Quand nous faisons de l'ensilage de maïs ou de l'ensilage pré-fané, nous mettons à contribution nos compétences de microbiologistes, au même titre que les vignerons, les brasseurs et les fabricants de compost. Parce qu'elle dépend de phénomènes biologiques, la confection d'ensilage ne se solde pas toujours par une réussite. Au cours de la fermentation anaérobie de l'ensilage, les micro-organismes se nourrissent des sucres et des autres glucides solubles présents dans la matière fourragère. Ces micro-organismes produisent ainsi des acides organiques, tels que le lactate et l'acétate. La présence de ces acides fait baisser le pH et crée un environnement propice à la conservation de l'ensilage. Plusieurs facteurs peuvent nuire à la réussite de l'ensilage, notamment les techniques utilisées, la météo et l'état de la matière fourragère brute.

Il est souhaitable d'obtenir une bonne fermentation pour deux raisons :

  • afin de préserver les éléments nutritifs nécessaires à une bonne alimentation du bétail;
  • afin de minimiser les pertes en matière sèche du fourrage survenant lors du processus de fermentation et lors de la reprise de l'ensilage. Ces pertes peuvent se chiffrer entre 12 % et 15 % avec une bonne fermentation, et beaucoup plus avec une mauvaise fermentation. Les pertes dues à la dégradation du fourrage peuvent être importantes.

Nous savons comment procéder pour confectionner un ensilage de qualité : il faut couper l'herbe lorsqu'elle a atteint le bon stade de croissance et une teneur en eau optimale, hacher les tiges et les feuilles à la bonne longueur, utiliser judicieusement les inoculants, maintenir un milieu anaérobie (sans oxygène) en remplissant rapidement le silo, tasser suffisamment la matière verte, couvrir le silo hermétiquement et sans retard, bien gérer la surface de reprise, etc. Cependant, il arrive parfois que les choses aillent moins bien que prévu, et on se retrouve alors confronté à d'importantes pertes dues à la fermentation et avec un ensilage peu nourrissant, peu appétant et instable. Il peut être utile de déterminer ce qui s'est passé et de trouver des moyens d'éviter que cela se reproduise.

Problèmes courants liés à la fermentation

Lorsque l'ensilage tourne mal, c'est souvent à cause d'une mauvaise teneur en eau ou de la présence d'oxygène. Les odeurs peuvent être de bons indicateurs des problèmes. Voici quelques défauts de fermentation qu'on peut reconnaître à l'odeur, ainsi que leur cause possible.

Odeur rance ou odeur de poisson

Cette odeur révèle la présence d'acide butyrique résultant de la contamination de l'ensilage par les clostridies provenant du sol. Ce problème peut se produire lorsqu'on coupe ou qu'on racle le fourrage trop près du sol. Les clostridies peuvent aussi être introduites dans l'ensilage par les pneus du tracteur utilisé pour le tassage, par les éclaboussures de pluie au champ et par l'épandage de fumier trop longtemps après la coupe précédente. L'acide butyrique se développe aussi fréquemment lorsque la matière verte est trop riche en eau (humidité > 70 %). En plus de dégager une mauvaise odeur, l'ensilage présente parfois une texture poisseuse et collante. Dans l'ensilage pré-fané, on peut observer des particules agglomérées caractéristiques de l'acide butyrique. Les pertes de glucides non structuraux dues à la fermentation sont élevées, ce qui fait que la teneur en fibre au détergent acide (FDA) est élevée elle aussi. La qualité des protéines est affectée. Avec une appétence réduite et un faible niveau d'énergie digestible, les animaux consomment moins d'ensilage et sont moins productifs. Ce genre de problème était fréquent en 2008, car il était difficile de faire du bon ensilage pré-fané entre les pluies.

Moisissure et odeur de moisi

La présence de moisissure dans l'ensilage provoque d'importantes pertes de matière sèche ainsi qu'une baisse de l'appétence et donc de la productivité des animaux. Cette détérioration est due à la présence de conditions aérobies (oxygène) résultant d'une mauvaise compaction de la matière verte, de la longueur du processus de remplissage du silo, d'une faible teneur en eau, d'une mauvaise étanchéité, d'une reprise lente ou d'une mauvaise gestion de la surface de reprise de l'ensilage. Si l'ensilage est encore chaud, cela indique que l'activité microbienne se poursuit et que le produit continue de se dégrader.

Odeur de vinaigre

L'acide acétique est plus communément connu sous le nom de vinaigre. L'acide lactique est le sous-produit le plus désirable de la fermentation, car il se développe efficacement et s'accompagne de pertes minimes en matière sèche. Par contre, un excédent d'acide acétique par rapport à l'acide lactique peut indiquer que la fermentation n'était pas optimale et qu'elle aurait peut-être bénéficié de l'ajout d'un inoculant commercial de bactéries productrices d'acide lactique (BAL).

Odeur sucrée

Cette odeur est indicatrice de hautes concentrations en éthanol produit par les levures issues de la dégradation de l'ensilage, en mélange avec de l'acide acétique. Les pertes dues à la fermentation sont souvent élevées, et l'ensilage risque de chauffer et de se détériorer dans le silo. L'acide lactique que l'on souhaite obtenir dégage peu d'odeur.

Odeur d'ammoniac

Cette odeur est révélatrice de la dégradation excessive des protéines en ammoniac et en amines, laquelle pourrait être due à une fermentation clostridienne ou à un pH élevé.

Odeur caramélisée

Cet ensilage pré-fané endommagé par la chaleur présente une couleur foncée et une odeur de tabac. Dans les cas les plus graves, il peut dégager une odeur de brûlé, résultat de températures excessivement hautes. Les dégâts causés par une chaleur excessive surviennent lorsque le fourrage est trop sec. Les protéines sont emprisonnées dans la fibre et sont donc moins digestibles. Il est possible de mesurer la teneur en azote dans la fibre au détergent acide (FDA-N, azote disponible) en laboratoire.

Analyse de la fermentation

La technologie permet maintenant d'analyser la fermentation afin de cerner les problèmes liés à la confection de l'ensilage. Cette analyse permet de quantifier objectivement ce qu'on réussit à déterminer subjectivement à la vue et à l'odeur. Elle peut être particulièrement utile lorsque les animaux présentent une faible productivité que l'analyse des éléments nutritifs ne permet d'expliquer. L'analyse de fermentation est effectuée en Ontario par Agri-Food Laboratories, ainsi que dans plusieurs laboratoires aux É.-U. Les concentrations typiques des sous-produits de la fermentation sont indiquées dans le tableau 1.

Tableau 1. Concentrations typiques des sous-produits de fermentation de l'ensilage
 Ensilage de maïsEnsilage de légumineuses
Humidité > 65 %
Ensilage de légumineuses pré-fanées
< 55 % d'humidité
Ensilage de graminées
pH3,7 à 4,24,3 à 4,54,7 à 5,04,3 à 4,7
Acide lactique (%)4 à 77 à 82 à 46 à 10
Acide acétique (%)1 à 32 à 30,5 à 2,01 à 3
Acide propionique (%)< 0,1< 0,5< 0,1< 0,1
Acide butyrique (%)0< 0,500,5 à 1,0
Éthanol (%)1 à 30,5 à 1,00,50,5 à 1,0
N ammoniacal
(% de la PB)
5 à 710 à 15< 128 à 12

Source : Dr Limin Kung, University of Delaware.

pH élevé

Un pH élevé indique une fermentation défaillante ou insuffisante, qui sera instable et qui donnera un ensilage non durable et davantage gaspillé par les animaux. L'ensilage fait avec des légumineuses pré-fanées présente une capacité tampon plus élevée que l'ensilage de graminées pré-fanées et l'ensilage de maïs, et son pH est souvent plus élevé.

Faible teneur en acide lactique

L'acide lactique doit représenter plus de 65 à 70 % de tous les acides contenus dans l'ensilage. On vise habituellement un rapport acide lactique / acide acétique d'au moins 3:1. L'acide lactique s'avère très efficace pour abaisser le pH, et l'ajout d'un inoculant BAL commercial vise donc à stimuler la production de cet acide.

Haute teneur en acide acétique

Au-delà de 3 ou 4 %, la teneur en acide acétique peut nuire à la fermentation, particulièrement si la teneur en acide lactique est notablement plus faible. Les inoculants Buchneri sont parfois ajoutés à l'ensilage de maïs et à l'ensilage de maïs grain humide pour produire de l'acide acétique en fin de fermentation, et d'accroître ainsi la durée de conservation en silo. Avec ce type d'inoculant, on pourrait penser que la fermentation est déficiente, mais il ne faut pas s'y méprendre.

Haute teneur en éthanol

Une haute teneur en éthanol indique la présence de levure, qui réduit la récupération de matière sèche et tend à favoriser la formation de moisissure et des pertes à la reprise de l'ensilage. Elle peut aussi modifier le goût du lait.

Haute teneur en azote ammoniacal

Une haute teneur en azote ammoniacal indique une dégradation excessive des protéines et peut entraîner un excès de protéines dégradées dans le rumen. Les teneurs de plus de 12 % à 15 % peuvent être problématiques du point de vue des nutritionnistes d'élevages laitiers.

Acide butyrique

Si un acide doit être surveillé, c'est bien celui-là! Sa présence conjuguée à une haute teneur en eau et/ou en cendres nous renseigne sur les aspects du processus de confection d'ensilage devant être améliorés. Dans le silo, l'acide butyrique provoque d'importantes pertes de matière sèche et d'énergie digestible. Chez les ruminants, il provoque une baisse de la quantité d'ensilage ingérée et nuit au métabolisme. Si l'ensilage est riche en acide butyrique, il vaut mieux s'en débarrasser dans la mesure du possible. Dr Gary Oetzel, de l'Université du Wisconsin, recommande les limites maximales quotidiennes suivantes pour l'ingestion d'acide butyrique, afin d'empêcher la perte d'appétit et la cétose chez les vaches laitières :

  • vaches fraîches : <50 g
  • début de lactation : <150 g
  • toutes les autres vaches en lactation : < 250 g

Outils de diagnostic

Peu importe les résultats de l'analyse de fermentation, vous n'avez pas vraiment d'autre choix que d'utiliser les stocks d'ensilage que vous avez constitués pour l'année. Toutefois, en vous fiant à l'apparence et à l'odeur de l'ensilage et en recourant à une analyse de fermentation comme moyen de diagnostic, vous devriez réussir à cerner les aspects du processus que vous pourriez améliorer dans les années à venir.

Pour plus d'information sur la confection d'ensilage, veuillez consulter le site Web du MAAARO sur les cultures fourragères.