent à moins de 125 m d’une éolienne comment celle-ci fonctionne et quelle en est la raison d’être; envisager de mettre en place un système qui permette d’avertir à l’avance les voisins de l’usage possible des éoliennes; leur donner un numéro de téléphone cellulaire qu’ils peuvent appeler jour et nuit; faire démarrer en dernier et arrêter en premier les éoliennes les plus proches des voisins.
  • Prendre toutes les précautions voulues si des éoliennes sont utilisées sur des terres distantes de la ferme, car l’on n’est alors pas toujours présent pour entendre si les éoliennes fonctionnent et comment elles fonctionnent.
  • Installer des silencieux sur tous les moteurs d’éoliennes.

Formation continue

Former tous les employés qui s’occupent des éoliennes et les tenir à jour sur les pratiques de gestion optimales, afin que ces appareils fonctionnent le moins souvent possible.

La version anglaise de la présente fiche technique a été rédigée par Hugh Fraser, ingénieur (retraité), Protection des cultures horticoles et manutention après récolte, MAAARO; mais elle est le fruit d’un effort collectif par les membres de l’équipe de recherche : Ken Slingerland (retraité), spécialiste de la culture des fruits tendres et du raisin, MAAARO; Kevin Ker et Ryan Brewster, KCMS Consultants, Fenwick; et Helen Fisher, scientifique, Recherche sur les vignes, Université de Guelph, Vineland.