Introduction

La tache amère est un trouble physiologique des pommes qui cause de graves pertes chez certains cultivars depuis de nombreuses années. Le cultivar Spy est couramment affecté par ce trouble. En outre, lorsque les conditions lui sont propices, la tache amère frappe notamment les cultivars Delicious, Idared, Crispin, Cortland, Empire, Honeycrisp et certains autres. On ne connaît pas encore bien la sensibilité à la tache amère de certains des plus récents cultivars. Même si elle ne se manifeste pas à la récolte, la tache amère risque d’affecter les fruits entreposés et d’occasionner de graves pertes.

Description générale

La tache amère entraîne la dégradation des cellules sous la peau de la pomme, causant de légères dépressions surtout près du calice (figure 1). Les tissus de ces endroits déprimés sont foncés, secs et spongieux, et ils ont un goût amer. Dans certains cas, les symptômes sont invisibles à la surface du fruit, mais ils sont toujours nets sous la peau. Les fruits de fort calibre provenant d’arbres où la récolte a été maigre sont prédisposés à la tache amère. Un excès d’azote (N) ou de potassium (K), et une grande variation de la teneur en eau du sol risquent de causer la tache amère. Le calcium (Ca) joue un rôle important dans la formation des parois cellulaires. Les carences en calcium nuisent à l’homogénéité des parois cellulaires et entraînent l’apparition des symptômes décrits plus haut, symptômes qui varient légèrement d’un cultivar à un autre.

Symptômes caractéristiques de la tache amère sur des pommes
Figure 1. Symptômes caractéristiques de la tache amère sur des pommes

Exploitation du verger

Les pratiques culturales des vergers dont les antécédents révèlent une affection par la tache amère doivent être modifiées pour que soit réduite au minimum l’incidence de ce problème. Les facteurs suivants devraient être considérés :

Facteurs nutritionnels

  • La nutrition calcique (Ca) est directement en cause dans le développement de la tache amère; il en sera question en détail un peu plus loin dans cette fiche. Les autres éléments nutritifs interagissent avec le calcium à l’intérieur du fruit. Tout déséquilibre entre les différents éléments nutritifs peut accroître la sévérité de la tache amère.

Par exemple, un excès d’azote (N) pousse les fruits à atteindre un fort calibre, forçant ainsi la dilution du calcium à l’intérieur du fruit et aggravant le problème de tache amère. Il faut appliquer la fertilisation azotée en fonction des résultats de l’analyse foliaire. Les excès d’azote se manifestent également par une croissance excessive de l’arbre et du feuillage, et par l’assombrissement des feuilles. Si les concentrations d’azote sont élevées, il faut réduire les doses d’azote et, dans les cas extrêmes, contremander tout traitement azoté. Pulvériser l’engrais azoté le plus tôt possible au printemps car les recherches ont montré que les applications d’azote effectuées après la mi-avril augmentent l’incidence de tache amère.

Des doses excessives d’engrais potassiques (K) peuvent également faire diminuer la teneur en calcium dans le fruit, en particulier lorsque la concentration de calcium est déjà faible. Épandre les engrais potassiques seulement quand les analyses foliaires indiquent un besoin de cet élément.

Le bore (B) joue un rôle dans le transport du calcium vers le fruit. Si la concentration du bore est faible, des troubles causés par un déséquilibre calcique, comme la tache amère, risquent de se développer. L’analyse foliaire permet de s'assurer que la concentration du bore dans les feuilles est suffisante.

  • La taille peut résulter en une concentration anormalement élevée d’azote dans l’arbre. Si les arbres doivent être taillés avec sévérité, il vaut mieux réduire la quantité d’engrais azoté distribuée. Une taille annuelle modérée est préférable.
  • L’utilisation d’un paillis aplanira les fluctuations de teneur en humidité du sol et aidera à écarter le risque de tache amère. Ne pas utiliser comme paillis des matériaux riches en azote, p. ex. le foin de légumineuses. Le traitement herbicide d’une large bande, jumelé à une gestion du gazon faisant appel à la lutte chimique, peut conduire à un excès d’azote et aggraver le problème de tache amère. La bande traitée à l’herbicide ne devrait pas s'étendre au-delà de la projection des branches sur le sol.
  • L’éclaircissage excessif des fruits et une maigre récolte par arbre entraîne la formation de gros fruits. L’objectif de l’éclaircissage est d’amener une récolte adéquate chaque année. Il est recommandé de faire des pulvérisations de calcium quand la récolte est peu abondante ou que les fruits sont de fort calibre.
  • Puisque ce trouble se développe en entrepôt, il faudrait viser à mettre d’abord en marché les fruits de fort calibre ou les fruits provenant des endroits où la tache amère a déjà posé un problème. Cette façon de procéder devrait diminuer les pertes.

Nutrition calcique

La tache amère est directement liée à la nutrition calcique du fruit. Le calcium est relativement immobile à l’intérieur des arbres. Il peut y avoir à la fois une quantité suffisante de Ca dans les feuilles et le sol et une carence de cet élément dans le fruit. Voilà pourquoi la teneur en calcium du fruit est un bien meilleur indice du risque de tache amère à l’entreposage que la teneur en calcium du sol ou des feuilles. Il existe un gradient des concentrations de Ca depuis le pédoncule (haute teneur en Ca) jusqu'à l’extrémité opposée du fruit (faible teneur en Ca), là où les symptômes de tache amère apparaissent en premier.

Le gros de l’absorption du Ca par le fruit est terminé à la mi-juillet. Entre ce moment et la récolte, le calcium se trouvant dans le fruit se dilue au fur et à mesure que le fruit gagne du volume. Plus le fruit est gros, plus la dilution est prononcée et plus il y a risques de carence en Ca. Tard dans la saison, il peut même y avoir exportation de calcium depuis le fruit jusqu'à d’autres régions de l’arbre. Des pulvérisations de Ca faites sur les pommes au cours de cette phase de croissance des fruits ont augmenté la concentration de calcium dans les pommes et réduit l’incidence de la tache amère. Par contre, les applications de Ca au sol n'ont aucunement réduit l’incidence de la tache amère.

Analyse du fruit

L’analyse du fruit est utile pour en indiquer la teneur en Ca et le risque potentiel de tache amère en entrepôt. Sélectionner une vingtaine de fruits de grosseur moyenne par échantillon trois semaines avant la récolte. Laver les échantillons avec de l’eau distillée pour enlever les dépôts de Ca en surface. On groupe des sections longitudinales pratiquées de part et d’autre du cœur, et s'étendant de la cuvette pédonculaire jusqu'au calice (de façon à exclure le pédoncule et les pépins) pour constituer un échantillon de pomme valable. Les valeurs analytiques optimales obtenues d’un échantillon typique de différents cultivars destinés à l’entreposage à long terme sont données au tableau 1.

Tableau 1. Composition optimale d’une pomme 3 semaines avant la récolte (pédoncules et pépins non compris)
  N en mg/100 g de tissus frais K en mg/100 g de tissus frais Ca en mg/100 g de tissus frais Mg en mg/100 g de tissus frais K/Ca Ratio inférieur à :
McIntosh, Empire, Spy 30-50 70-100 4,0-5,0 4,0-5,0 25 :1
Delicious, Crispin, Idared 40-60 100-120 4,5-5,5 4,5-5,5 25 :1

Les concentrations de calcium devraient être les plus élevées pour les pommes destinées à l’entreposage à long terme en atmosphère contrôlée. De fortes teneurs en potassium sont moins nuisibles lorsque la concentration de Ca est élevée que lorsqu'elle est faible; en fait, elles peuvent même alors améliorer la qualité des fruits de certains cultivars. Quand les concentrations de calcium sont basses, de fortes teneurs en potassium risquent de réduire davantage la concentration du calcium et d’augmenter l’incidence de la tache amère. Le ratio K :Ca ne devrait pas dépasser 25 :1.

Calendrier des traitements au calcium

Sous les conditions ontariennes, les traitements des fruits au calcium doivent débuter tôt en juillet et être répétés à intervalles de deux semaines. Au moins quatre pulvérisations sont nécessaires. Là où les fruits ont besoin de plus de calcium, on peut faire un plus grand nombre de pulvérisations en les commençant plus tôt, soit à la mi-juin, ou en les poursuivant même aussi tard qu'au moment de la récolte. En général, plus on aura appliqué de calcium, plus la concentration en Ca des fruits s'élèvera et meilleure sera la lutte contre la tache amère. Des traitements au Ca ont été faits en pulvérisation jusqu'à la récolte et même après celle-ci, par trempage.

Mise en garde

Dans le cas des cultivars rouges, l’accumulation de Ca à la surface des fruits, résultat de pulvérisations répétées par temps sec peu avant la récolte, risque d’engendrer une coloration imparfaite de la peau.

On a aussi découvert que les pulvérisations foliaires de calcium accélèrent le mûrissement des fruits. On devrait donc surveiller le mûrissement à compter de quelques jours avant la date prévue de la récolte.

Couverture

La solution calcique doit entrer en contact avec le fruit pour qu'il y ait absorption de calcium. Il faut donc verser assez d’eau dans le mélange pour mouiller l’arbre tout entier. Lorsqu'on doit pulvériser une solution concentrée, faire la pulvérisation à intervalles de 10 jours, jusqu'à ce que la quantité totale de calcium ait été utilisée.

Sources de calcium

Le chlorure de calcium s'avère efficace contre la tache amère et constitue peut-être la source de Ca la plus économique. Il peut toutefois causer la brûlure des feuilles chez certains cultivars et dans certaines conditions (figure 2). Le chlorure de calcium ne devrait pas être utilisé à des températures supérieures à 25 °C, ni quand l’assèchement du feuillage se fait lentement (humidité élevée). Comme le feuillage de la McIntosh, de la Golden Delicious et de l’Idared est très sensible au chlorure de calcium, on ne doit lui faire aucun traitement de ce genre.

Le chlorure de calcium est vendu dans le commerce en flocons (78 % CaCl2), lesquels renferment 28 % de Ca élémentaire. Les doses de chlorure de calcium à utiliser sont indiquées au tableau 2. Il est important de ne pas dépasser les concentrations recommandées. Le nitrate de calcium est une autre source de Ca possible pour la lutte contre la tache amère. Le nitrate de calcium commercial contient 79 % de Ca(NO3)2, soit 19 % de Ca et 13,5 % d’azote (N).

Dans les vergers déjà bien pourvus en azote, des traitements au nitrate de calcium risquent de donner des fruits à coloration imparfaite qui se conservent mal et c'est pourquoi on devrait s'abstenir. Par contre, si la teneur en azote est faible, on a avantage a utiliser le nitrate de calcium pour les deux premières pulvérisations en juillet, puis le chlorure de calcium pour les autres pulvérisations.

Éviter de traiter Crispin et Golden Delicious avec le nitrate de calcium à cause du risque élevé de dommage aux fruits. Les doses de nitrate de calcium recommandées sont indiquées au tableau 2.

La nécrose des bordures de feuilles peut-être due à une concentration trop élevée de chlorure de calcium ou à des températures supérieures à 25 °C lors des traitements au chlorure de calcium
Figure 2. La nécrose des bordures de feuilles peut-être due à une concentration trop élevée de chlorure de calcium ou à des températures supérieures à 25 °C lors des traitements au chlorure de calcium

D’autres sources de calcium possibles se sont avérées efficaces pour combattre la tache amère, pourvu que la dose de Ca utilisée soit suffisante. L’efficacité plus grande de tels produits par unité de Ca comparativement au chlorure ou au nitrate de calcium est sujette à controverse. Par mesure de sécurité, utiliser au moins 20 % du calcium total prescrit au tableau 2. Cela signifie qu'on aura besoin au total, par hectare, de 50 L de Ca 6 % (This Ca, OligoCa), de 37,5 L de Ca 8 % (Liqui-Cal), de 30 L de Ca 10 % (CaB'y), de 25 L de Ca 12 % (Stopit) ou de 17,5&nbps;L de CaO 24 % (Wuxal). Il s'agit là des quantités minimales totales à utiliser en quatre ou cinq traitements répartis au cours de la saison de croissance.

Si les conditions sont propices à la tache amère, on peut doubler les doses. Bien que ces produits puissent être pulvérisés à faible volume, il faut utiliser suffisamment d’eau pour que les fruits et le feuillage soient parfaitement couverts. On doit vérifier auprès du fabricant la compatibilité avec d’autres produits d’arrosage. Il est préférable de comparer les sources de Ca sur la base du coût par unité de Ca.

On doit s'assurer que le pulvérisateur est lavé à fond après chaque pulvérisation puisque les sels de calcium sont corrosifs.

Tableau 2. Doses de chlorure de calcium et de nitrate de calcium recommandées pour la lutte contre la tache amère
Époque Calcium (kg/ha) Chlorure de calcium (kg/ha/2000 L footnote *) Nitrate de calciumfootnote ** (kg/ha/2000 Lfootnote *)
Mi-juillet 3 10 15
Fin juillet 3,5 12 18
Mi-août 4 14 21
Fin août 4 14 21
Total 14,5 50 75

Compatibilité avec d’autres produits à pulvériser

Le chlorure de calcium et le nitrate de calcium sont compatibles avec la plupart des poudres mouillables, y compris le captane, le Guthion et l’Imidan, lorsqu'ils sont pulvérisés dilués (2000 L/ha). Il faut dissoudre le chlorure de calcium dans un seau et le répartir uniformément dans la cuve du pulvérisateur avant d’y ajouter le mélange épais de poudres mouillables et d’eau. La solution a besoin d’être agitée continuellement durant la pulvérisation.

Les solutions contenant du chlorure ou du nitrate de calcium sont reconnues pour être incompatibles avec le Polyram, le sulfate de magnésium, les pesticides liquides, les préparations émulsifiables et certaines préparations mouillables à base de soufre. En cas de doute à propos de la compatibilité du Ca avec certains pesticides utilisés en traitements foliaires, consulter le fabricant du pesticide ou utiliser d’autres sources de Ca dont la compatibilité avec le produit concerné est connue.

Résumé

En résumé, la gravité du problème de la tache amère dépend de plusieurs facteurs, dont les conditions atmosphériques et certains facteurs culturaux qui échappent au contrôle du pomiculteur.

Cependant, il y a plusieurs pratiques culturales qui réduisent au minimum les dommages causés par la tache amère et diminuent les pertes de fruits à la récolte et durant l’entreposage. En les adoptant, le producteur pourra accroître son revenu, en particulier celui provenant des cultivars les plus prédisposés à ce trouble. Tous ces facteurs doivent être pris en considération dans l’exploitation du verger si l’on veut produire des fruits de qualité supérieure.