Introduction

Deux maladies cryptogamiques affectent communément le feuillage des carottes dans les régions tempérées de l'Amérique du Nord : la brûlure alternarienne et la brûlure cercosporéenne. Ces deux maladies ont souvent pour effet d'affaiblir les feuilles et les pétioles des carottes, et donc de diminuer l'efficacité de la récolte mécanisée. La brûlure bactérienne des feuilles, causée par Xanthomonas campestris pv carotae, peut aussi se déclarer au cours des saisons humides ou en fin de saison quand le feuillage est dense et que les rangs se rejoignent. Les pertes à la récolte sont généralement plus graves si les feuilles malades ont en plus subi de fortes gelées. Par contre, ces maladies foliaires nuisent rarement à la croissance de la racine charnue des carottes, sauf si l'infection s'installe tôt et n'est pas combattue.

La lutte contre les maladies foliaires de la carotte passe par l'observation régulière et minutieuse de la culture, la surveillance des conditions météorologiques, la prévision des foyers de maladies, les méthodes de lutte culturale et la mise en oeuvre de traitements fongicides en temps utile, lorsque les seuils d'intervention sont atteints. Les mini-carottes et les carottes destinées à la vente « prêtes à l'emploi » sont parfois plus sensibles aux attaques des maladies foliaires à cause de la densité de semis et de la sensibilité du cultivar utilisé.

Biologie et symptômes

La brûlure alternarienne, ou alternariose, est causée par le champignon Alternaria dauci. Elle débute par l'apparition, sur le bord des feuilles, de taches brunes de forme irrégulière entourées d'une auréole jaune. La brûlure alternarienne infecte rarement les pétioles des carottes. Si les conditions sont propices au développement de la maladie, les lésions grandissent et se fondent ensemble; les folioles se recroquevillent puis meurent, comme si elles avaient été brûlées (figure 1). L'alternariose peut être facilement confondue avec les brûlures consécutives à une pulvérisation d'herbicide. Le champignon responsable, Alternaria, survit sur les semences et peut hiverner sur les résidus de récoltes infestés laissés dans le champ ainsi que sur les plants de carottes sauvages. Les spores du champignon sont disséminées par le vent, les insectes, les éclaboussures d'eau, les machines agricoles et les personnes qui circulent dans le champ. Le temps frais et humide favorise en général le développement de la brûlure alternarienne (figure 2).

La brûlure cercosporéenne, ou cercosporiose, est causée par le champignon Cercospora carotae. Elle débute par des taches rondes ou ovales, havane ou brunes, au centre desquelles les tissus sont desséchés ou morts (figure 3). La cercosporiose se déclare en général plus tôt dans la saison que l'alternariose. Les lésions arrondies peuvent s'élargir au point de converger et de provoquer la nécrose et la mort des folioles entières. Contrairement à l'alternariose, la cercosporiose peut aussi affecter les pétioles des feuilles. Les pétioles atteints s'affaiblissent et finissent par se détacher prématurément du collet (figure 4). Ni la cercosporiose ni l'alternariose ne s'attaquent à la racine charnue des carottes. Le champignon Cercospora survit dans le sol sur les résidus de culture et passe par plusieurs cycles d'infection durant la saison selon les conditions météorologiques.

Brûlure alternarienne sur feuilles de carotte.

Figure 1. Brûlure alternarienne sur feuilles de carotte.

La brûlure bactérienne due à Xanthomonas campestris pv carotae est beaucoup moins commune sauf si le temps est très humide et chaud (25–30 °C). Les lésions foliaires se traduisent par des taches brun foncé de forme irrégulière entourées d'une auréole jaune (figure 5). Si des lésions apparaissent sur les pétioles, elles sont généralement brunes et d'aspect aqueux. Les symptômes de la brûlure bactérienne peuvent être facilement confondus avec ceux des brûlures cercosporéenne et alternarienne. L'agent pathogène survit sur les semences et occasionnellement dans le champ sur les résidus de culture.

Spore du champignon Alternaria responsable de la brûlure alternarienne.

Figure 2. Spore du champignon Alternaria responsable de la brûlure alternarienne. Mesurant environ un tiers de millimètre, il est facilement emporté par le vent.

Surveillance de la culture et prévision des foyers de maladie

Dans un programme de lutte intégrée, le premier ingrédient indispensable est l'observation régulière et constante des cultures. Il faut ramasser des échantillons de 50 à 100 feuilles d'âge intermédiaire, deux fois par semaine à partir de la deuxième quinzaine de juin, et les examiner pour détecter la présence des maladies foliaires. En outre, la surveillance des conditions météorologiques et, dans certaines régions, l'utilisation de modèles prévisionnels des maladies, aident à mieux définir le calendrier des stratégies de lutte.

Des chercheurs du Québec ont élaboré un système de prévision de la brûlure cercosporéenne pour aider les producteurs, les consultants et les transformateurs à intervenir plus efficacement contre cette maladie. Pour causer l'infection, Cercospora a besoin de 6 heures de temps sec (moins de 90 % d'humidité) pour assurer la dissémination de ses spores par le vent. Il faut ensuite que les feuilles restent humides pendant au moins 24 heures. À l'intérieur de ces 24 heures, les spores peuvent survivre à des périodes sèches pouvant aller jusqu'à 12 heures. Les chercheurs ont calculé que les lésions apparaissent 216 degrés-jours plus tard (base 0 °C) selon le temps pendant lequel les feuilles sont restées humides et la température moyenne durant ce temps. Pour de plus amples renseignements sur ce système prévisionnel, on peut consulter la fiche technique d'Agriculture et Agroalimentaire Canada intitulée Cercosporose de la carotte, stratégies de lutte, publiée par le Centre de recherche et de développement en horticulture de Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec) 1998. On peut aussi se procurer la fiche technique en ligne.

Tache cercosporéenne sur feuille de carotte.

Figure 3. Tache cercosporéenne sur feuille de carotte.

Tache cercosporéenne sur pétioles de carotte.

Figure 4. Tache cercosporéenne sur pétioles de carotte.

Brûlure foliaire bactérienne (gracieuseté de la Société canadienne de phytopathologie).

Figure 5. Brûlure foliaire bactérienne (gracieuseté de la Société canadienne de phytopathologie).

Le système prévisionnel TOMCAST utilisé par les chercheurs du Collège de Ridgetown, de l'Université de Guelph, s'est révélé efficace pour prédire avec exactitude le risque de brûlure alternarienne chez les carottes. Dans la lutte contre les brûlures foliaires de la carotte, quel qu'en soit l'agent causal, les observations régulières de la culture, la consignation minutieuse des données et leur mise en corrélation avec les conditions météorologiques, la fertilité, les cultivars et les dates de semis sont des démarches indispensables.

Programmation des pulvérisations en fonction des conditions météorologiques

Depuis de nombreuses années, on utilise un système reposant sur les données relevées au champ et la surveillance étroite des prévisions métérologiques pour aider les producteurs à lutter contre les deux maladies foliaires cryptogamiques. La pulvérisation de fongicides n'est pas nécessaire tant que la brûlure n'est pas apparue sur 1–2 % de la surface foliaire totale de la culture. Pour déterminer le pourcentage de la surface foliaire infectée, on cueille 50–100 feuilles d'âge intermédiaire à divers endroits représentatifs de l'ensemble du champ. On note avec soin également les différents cultivars. Si la brûlure est présente sur 1 feuille sur 4 (13 feuilles sur 50 ou 25 feuilles sur 100), environ 1–2 % de la surface foliaire est infectée et la première pulvérisation de fongicide est à envisager. Une feuille est considérée infectée si les folioles ou le pétiole portent au moins une tache. Le moment de la saison où la brûlure atteint 1–2 % varie considérablement d'une année à l'autre et d'un cultivar à l'autre.

Si vous n'avez pas de système de prévision dans votre région, vous pouvez programmer le deuxième traitement fongicide et les traitements suivants en fonction des données relevées continuellement au champ et des prévisions météorologiques. Traitez seulement avant la prochaine pluie prévue ou avant la prochaine nuit pour laquelle la météo prévoit une température minimum de 16 °C ou plus. Les traitements sont inutiles avant une pluie prévue si la température prévue est inférieure à 9 °C comme cela se produit souvent en automne. Les infections de Cercospora les plus graves se produisent quand la pluie dure plusieurs jours et qu'il fait chaud (autour de 25 °C). Le tableau 1 résume de façon générale l'influence de l'humectation des feuilles et de la température sur la brûlure alternarienne.

Tableau 1. Nombre d'heures durant lesquelles les feuilles doivent rester mouill'es, en fonction de la température, pour qu'il y ait infection par la brûlure alternarienne
Température moyenne (°C)Cultivars sensiblesCultivars tolérants
772S.O.
84972
9–102535
11–121622
13–151115
16–20912
21–25810

La prévision concernant la brûlure cercosporéenne est peut-être plus précise, mais comme elle n'est pas disponible dans toutes les régions productrices de carottes, le système prévisionnel basé sur les données météorologiques est une solution de rechange. L'interprétation des prévisions météorologiques peut être difficile; cependant, on peut considérer qu'une prévision d'« averses dispersées » signifie une faible probabilité de pluie et donc des conditions peu propices à l'apparition de la maladie; par contre, si la météo annonce des « orages, des averses fréquentes ou des épisodes pluvieux », on peut en déduire que la probabilité de précipitation est plus élevée et que les conditions risquent d'être très favorables à la maladie.

Autres stratégies de lutte

De nombreux autres facteurs entrent en jeu dans la stratégie de lutte contre les maladies foliaires des carottes. Il est important d'utiliser des semences exemptes de maladie ou des cultivars doués de tolérance ou de résistance à la brûlure foliaire. Des rotations culturales sur trois ou quatre années et l'enfouissement profond des résidus de culture contribuent à réduire les sources d'inoculum. L'amélioration de la circulation d'air dans le champ par un plus grand écartement des rangs, la réduction de la densité de semis ou le choix de cultivars à port dressé sont de bonnes précautions. Il faut si possible situer les parcelles semées en premier, par rapport aux parcelles semées plus tard, de façon que les vents dominants ne transportent pas les spores des carottes âgées sur les carottes plus jeunes. Des carottes en bonne santé grâce à un programme équilibré de fertilisation et d'irrigation ont de meilleurs moyens de défense contre la maladie.

Si la pulvérisation de fongicides s'impose, les chercheurs ont montré que, durant la plupart des saisons de végétation, un petit nombre de traitements seulement sont nécessaires, à condition d'en choisir judicieusement le moment. On peut décider du moment des traitements fongicides en se fondant sur le résultat des observations régulières et minutieuses de la culture et en se référant aux seuils d'intervention établis. Les carottes récoltées jeunes, moins de 100 jours après le semis, ont rarement besoin d'être traitées si elles ne se trouvent pas près de carottes plus âgées. On peut retarder la pulvérisation de fongicides ou s'en passer complètement si les observations de la culture et les conditions météorologiques donnent à penser que l'infection est peu probable. En conditions sèches et s'il ne pleut pas, l'intervalle entre les pulvérisations peut être porté à 14–20 jours. On peut consulter un spécialiste des cultures pour de plus amples renseignements sur les maladies foliaires et on peut se renseigner auprès des représentants des compagnies de semence au sujet des cultivars tolérants aux taches et brûlures foliaires.

Remerciements

Le manuscrit d'origine de la fiche intitulée Pulvérisations contre la brûlure de la carotte fondées sur les conditions météorologiques a été rédigé par J. Sutton et T. Gillespie, de l'Université de Guelph, en 1979. La mise à jour a été assurée en mai 2000 par Jim Chaput, MAAARO, ancien spécialiste de la lutte intégrée dans les cultures légumières, Guelph.

Nous remercions le Dr Odile Carisse, d'AAC, à Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec) et M. Celetti, du MAAARO, qui ont assuré la relecture du manuscrit.

Nous remercions également le Secrétariat d'État pour sa contribution financière à la réalisation de la présente fiche technique.