Résumé

Écouter l’expérience vécue des personnes atteintes du syndrome Gilles de la Tourette (SGT) peut fournir une orientation pour des études futures. Il est cependant rare de trouver quelqu’un capable de traiter du syndrome de manière personnelle tout en ayant un point de vie de spécialiste. L’auteur, un psychologue de 35 ans lui-même atteint du SGT, fait la chronique de près de 30 ans d’expérience avec ce syndrome. Les observations sont tirées d’écrits personnels, de recherches antérieures et d’expériences cliniques avec la population cible. Un récit expérimental des sensations de pulsions prémonitoires et des tics fournit des indices sur les aspects possibles de ce trouble qui façonnent la dysrégulation neurologique sous-jacente dans la phénoménologie que nous connaissons sous le nom de SGT. Cette compréhension du SGT (appelée Incidental Associations Theory of Tic Formation) anticipe la grande utilité des thérapies comportementales. L’auteur décrit les effets d’une thérapie comportementale, les facteurs qui favorisent sa propre réussite, et termine par un aperçu de la difficulté à vivre avec le SGT et les affections associées. La théorie de l’apprentissage du rôle est proposée pour jouer dans ce trouble neurodéveloppemental et aider à démystifier le parcours, l’apparence et le traitement connus. De futures études devraient explorer plus en profondeur cette relation. Les perceptions erronées des personnes diagnostiquées diminuent avec une meilleure compréhension de l’incidence du SGT sur la vie quotidienne et les conditions associées. Les soins cliniques sont améliorés grâce à l’utilisation de la technique du renversement des habitudes (TRH). Les techniques de pleine conscience peuvent également être utiles dans le cadre d’un traitement.

MOTS CLÉS : Thérapie comportementale, expérientiel, théorie de l’apprentissage, pulsions prémonitoires, tics, syndrome Gilles de la Tourette

Des articles précédents ont démontré l’intérêt de solliciter l’opinion de personnes perspicaces et éloquentes qui sont également atteintes du syndrome Gilles de la Tourette [1,2]. Bien qu’ils soient anecdotiques, ces points de vue peuvent être utilisés pour des orientations de recherche peu susceptibles d’être envisagées sans l’avantage d’une expérience personnelle. De plus, la validité apparente perçue de nouvelles hypothèses de ces personnes peut servir de d’importantes épreuves décisives, permettant d’économiser du temps et de l’argent de la recherche. Même les gouffres entre l’expérience subjective et les données objectives sont avantageux à découvrir, car ceux-ci aussi enrichiraient probablement nos connaissances. Un patient éduqué, possédant une formation spécialisée sur son propre trouble, offre une occasion unique de compléter la position objective d’une bonne méthodologie de recherche et d’une pratique clinique fondée sur des preuves par le point de vue direct d’un individu diagnostiqué. L’une de ces personnes nous fait part de ses réflexions dans cet article. Moi-même.

Historique

Je suis un homme caucasien de 35 ans chez qui on a diagnostiqué le syndrome Gilles de la Tourette (SGT), un trouble obsessionnel-compulsif (TOC) et un trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH). J’ai commencé à présenter des tics vers l’âge de sept ans et j’ai été diagnostiqué à 19 ans. Dans ma jeunesse, mes symptômes étaient sévères, mal perçus, et je les gérais principalement avec le camouflage et la suppression. Mes symptômes ont persisté à l’âge adulte sans s’atténuer. Mon score actuel sur l’Échelle de sévérité globale des tics de Yale est de 44. Mes tics sont traités de manière comportementale, en utilisant des techniques que j’ai essayées pour la première fois à l’âge de 20 ans.

J’ai d’abord consigné mes expériences avec le SGT – en reliant mes observations au contenu de mes études - au premier cycle. Ces notes ont évolué en présentations, en chroniques de bulletins d’information, en articles de magazines et en blogues en ligne. Pendant mes études supérieures, j’ai commencé à participer à des symposiums internationaux de recherche et j’ai été actif dans diverses organisations de soutien et de défense. J’ai réalisé mes mémoires de maîtrise et de doctorat appliqués dans le domaine du SGT et des troubles associés. Ma maîtrise était une étude de psychologie sociale et se concentrait sur l’incidence de l’attitude en fonction de la réussite de l’adaptation [3]. Ma thèse a réuni l’ensemble des connaissances en neuroanatomie existantes et les principes d’apprentissage comportemental pour développer un modèle complet de formation des tics [4]. Je suis également le créateur du site Web populaire, Life’s A Twitch ! et j’ai écrit le livre, Nix Your Tics ! Eliminate Unwanted Tic Symptoms: A How-To Guide For Young People.

Je suis psychologue agréé en Ontario, au Canada, et depuis 2004, j’offre des soins tertiaires hautement spécialisés aux enfants et aux adolescents atteints du SGT complexe par l’intermédiaire du « Brake Shop » un modèle clinique que j’ai créé.

Cet article est l’apogée de chaque rôle que je joue. Mon récit combine 15 ans de formation et d’expérience professionnelles avec près de 30 ans d’expérience personnelle avec des symptômes de SGT, TOC et TDAH. Ce rapport de première main met en évidence la manière dont l’apprentissage influence probablement l’apparition et le traitement du SGT et il se termine par un aperçu de la vie avec de multiples difficultés d’autorégulation.

Phénoménologie

Les démangeaisons arrivent…

La meilleure analogie pour décrire les sensations de pulsions prémonitoires qui précèdent la plupart des tics est celle de la démangeaison.

Dire que c’est comme un éternuement implique que les tics sont une force irrépressible mise en mouvement par un chatouillement. Pourtant, les tics PEUVENT être arrêtés. D’autre part, les démangeaisons sont des choses fuyantes – résistantes, oui, mais rusées. Comme pour équilibrer un plateau rempli d’eau, la moindre hésitation de la vigilance s’étend un peu sur le côté, aggravée par les tentatives de compensation réactives.

Encore une fois, les démangeaisons arrivent…

Expliquer les pulsions prémonitoires comme étant des sensations « sensorielles » n’est pas tout à fait exact non plus : il ne s’agit pas simplement du sens tactile qui est trop intense. L’impression est celle d’une démangeaison plus profonde et plus sous-cutanée, dont la satiété est exaspérante dans son caractère insaisissable. C’est un sentiment tenace d’inachèvement, une sorte d’effet Zeigarnik amplifié [5] et multiplié par d’innombrables tâches « inachevées ».

Encore une fois, et toujours, les démangeaisons sont là…

Comme un jeune frère ou une jeune sœur qui s’ennuie et s’énerve, mes pulsions prémonitoires me suivent, veillant avec impatience sur mon épaule et me dérangeant. Leur omniprésence est grinçante; permanente, incessante et insistante. Jamais satisfaites longtemps, et m’irritant les nerfs sans répit.

Parfois, elles ont un pouls : de l’adrénaline localisée qui éclate dans ma poitrine. D’autres fois, il s’agit d’une vibration qui traverse mon corps : un malaise généralisé qui provoque des paroxysmes soudains. À d’autres moments encore, elles sont comme un feu qui couve en moi : attendant leur heure, attendant l’occasion de traverser mes défenses.

Les tics eux-mêmes sont le coup de griffe que ces pulsions exigent. Quand j’étais enfant, on m’a appris que mes démangeaisons étaient étranges et j’ai donc caché mes grattements du mieux que j’ai pu. J’ai été tourmenté par des cauchemars dans lesquels j’étais immobilisé dans une camisole de force et enfermé dans une pièce capitonnée. La nuit, tous ceux que j’aimais apprenaient mon étrange secret, se fâchaient et ne voulaient plus me voir; le jour, je faisais tout mon possible pour empêcher qu’il en soit ainsi.

Le grattement est une action volontaire, au même titre que de signer un document avec une arme à feu pointée sur ma tête. Il est choisi et utile et procure une satisfaction, oui, mais tout se joue contre moi. Je suis contraint. Criez après moi, faites-moi peur, ridiculisez-moi ou punissez-moi pour avoir fait un tic, et je cesserai probablement - au moins pour un certain temps. Mais c’est seulement parce que vous avez temporairement plus de pouvoir que moi.

Mais les tics peuvent certainement être involontaires : Je ne pouvais pas prier pour me défaire de cette pulsion, mes tentatives d’arrêter ont échoué, quel que soit le nombre de coups de poing que j’ai reçus, et je me sentais impuissant à changer les perceptions erronées de mon entourage. Cela a conduit à une alternance de sentiments d’anxiété, de colère et de dépression suicidaire. Avec le temps, ma capitulation automatique avait créé l’illusion d’une incontrôlabilité, donc d’une impuissance. Je pouvais me retenir, mais pourquoi? La détresse semblait éternelle, sans solution. Retarder son exécution n’a servi à rien d’autre qu’à prolonger ma misère. Telle est la nature du renforcement négatif [6].

Les symptômes sont également opportunistes. Chaque fois que je suis mal outillé pour porter la charge – je suis en retard, fatigué ou blessé, ils sont là, juste au bon moment. Les tics ne sont pas non plus à l’abri de profiter d’une situation – savoir que je ne dois pas faire un tic particulier à un moment donné garantit pratiquement son expression. En grandissant, cela a été interprété comme un jeu « évident » de ma part. Pour moi, c’était une persécution flagrante – d’abord d’un intérieur malveillant, puis d’un extérieur mal informé.   Pas étonnant que j’étais anxieux et paranoïaque. Un démon malveillant résidait en moi, lisant mes pensées (en particulier celles concernant ce qu’il ne faut pas faire) et les utilisant contre moi. Et pas étonnant que j’aie réagi de manière si viscérale face à mon comportement – c’était un buffet suggestif pour ce démon, un piège sadique pour lequel j’allais certainement aussi être responsable plus tard.

La grande majorité de mes tics sont composés de choses simples et routinières – clignement des yeux, mouvements de tête, raclement de la gorge. Des choses qui se produisent de manière stéréotypée d’innombrables fois par jour chez tout le monde – souvent, c’est seulement le manque de contexte pour la chose que je fais, et non la chose elle-même, qui définit son anormalité. Je peux distinguer les tics « vieux » et plus « jeunes » dans mon répertoire. Les premiers semblent intégrés dans tout ce que je fais et sont plus difficiles à supprimer, tandis que les seconds semblent plus limités à des situations particulières (par exemple, être debout dans le jardin en tenant un tuyau d’arrosage) et sont plus faciles à « tuer dans l’œuf » que leurs aînés moins sélectifs. Chaque apparition d’un tic particulier l’enhardit et accroît le sentiment d’inexorabilité; s’il n’est pas maîtrisé en une journée, il se transforme en une fièvre frénétique, la pulsion et le tic ne faisant qu’un. Pourtant, chaque matin, je me réveille paisiblement, comme si un bouton de remise à zéro avait été enfoncé. Cela me donne envie de rester au lit. Chaque dyade pulsion-tic attend qu’un drapeau inconnu lance le départ; la première paire à franchir la porte de départ remporte la domination pour la journée.

Ce faisant, ils augmentent chaque fois leurs chances pour le lendemain, de manière cumulative. Un jour, une dyade différente se bouscule, établissant son statut temporaire de leader et augmentant les chances de régner dans les jours qui suivent. De cette façon, les symptômes changent avec le temps.

Il y a aussi des périodes sans tic. Ce n’est pas la distraction qui les produit : je peux être tout à fait conscient de l’absence de mes tics (même explicitement présent sur ce même sujet), pourtant leur absence persiste. J’ai remarqué que ces moments se produisent lors de tâches très complexes qui exigent de moi une grande attention – présenter, évaluer, jongler ou jouer du tambour. C’est presque comme si mes tics servaient de soupapes de pression : toute l’énergie étant canalisée vers des activités constructives, leur fonction est momentanément inutile. Cependant, même une brève pause (par exemple pour écouter la question d’un membre du public) crée un écart suffisant entre l’énergie et l’activité pour que les tics comblent le vide.

Une composante apprise du syndrome Gilles de la Tourette? Quelques observations

Ces observations de l’« expert du vécu », étudiées avec le point de vue plus actuel de ma discipline et de ma formation, me laissent penser que certains aspects de ce trouble sont probablement appris. Je ne suggère pas une autre compréhension de l’étiologie ou de la pathologie du SGT, et mes observations ne sont pas en contradiction avec les travaux exemplaires que de nombreux géants dans ce domaine ont contribué à découvrir la physiologie sous-jacente de ce trouble neurodéveloppemental complexe [par exemple 7,8,9]. Ce que je propose est plutôt une extension de ce dernier.

Des explications neurologiques sont nécessaires pour comprendre le SGT, mais, jusqu’à présent, les résultats n’ont pas été suffisants pour expliquer une grande partie de la phénoménologie du trouble. Le stade de la dysrégulation est peut-être atteint, mais la pièce de théâtre qui s’y déroule reste un mystère qui mérite également d’être examiné. Les expériences d’apprentissage individuelles et contextuelles façonnent probablement les déficits de développement neurologique, tout comme les ordinateurs personnels sont influencés par les goûts de chaque propriétaire.

Autrefois indiscernables, les appareils personnalisés sont créés en fonction des programmes et du contenu chargés, des sites Internet visités et des choix que chaque propriétaire fait dans le cadre d’options limitées… sans tenir compte de l’uniformité des différents organes de chaque appareil.

Bien sûr, les composants de l’apprentissage ont également des substrats neurologiques, et peut-être qu’un jour la technologie de la neuroimagerie sera telle qu’ils pourront être facilement identifiés. D’ici là (et peut-être même pour accélérer son arrivée), l’utilisation de la théorie de l’apprentissage existante peut servir à donner des orientations dans des domaines plus larges – un peu comme si l’on surveillait une plage pour déterminer quels grains de sable particuliers doivent ensuite faire l’objet d’une analyse plus poussée.

Chaque jour, sous notre conscience et sous notre cortex, notre cerveau est occupé à mémoriser des modèles de mouvement. Des choses routinières et simples – comme mon clignement d’œil – seraient mûres pour être incidemment associées à d’innombrables autres comportements, actions et sons liés à l’objectif qui les précèdent (par exemple, franchir une porte et cligner des yeux, prendre un stylo et cligner des yeux, voir un bon ami et cligner des yeux). Au fil des ans, ces associations fortuites se produisent sans doute ici et là; en l’absence d’une capacité « normale » d’élaguer ou d’inhiber les associations qu’elles pourraient renforcer selon le principe hebbien [10]. Et si ces associations devenaient finalement si fortes que divers comportements, actions ou sons orientés vers un but précis servaient en fait à susciter des mouvements ou des bruits stéréotypés qui leur seraient « accidentellement » associés? Cela reviendrait en effet à « détourner » quelque chose comme un clignement des yeux du contexte, et ce « détournement » se produirait à la fois fréquemment et à des intervalles apparemment aléatoires étant donné les innombrables comportements, actions et sons quotidiens orientés vers un objectif, et avec lesquels le clignement des yeux serait mis en réseau. Le fait de ne pas cligner des yeux pourrait très bien créer un sentiment d’inachèvement, à la manière de Zeigarick, qui persistera jusqu’à ce que le jumelage soit terminé. Ce que nous appelons une pulsion prémonitoire.

Ce modèle n’est pas si farfelu : il se marie bien avec le concept de plasticité neuronale [11]. Il n’est pas non plus si éloigné des bonnes neurosciences. Nous savons que les noyaux gris centraux ont pour fonction d’apprendre les schémas moteurs et que les lobes frontaux jouent un rôle dans l’inhibition de ces schémas, deux domaines impliqués dans la physiopathologie du SGT [12]. Et dans ma thèse de doctorat de 2001, j’ai démontré que si des associations se forment entre divers mouvements moteurs qui se produisent ensemble de manière fortuite, seuls les individus ayant des difficultés d’inhibition motrice et ayant été exposés à l’essai d’apprentissage fortuit ont ensuite démontré le comportement, un « tic » faible et dépendant du contexte. Les jeunes atteints du SGT non exposés aux essais d’apprentissage, et ceux dans les études de contrôle n’ont pas acquis ce comportement [4]. Ce « tic » présentait le même schéma de rupture de signature que celui du SGT [13]; de plus, les personnes exposées à l’essai d’apprentissage fortuit ont fait état d’une envie nettement plus forte d’effectuer le « tic » que les groupes non exposés [4].

Lorsque j’applique ce modèle (que j’ai appelé Incidental Associations Model of Tic Formation) à mes expériences personnelles, la logique de ce modèle est convaincante. Pour commencer, j’ai un large répertoire de tics… mais avec des paramètres. Tout n’est pas une désinhibition; seules sont concernées les choses qui, en moi, ont tendance à se produire assez souvent, et de la même manière à chaque fois, pour être vulnérables à un grand nombre d’associations fortuites. Et plus cette expérience humaine est universelle, plus elle semble être partagé parmi la population de SGT comme un tic. Même mes symptômes les plus complexes ont leur origine dans ces comportements simples – de multiples tics simples qui, au fil du temps, se sont enchaînés (une sorte de conditionnement d’ordre supérieur) ou se sont transformés en quelque chose de nouveau et qui n’est pas immédiatement reconnaissable à partir de ses composants. C’est peut-être la raison pour laquelle les tics complexes ont tendance à apparaître quelque temps après les tics simples [13].

Mes tics sont apparus pour la première fois vers l’âge de sept ans; cette apparition « soudaine » de symptômes n’était peut-être qu’une illusion, comme un sous-marin qui remonte à la surface de l’eau. La force croissante de mes propres associations fortuites ne serait masquée que jusqu’à ce que les pulsions d’achèvement soient suffisamment fortes pour susciter ces mouvements et ces bruits simples qui s’attachent à mes comportements orientés vers un but.

Les tics eux-mêmes sont peut-être apparus brusquement, mais leurs origines (et l’importance croissante des sensations de pulsions prémonitoires) étaient peut-être plus insidieuses.

Après tout, la suggestibilité des tics n’est peut-être pas l’œuvre de démons intérieurs malveillants : une activation généralisée des associations (de « je vois ma mère » à « ce que je sais sur ma mère » en passant par « ma mère déteste quand je fais certains bruits », à « ne fais pas ces bruits » aux bruits eux-mêmes) amorcerait naturellement la mauvaise chose exactement au mauvais moment. Ce rebondissement vers ce que nous ne voulons pas croire est appelé un processus ironique et est une expérience humaine universelle [14]; la seule différence avec moi est que mon processus ironique est exposé – je suis absolument transparent en raison de ma mauvaise autorégulation.

Attirer mon attention sur une partie du corps, un objet ou un comportement particulier déclencherait également l’éveil de toute association à celui-ci, y compris les associations motrices fortuites. Des pulsions prémonitoires sont alors induites, semblant « suivre » mon attention partout où elle se déplace. Comme un jeune frère ou une jeune sœur qui s’ennuie et qui s’énerve.

Le calme de mes tics chaque matin – chaque remise à zéro en prévision de mon premier mouvement – se produirait parce que chacun de mes tics est lié à des comportements volontaires. Jusqu’à ce que je me lève, que je m’engage dans l’un d’eux et que j’active involontairement la chaîne, aucune impulsion (ou amorce) pour leur expression n’existe encore.

Les éléments utiles d’un comportement orienté vers un but précis sont réunis de manière beaucoup plus fiable et dans un ordre beaucoup plus cohérent que les comportements accessoires qui l’accompagnent. Par conséquent, les associations fortuites ne seront probablement pas aussi fortes que celles qui ont un but précis. Il est donc concevable que dans le cas de tâches très complexes comportant diverses exigences simultanées (comme la présentation, l’évaluation, la jonglerie et le tambour), toutes les ressources cognitives soient consacrées à l’orchestration des mouvements intentionnels requis. Dans ce scénario, sans réserve pour « « purger », il n’y a pas de place pour permettre aux associations fortuites (et donc pour les pulsions ou les tics) de s’établir. De manière encore plus convaincante, j’ai remarqué que ce n’est que lorsqu’une tâche complexe devient plus routinière (c’est-à-dire que j’utilise moins de ressources pour l’exécuter) que les tics commencent progressivement à empiéter sur celle-ci.

Les tics « plus âgés » seraient plus profondément « ancrés » dans leurs associations; ils ont eu l’occasion de s’attacher à beaucoup plus de comportements orientés vers un objectif dans un réseau de complexité croissante et ont généralisé et adapté leur apprentissage. Dans ce modèle, les pulsions prémonitoires servent de « marqueurs » pour l’âge et la force des tics, ce qui explique probablement pourquoi j’ai trouvé les pulsions prémonitoires plus marquées et plus identifiables avec le temps.

Thérapie comportementale pour le syndrome Gilles de la Tourette : Ce que l’on ressent

Ce modèle prévoit qu’une thérapie comportementale comme la thérapie du renversement des habitudes (TRH) serait très efficace pour gérer les tics – comme on l’a d’ailleurs constaté [15]. En « bloquant » l’expression d’un tic par une réponse concurrente chaque fois que l’envie s’en fait sentir, j’affaiblis l’association fortuite entre le comportement, l’action ou le son qui vient de se produire et le tic lui-même. Au cours de multiples essais, cela devrait permettre d’éteindre le tic ainsi que le « marqueur » de l’association aujourd’hui disparue (la pulsion prémonitoire). C’est en effet ce que moi et d’autres personnes avons découvert [16]. Enfin, comme le nombre d’essais visant à éliminer complètement un tic dépendrait de l’importance du « désapprentissage » à effectuer, je ne suis pas surpris que les tics « jeunes » aient tendance à réagir plus rapidement et plus complètement à la TRH que les tics « plus vieux ». C’est vers mon expérience de la thérapie comportementale que je me tourne ensuite.

Ma décision de traiter certains tics n’est pas due à une pression sociale ou à une mauvaise image de soi. Chaque fois que j’ai mis à tort le « traitement des tics » et « être acceptable ou aimable » sur le même pied d’égalité, j’ai été déçu. Tous les malheurs de la vie ne proviennent pas du SGT, et son absence ne serait pas une panacée. Même un arrêt magique abrupt des tics ne résoudrait pas les problèmes qui sont le produit indirect de 30 ans de vie avec eux. Une telle approche renforce en fait une image négative de soi (c’est-à-dire que je ne suis « bien » que si je suis « mieux »), et il y a trop d’attentes quant à l’élimination des tics. Au lieu de cela, les décisions que j’ai prises ont été pragmatiques : s’attaquer aux articulations qui se dégradent rapidement (mouvements de la mâchoire), à l’émail des dents qui s’amincit rapidement (claquements de dents), à l’astigmatisme qui augmente rapidement (« gougeage » oculaire) et aux blessures (serrer des objets avec la main droite).

L’effort initial requis pour s’engager dans une réponse concurrente (en général, des contractions musculaires isométriques chaque fois que des pulsions prémonitoires apparaissent) ne peut être sous-estimé. Subjectivement, la validité apparente est nulle : au début, la TRH est une épreuve extrêmement consommatrice, irritante et épuisante, sans but ni progrès apparent. En fait, en surface, les choses peuvent même sembler être pires. Si je n’avais pas appris l’existence des « poussées d’extinction » dans le cadre de ma formation comportementale, je n’aurais pas continué.

J’ai plutôt imaginé le réseau neuronal qui m’a enchevêtré – des filaments isolés que j’étais en train d’éliminer un par un. Et, comme une toile qui s’affaiblit constamment et qui supporte un poids écrasant, lorsque le relâchement soudain s’est produit, il a été aussi surprenant que satisfaisant.

J’ai appris que les subtilités de cette toile fonctionnent de manière bidirectionnelle : l’acquisition de l’apprentissage se fait aussi progressivement que l’extinction et peut vous surprendre par sa (ré)émergence. Séduit par mon succès initial, j’ai rapidement été à nouveau enlacé. J’avais permis à la toile brisée, mais encore facilement réparable, de retisser ses filaments autour de moi. La vigilance est la clé des premiers stades de la thérapie comportementale.

De multiples cas de « rétablissement spontané », diminuant successivement en longueur et en force, se sont produits. Plus je m’entraînais, plus les résultats étaient importants, plus ils duraient longtemps, et plus je semblais accumuler de réserves pour les « erreurs ».

Les symptômes ciblés ont fini par disparaître complètement; le premier tic que j’ai exposé à la TRH (un reniflement) est sorti de mon répertoire depuis 15 ans maintenant – malgré les références continuelles (et même les démonstrations) dans mon travail clinique et les présentations. Chaque utilisation successive de la TRH semble également plus facile, comme si une certaine généralisation de la discipline apprise se produisait.

Il peut être nécessaire de se concentrer sur un seul symptôme à la fois. L’effort requis a un coût [17] et l’effort mental requis a des limites. Les tentatives d’initier simultanément la TRH avec tous les tics (ou même plusieurs) rappellent les vaines luttes pour « retenir » ses tics; cependant, la suppression traditionnelle est dépourvue d’outils, de soutien, de plan ou de cadre mental adéquat [18]. Il ne faut pas être avide, et il faut aussi apprendre l’art de la patience.

Je trouve les symptômes plus difficiles à combattre lorsque les enjeux sont élevés (par exemple, « mon gagne-pain en tant que présentateur et chanteur repose sur l’élimination de ce tic qui est de me racler la gorge ») ou lorsque les dommages physiques (peut-être des séquelles du tic lui-même) augmentent considérablement la préoccupation de la personne pour cette partie du corps (ce qui aggrave donc les pulsion du tic dans cette région également).

Malgré son caractère vexatoire au départ, la thérapie comportementale présente un grand attrait personnel pour moi et pour beaucoup de mes patients. Je peux cibler les symptômes de manière sélective pour répondre à mes besoins. Cette capacité à adapter (et à offrir) la thérapie moi-même est également très stimulante et m’a permis d’étendre mes limites au-delà de ce que j’avais accepté à contrecœur (et à tort).

Amélioration de la thérapie comportementale : Mes expériences

Les techniques de respiration profonde sont mobiles, discrètes, et diminuent mon tic grâce à la réduction du stress. Un apport d’air lent, conscient et profond peut étouffer (ou au moins partiellement étouffer) une pulsion prémonitoire grandissante. J’imagine le souffle enveloppant et tirant cette pulsion hors de mon corps lorsque j’expire. À la fin de l’expiration, des vestiges de la pulsion réapparaissent et je me retrouve à nouveau au bord du précipice. Brève période réfractaire ou non, l’exercice m’a quand même permis de gagner assez de temps pour étouffer à nouveau le feu avec ma prochaine inspiration. De cette façon, les techniques de respiration simples servent également d’exercices d’exposition avec prévention de la réponse (EPR), coupant encore plus les associations fortuites qui me lient à mes tics.

Les exercices d’exposition peuvent être poussés plus loin dans le domaine de la pleine conscience. Je passe 45 minutes immobile, conscient et présent de chaque moment qui passe, en méditant sur les sensations du corps. Je note une pulsion prémonitoire, et je l’observe avec un intérêt détaché. En me tortillant à l’intérieur, j’ai envie de compléter le schéma. Pour me laisser aller dans l’automaticité. Je laisse toutes mes pensées derrière moi pour être simplement, et non plus lié à ce que mon cerveau me dit de faire ensuite. Mon attention s’égare, et bientôt, je reviens pour constater que la pulsion a disparu. Un demi-sourire prend place sur mon visage.

Tout ce qui peut me permettre d’avertir mes lobes frontaux est probablement un bon plan dans la bataille pour contenir les tics, comme le suggère si éloquemment le travail de Bradley Peterson [19]. Depuis quelques années maintenant, je prends de fortes doses quotidiennes d’oméga-3 et je me demande si cela a aidé.

Probablement pas un effet direct sur les niveaux de tics, mais je soupçonne qu’elles ont pu modérer ma capacité à utiliser avec succès la thérapie comportementale.

L’avantage le plus évident a été l’optimisation du dosage du méthylphénidate à libération contrôlée. Dans les 20 minutes qui ont suivi ma première thérapie, j’ai pris conscience d’un état altéré. Au début, je me suis senti presque à l’extérieur de moi-même – un état de conscience étranger, persistant et altéré, difficile à catégoriser et qu’il vaut mieux décrire comme une distanciation artificielle de ce que je faisais par rapport à ce que je pensais. J’ai été tenté de qualifier cette nouvelle déconnexion comme « extraordinaire » jusqu’à ce que je me rende compte que ce phénomène n’était probablement pas du tout « extra ». Il est en effet tout à fait ordinaire d’insérer un battement entre l’action et la pensée, et c’est précisément ce qu’exige la diminution de l’impulsivité. Cette vague sensation de vertige (à laquelle je m’étais habitué dès le deuxième jour) n’était pas du tout un effet secondaire – c’était simplement le fonctionnement cérébral plus normal auquel je n’étais pas encore habitué. Dans le passé, j’étais plus près de l’action au sens cognitif du terme : j’observais, je cataloguais et je ne payais pour toute ma spontanéité qu’après qu’elle se soit produite. Mon succès à remédier à la situation ou à démontrer un changement de comportement la fois suivante a été limité parce que j’étais déjà plongé dans l’instant suivant. La capacité à « freiner » plus efficacement a amélioré de nombreuses choses dans ma vie, notamment mon succès avec la TRH. De bonnes intentions, une bonne démystification et de bons efforts n’ont tout simplement pas suffi à compenser le manque de délibération; le méthylphénidate y a contribué.

Enfin, et plus récemment, je me suis rendu compte que l’approche peu prévoyante avec mes « freins usés » m’avait mis devant le fait accompli que j’étais une personne avec encore bien des blessures. Les freins défectueux nécessitent certainement d’être plus attentif, tout comme il faut faire preuve de vigilance lorsqu’un conducteur en état d’ébriété se dirige continuellement vers les dangers. Mon identité était encore basée sur la honte, créée en grande partie par le fait d’avoir des symptômes non diagnostiqués et non traités pendant de nombreuses années. Beaucoup de jugement, de traumatisme développemental et de discrimination ont conduit à la négation d’instincts sains, à une dévalorisation et un martyre de moi-même, à un manque de confiance en soi et de compassion, à un style d’attachement ambivalent et à une nature profondément codépendante. Il en a résulté une exploitation et une violation des limites, des conflits et des abandons. Travailler à régler ces problèmes a eu des effets inattendus sur les symptômes. La résolution de mes conflits internes et l’amélioration de mes choix m’ont permis de me nourrir plus sainement et donner moins de force à ma dysrégulation ou à mes réactions négatives et impulsives. Les thérapies comportementales ont réussi à réduire l’amplification basée sur le système neurologique. Mais il a fallu une bonne et simple thérapie pour changer la chanson.

La coupe déborde

Les misérables profondeurs que j’ai habitées pendant de nombreuses années en tant que patient atteint de SGT, de TOC et de TDAH vont bien au-delà de tout critère diagnostique.

Les symptômes sont une cible mouvante : une fois qu’on s’est habitué à un tic, un autre tic plus gênant prend sa place – probablement parce que le simple fait de s’habituer signifie que l’attention de l’individu n’amorce plus ce tic aussi facilement. Les symptômes s’estompent parfois assez longtemps pour que l’on puisse voir ce qu’aurait été une vie « normale » et comment le monde interagirait avec moi différemment. Puis le mirage s’arrête, tout aussi déconcertant, décevant ou exaspérant pour ceux qui ont fondé leurs attentes sur une « bonne » journée.

Les coûts sont nombreux (temps, effort, émotion et argent) : non seulement pour le traitement des tics, mais aussi pour les problèmes concomitants. J’ai des rituels à prévenir, du Concerta à acheter, et des structures à mettre en place et à respecter. Les coûts médicaux associés s’accumulent (par exemple, les soins chiropratiques pour les subluxations induites par les tics), tout comme les coûts de remplacement des objets, des personnes ou des données électroniques qui ne peuvent pas supporter les tics des décisions impulsives ou des réactions explosives. La privation de sommeil et les symptômes douloureux exacerbent une situation déjà éprouvante, et les coûts sociaux liés à toute cette guerre intérieure sont élevés. Même les indices sociaux auxquels je ne m’attarde pas trop peuvent être trompeurs, car les interactions modélisées sont du type réservé à ceux qui sont différents.

Même un investissement herculéen ne va pas plus loin et ne m’achète pas le droit de répondre aux réactions.

Les gens ne comprendront pas toujours, je serai souvent jugé ou traité injustement, et parce que la plupart des réactions sont dues au fait d’être pris au dépourvu plutôt qu’à la malveillance, j’ai l’obligation d’être la personne la plus raisonnable et de faire preuve de compréhension et de patience malgré ce couteau qui est retourné dans la plaie. Ironiquement, c’est dans les moments où je suis tout simplement trop épuisé pour me lancer dans le camouflage, la modification des symptômes, les réponses concurrentes ou les explications que les ressources les plus importantes sont nécessaires – pour répondre aux demandes de renseignements, au traitement irrespectueux et aux perceptions erronées. Je ne peux jamais me fondre dans la foule, donc les attentes du monde réel, aussi paradoxales soient-elles, exigent toujours que je sois au mieux de ma forme.   Surtout quand je suis au plus mal.

Les expériences vitales de création de liens affectifs à un jeune âge sont faussées ou complètement ratées : une source d’isolement et de deuil. Les rencontres nécessitent des explications constantes et suscitent chez votre partenaire des inquiétudes accrues (par exemple, les premières impressions, la perte de l’anonymat public, la génétique). Les questions existentielles concernant la responsabilité personnelle abondent : mon incapacité à me souvenir du nom des gens est-elle due à un défaut personnel ou à un de mes troubles? Je ne suis pas éclairé par des connaissances particulières que je garde secrètes pour les autres, mais je dois d’une manière ou d’une autre trouver un équilibre entre une saine acceptation et une saine croissance. Et que dire de la fois où je n’ai pas été choisi comme major de promotion : était-ce un préjugé ou n’étais-je tout simplement pas le meilleur candidat?

Qui admettrait que c’était le premier?

Les commentaires normalisateurs bien intentionnés ne me laissent qu’un sentiment de minimisation : si tout le monde ressent vraiment la même chose, pourquoi ai-je tant de difficultés? Demandez à une personne dans la rue de définir la normalité et elle vous dira que c’est impossible. Demandez à cette même personne de désigner une personne qui n’est pas normale et son doigt ne tardera pas à me trouver.
Oh, et quelque part là-dedans, je dirige une clinique, j’interagis avec mes pairs, je nourris une relation, gère les changements et les transitions inattendues, négocie des compromis, prends en compte les besoins des autres et toute une série d’autres tâches attendues. Ou du moins, j’essaie de le faire. Le banc de travail mental de tous a une taille maximale, mais le mien a des exigences supplémentaires réparties sur une bonne partie de celui-ci. Il faut que quelque chose soit consacré. En général, il s’agit d’amitiés, de relations intimes et de mon bonheur, car mes efforts intenses pour y parvenir sont vains et la conscience sociale en souffre. Il y a une pression quotidienne, mais il y a aussi une fuite plus grande, qui s’accumule sur une période de plusieurs mois et peut conduire à un accident dont il faut des semaines pour se remettre.

Alors, est-ce que je veux un remède pour mon SGT?  Non.

Outre certains aspects positifs inhérents à la dysrégulation (par exemple, la perséVÉRérance et la perSÉVérance ne diffèrent parfois que par l’inflexion), il y a les aspects positifs qui proviennent de la lutte elle-même. Mon angoisse a été une denrée précieuse et se reflète dans la passion que j’ai pour mon travail. Elle aide à favoriser la compréhension dans le domaine que j’ai choisi et, à bien des égards, elle ouvre autant de portes qu’elle en ferme. De par leur nature même, mes démons sont mis à en avant; ils ne seront pas niés et sont donc reconnus et traités; ce qui me place en tête du jeu de la vie et non en queue de peloton.

Franchement, me « guérir » du SGT à ce stade serait l’invalidation définitive de mon existence. Je suis devenu expert dans la gestion de kiosque de limonade. Je n’ai jamais demandé ni voulu de stupides citrons, mais j’ai fait le mieux possible avec ce qu’on m’a donné. Pour le meilleur ou pour le pire, ce kiosque de limonade est ma vie; je continue à étendre la franchise. Couper soudainement mon approvisionnement en citrons serait vraiment cruel.

Recommandations

Les études futures sur le SGT pourraient bénéficier de la prise en compte de tout élément appris de cette condition, tel que rapporté subjectivement. La vigilance peut également jouer un rôle potentiel dans le traitement du SGT. Le travail clinique peut être amélioré par l’utilisation de thérapies comportementales et par une meilleure compréhension de l’expérience « gestalt » de la vie avec le SGT et les conditions associées.

Note sur l’auteur

L’auteur a auto-édité un guide pour les jeunes sur les thérapies comportementales pour les tics, en vente à titre privé. Ni cette publication (intitulé, Nix Your Tics !) ni Life’s A Twitch ! ne représentent le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse ou le gouvernement de l’Ontario.