Introduction

La mise en réserve consiste à laisser une partie du foin ou des cultures de pâture sur pied pour les faire brouter en automne et en hiver une fois que la croissance des fourrages s'est arrêtée. Le fait de mettre ainsi des fourrages en réserve dans des zones dites de mise en défens temporaire constitue l'une de plusieurs techniques destinées à prolonger la période de paissance.

La mise en réserve des fourrages vise avant tout à réduire les coûts des aliments du bétail et de leur distribution. Pour chaque semaine de prolongation de la saison de pâturage, le total des coûts annuels de l'alimentation d'un animal nourri de fourrage (c.-à-d. brebis ou bovin de boucherie) se trouve réduit d'environ 1 %. Cette économie provient essentiellement de l'élimination des coûts de machinerie, de main-d'œuvre et autres rendue possible lorsque le fourrage est brouté plutôt que récolté comme foin ou ensilage. Sans compter que la simple présence des animaux dans le champ permet aux éléments nutritifs d'être retournés au sol, sans qu'il faille engager de coûts pour la récupération et l'épandage du fumier.

Gestion de la mise en réserve des fourrages

Le facteur de gestion le plus important dans la détermination de la quantité de fourrage qui sera mis en réserve en vue du pâturage d'automne est la date de mise en défens estivale. Il s'agit de la date à laquelle les animaux sont retirés d'un pâturage afin de laisser la chance à l'herbe de repousser et d'être à nouveau broutée en automne et en hiver. Dans le cas d'un champ de foin, il s'agit de la date à laquelle la dernière culture fourragère (foin ou ensilage) a été récoltée. Plus une zone est interdite au pâturage tôt dans la saison, plus le rendement du pâturage sera élevé à l'automne (figure 1). À New Liskeard, le pâturage qui a été mis en défens après la mi-juillet a procuré un rendement de 4500 kg/ha (4050 lb/acre) à l'automne (octobre et novembre), tandis que des pâturages semblables mis en réserve après la mi-août ont produit un rendement de seulement 2600 kg/ha (2340 lb/acre). Par contre, plus les dates de mise en défens estivales sont avancées, plus la qualité du pâturage automnal diminue (figure 2). L'analyse du pâturage mentionné plus haut qui a été mis en défens à la mi-juillet révèle des teneurs à l'automne de 10,3 % en protéines brutes et de 58,5 % en unités nutritives totales (U.N.T.). Les teneurs respectives en protéines brutes et en U.N.T. du pâturage mis en défens à la mi-août étaient quant à elles à l'automne de 14,7 % et de 63,4 % respectivement.

Image
Figure 1. Rendement du pâturage à l'automne en fonction de la date de mise en défens estivale.

Texte en format accessible

Le rapport rendement-qualité du pâturage mis en réserve s'apparente à celui de la première coupe de foin; plus longtemps on laisse la chance à la culture de pousser, plus le rendement est grand, mais plus la qualité diminue. Ce rapport est utile au producteur, étant donné qu'un programme de gestion de la mise en réserve des fourrages peut viser à produire une combinaison de rendement et de qualité optimale compte tenu des animaux qui seront mis au pâturage à l'automne. Par exemple, un producteur qui souhaite faire brouter des vaches de boucherie taries en novembre et décembre aurait recours à un programme de gestion axé sur l'obtention d'un maximum de rendement et d'une qualité tout juste suffisante au maintien d'une vache tarie. Un producteur désireux de mettre au pâturage à l'automne des veaux ou des agneaux sevrés s'accommoderait quant à lui d'un rendement inférieur pour s'assurer de la plus haute qualité de pâturage possible pour cette catégorie d'animaux.

La conduite des pâturages préalable à la mise en défens du pâturage peut varier considérablement d'une ferme à l'autre. Ainsi, pour obtenir des rendements très élevés à l'automne, on peut faire une seule coupe de foin ou d'ensilage au début de juillet et ne pas y toucher avant l'automne. Dans d'autres cas, on peut faire une coupe de foin (ou d'ensilage) et procéder à une ou deux périodes de paissance avant d'amorcer la période de repos, ou plusieurs périodes de paissance avant la période de repos. Cette conduite préalable varie selon la quantité et le type d'aliments en stock pour l'hiver et le type d'animaux à laisser brouter à l'automne. Il ne faut pas perdre de vue que toute superficie consacrée à des cultures fourragères, et non seulement celles qui sont des pâturages permanents, peut servir de zone de pâturage automnal.

Image
Figure 2. Teneurs en protéines des fourrages à l'automne en fonction de la date de mise en défens estivale.

Texte en format accessible

Espèces fourragères

On peut mettre en réserve toute espèce de graminée fourragère. Toutefois, certaines espèces conviennent mieux à certains programmes. Par exemple, les espèces qui ont tendance à repousser plus lentement, comme le brome et la fléole des prés sont mieux adaptées aux programmes dans lesquels la période de repos estivale commence tôt et la période allouée à la repousse est longue. Ces espèces offrent normalement une ou deux coupes (foin, ensilage ou pâturage) avant la date de mise en défens estivale, qui survient au cours du mois de juillet. Les graminées qui repoussent rapidement comme le dactyle pelotonné et le brome des prés conviennent davantage à des intervalles de repousse plus courts avant la mise au pâturage d'automne. Ces espèces offrent normalement trois ou quatre périodes de pâturage ou une coupe de fourrage entreposé plus deux périodes de pâturage avant la date de mise en défens estivale qui se situe, selon l'endroit, entre la fin de juillet et le début de septembre. L'alpiste roseau a une repousse moyenne par rapport aux espèces mentionnées ci-dessus et a tendance à convenir davantage aux périodes de récupération de longues à moyennes. La fétuque élevée a un regain rapide (presque aussi rapide que celui du dactyle pelotonné), mais convient à des périodes de récupération soit longues, soit courtes. La fétuque élevée offre en outre l'avantage d'avoir à la fin de l'automne (novembre) des teneurs en U.N.T. (énergie) plus élevées que les autres herbes de pâturage. Pour ce qui est des pâturages de pâturin, on doit prévoir une période de repos moyenne afin de permettre aux racines de se renforcer et aux plants d'atteindre un volume suffisant pour le broutage automnal.

Il est important de tenir compte des habitudes de croissance des plantes lorsqu'on décide du type de conduite à pratiquer. Les graminées qui ne forment pas une tige véritable quand elles repoussent, comme le dactyle pelotonné et le brome des prés, ont tendance à verser et à se faire de l'ombre lorsque la repousse est excessive. Une courte période de récupération convient mieux à ces espèces. Les graminées qui forment une tige en repoussant et qui se tiennent plus à la verticale, comme la fétuque élevée, l'alpiste roseau et le brome inerme, résistent mieux à la verse à la suite des pluies automnales et des averses de neige. Lorsqu'on recherche des périodes de repousse longues, il vaut mieux opter pour des espèces qui résistent à la verse.

Fertilité du sol

Dans tous les cas, les épandages de phosphore et de potassium doivent être fonction des résultats des analyses de sol du MAAO et des recommandations fournies par un laboratoire accrédité. Des suppléments d'azote peuvent être profitables, même si la réaction à l'apport d'azote sur des parcelles fauchées et broutées est variable. Sur les pâturages riches en matière organique, l'apport de 50 kg d'azote réel/ha (45 lb/acre) au cours de l'été ne donnerait que peu de résultats. Par ailleurs, avant d'envisager d'épandre de l'azote au cours de l'été, on doit s'assurer que le sol est suffisamment humide pour que l'azote puisse être absorbé par les plantes.

Choix du moment de la mise au pâturage

Le fourrage mis en réserve peut être utilisé en tout temps lorsque le besoin s'en fait sentir et que les conditions de sol se prêtent à la mise au pâturage. C'est normalement vers septembre ou octobre qu'on déplace les animaux des zones de pâturage habituelles vers les zones de mise en réserve du pâturage. Le broutage peut se poursuivre jusqu'en décembre dans la plupart des régions de l'Ontario ou tant que l'épaisseur de la couche de neige n'empêche pas les animaux de brouter. Le fourrage mis en réserve peut aussi être laissé dans le champ jusqu'au printemps ou jusqu'à ce qu'une période de redoux à la mi-hiver fasse fondre suffisamment de neige pour permettre aux animaux de brouter à nouveau.

Les automnes pluvieux, marqués par des épisodes successifs de gel et de dégel, entraînent une réduction du rendement du fourrage mis en réserve. La qualité du fourrage diminue également lorsque l'automne est pluvieux. Selon les données accumulées à New Liskeard, le rendement des fourrages mis en réserve diminue d'environ 3-5 % pendant le mois d'octobre, mais cette diminution varie énormément en fonction du temps. À New Liskeard, la teneur en protéines brutes a chuté d'environ 30 % entre le début de septembre et le début de novembre, mais les concentrations d'U.N.T. n'ont diminué que de 5-10 % au cours de la même période (tableau 1).

Tableau 1. Incidence de la date de mise en défens estivale et de la date de récolte automnale sur la qualité d'un pâturage de graminées mis en réserve (moyenne de 1994 à 1996)

 

Protéines brutes (%)
Date de mise en défens estivale
Unités nutritives totales (%)
Date de mise en défens estivale
Date de récolte d'automneDébut juilletFin juilletDébut juilletFin juillet
1er septembre12,718,461,164,8
1er octobre10,915,959,764,0
1er novembre8,912,155,561,7

Rendement des animaux

Dans une recherche effectuée à New Liskeard sur des agneaux sevrés, un pâturage mis en réserve et géré de façon à obtenir un fourrage de haute qualité et un rendement moyen a procuré des gains moyens de 126 g/tête/jour (0,28 lb/tête/jour). Ce pâturage avait une capacité porteuse de 1100 agneaux/jour/ha (440 agneaux/jour/acre), ce qui veut dire que 1100 agneaux auraient besoin de 1 ha de pâturage mis en réserve/jour. La prise de poids des agneaux a atteint un sommet en octobre et son point le plus bas à la fin novembre et en décembre. Lorsque la conduite des pâturages mis en réserve visait à produire un rendement maximal (au détriment de la qualité), la prise de poids des agneaux s'est établie en moyenne à 86 g/tête/jour (0,19 lb/tête/jour), mais la capacité porteuse du pâturage a été beaucoup plus élevée, s'établissant en moyenne à 1750 agneaux/jour/ha (700 agneaux/jour/acre).

Selon une recherche menée sur des vaches de boucherie taries (Centre de recherches sur les bovins de boucherie d'Elora et Centre de recherches en agriculture de New Liskeard), un volume important d'un fourrage mis en réserve de qualité moyenne (pâturage mis en défens à la mi-juillet) a permis d'augmenter considérablement l'épaisseur de gras dorsal, l'état général et le poids vif des animaux. Ce pâturage avait une capacité porteuse de 150 vaches/jour/ha (60 vaches/jour/acre). Les vaches taries mises au pâturage dans des conditions d'absence de neige ont affiché une prise de poids nettement supérieure à celle de leurs consœurs gardées à l'étable et nourries de foin. En présence d'un peu de neige et de conditions hivernales, les animaux au pâturage et les animaux à l'étable ont affiché sensiblement le même rendement. Certaines vaches mises au pâturage ont vu leur état se détériorer durant les périodes de climat plus rude. Dans cet essai, les vaches ayant au moins 50 % d'ascendance britannique se sont mieux comportées dans les conditions de paissance hivernales.

Le rendement des animaux est fonction de l'alimentation et de l'apport énergétique. On peut offrir au troupeau un abri économique en lui donnant un accès limité à un boisé ou en lui offrant la protection d'un brise-vent. Il est obligatoire de fournir aux animaux de quoi les protéger du vent lorsqu'ils sont mis au pâturage pendant tout l'hiver et qu'ils sont exposés à des températures froides, au vent et à la présence d'une couche de neige. À la fin de l'automne et durant l'hiver, s'assurer que le bétail broute à une distance raisonnable des zones naturellement abritées ou leur aménager des brise-vents permanents ou amovibles dans les zones de pâturage.

Conduite des pâturages

Évaluer la disponibilité des fourrages avant que la couverture de neige ne rende cette évaluation trop difficile. Si le fourrage est en quantité suffisante (au moins 1500 kg/ha ou 10-12 cm de hauteur [1350 lb/acre ou 4-5 po de hauteur]), les moutons peuvent brouter dans 5-10 cm (2-4 po) de neige relativement meuble. Les vaches quant à elles peuvent brouter même lorsque l'épaisseur de neige dépasse 15 cm (6 po). Lorsque de la neige recouvre le sol, il faut déplacer le troupeau plus souvent, mais laisser davantage de fourrage résiduel dans chaque enclos. Lorsque de la neige recouvre le sol, il faut réduire les dimensions de l'enclos étant donné que des enclos plus grands favorisent un piétinement excessif et la formation d'une croûte une fois que la neige piétinée prend en glace.

On recommande de procéder au pâturage rationné ou au pâturage tournant lorsque de la neige recouvre le sol. Comme on doit alors limiter à quelques jours (au plus une semaine) le séjour des animaux sur une parcelle, il est recommandé d'installer des clôtures temporaires. On peut installer des clôtures pour délimiter une grande superficie avant que le sol ne gèle ou installer quotidiennement ou au fil des besoins des poteaux amovibles. Sur des sols gelés, il est possible d'installer des poteaux amovibles à l'aide d'une perceuse portative sans fil qui forme un avant-trou ou en utilisant un poteau robuste se terminant en pointe qu'on enfonce dans le sol. Le succès des poteaux de plastique varie, certains pouvant fendre pendant l'installation par temps froid.

Approvisionnement en eau

L'approvisionnement en eau du bétail mis au pâturage l'automne pose un problème lorsque les températures tombent sous le point de congélation. Même en novembre, le fourrage destiné au pâturage renferme 50-70 % d'humidité. On peut transporter l'eau ou la pomper d'un étang ou d'un cours d'eau. Les moutons ont besoin de peu d'eau par temps frais et les brebis taries peuvent se contenter uniquement de fourrage mis en réserve de bonne qualité. Pour les bovins de boucherie, une source d'eau est essentielle; il peut s'agir d'eau ou de neige. Prévoir environ 20-25 L (5 gal) d'eau/jour lorsque le temps est froid (ce qui équivaut à 20-25 kg [44-55 lb] de neige).

Survie du pâturage à l'hiver

Après trois années de fauche automnale ou de broutage par des moutons, on a observé que le rendement des fourrages est demeuré le même après la récolte d'automne ou qu'il a eu tendance à être plus élevé lorsque la récolte d'automne a été faite en novembre plutôt qu'en septembre. Une recherche effectuée au Royaume-Uni et les résultats préliminaires d'une recherche menée au Centre de recherches en agriculture de New Liskeard indiquent que le rendement peut être légèrement réduit dans l'année qui suit. Pour mieux protéger la culture contre la destruction par l'hiver, on peut utiliser pour les pâturages mis en réserve des espèces rustiques comme l'alpiste roseau et le brome. Une rotation d'une année à l'autre des zones de pâturage mises en réserve réduit également les risques de destruction par l'hiver.

Le risque de dommage à la pelouse (pétrissage) est aussi à considérer. Le pétrissage est plus préoccupant dans les sols argileux ou les loams argileux que dans les sols sableux ou les loams sableux. Pour réduire le pétrissage, il faut limiter la durée de la paissance dans un même enclos. Il n'y a pas lieu de craindre le pétrissage du sol une fois que la surface est gelée. Lorsque le risque de pétrissage est grand, il est possible de retirer les animaux et de les laisser brouter temporairement une zone sacrifiée, puis de les retourner au pâturage lorsque les risques de pétrissage sont plus faibles. La compaction du sol lorsque la terre est gelée poserait un problème selon certaines études. Mais la compaction est moins préoccupante, du fait que la charge animale est beaucoup moins grande sur un pâturage brouté que sur une cour d'exercice ou une cour servant à l'alimentation du bétail.

Résumé

Le pâturage mis en réserve peut être une source de fourrage économique pour les animaux durant les mois d'automne et d'hiver. Selon les pratiques de gestion employées, le fourrage mis en réserve peut offrir des rendements élevés et une qualité moindre ou une haute qualité et un rendement inférieur. On obtient l'un ou l'autre essentiellement en jouant sur la date de mise en défens estivale. Les producteurs peuvent adapter aux besoins de leur élevage le type de fourrage mis en réserve. La conduite des pâturages mis en réserve exige que l'on pratique le pâturage rationné ou une rotation après quelques jours. Même si l'expérience ne fait pas craindre que la paissance entraîne la compaction du sol ou une plus grande destruction par l'hiver de la culture, faire preuve de prudence quand le sol est mouillé ou s'il s'agit d'un sol lourd.

Texte en format accessible

Figure 1. Rendement du pâturage à l'automne en fonction de la date de mise en défens estivale.

En 1995, le pâturage qui a été mis en défens après la mi-juillet avait un rendement de 5000 Kg/Ha. Le pâturage qui a été mis en défens après mi-août avait un rendement d'environ 2400 Kg/Ha.

En 1996 le pâturage qui a été mis en défens après mi-juillet avait un rendement d'environ 4400 Kg/Ha. Le pâturage qui a été mis en défens après mi-août avait un rendement d'environ 2600 Kg/Ha.

En 1997 le pâturage qui a été mis en défens après mi-juillet avait un rendement d'environ 4100 Kg/Ha. Le pâturage qui a été mis en défens après mi août avait un rendement d'environ 2900 Kg/Ha.

La moyenne des rendement des pâturage qui a été mis en défens après mi-juillet est 4600 Kg/Ha. La moyenne des rendement des pâturage qui a été mis en défens après mi-août est 2700 Kg/Ha.

Figure 2. Teneurs en protéines des fourrages à l'automne en fonction de la date de mise en défens estivale.

En 1995, le pâturage qui a été mis en défens après la mi-juillet était 9% proteins brutes et le pâturage qui a été mis en défens après la mi-août était 14.9% proteins brutes.

En 1996, le pâturage qui a été mis en défens après la mi-juillet était 11% proteins brutes et le pâturage qui a été mis en défens après la mi-août était 14% proteins brutes.

En 1997, le pâturage qui a été mis en défens après la mi-juillet était 13.5% proteins brutes et le pâturage qui a été mis en défens après la mi-août était 18% protein brutes.

En moyenne, le pâturage qui a été mis en défens après la mi-juillet était 12% proteins brutes et le pâturage qui a été mis en défens après la mi-août était 16% protein brutes.