Préparé par Rob MacGregor, John Casselman, Lorne Greig, John Dettmers, W.A. (Bill) Allen, Larry McDermott et Tim Haxton

L’anguille d’Amérique Anguilla rostrata est le seul membre du genre Anguilla qui vit en Amérique du Nord. En Ontario, on trouve cette espèce près de l’extrémité nord de son aire de répartition, qui comprend les eaux douces et côtières de l’océan Atlantique en Amérique du Nord, en Amérique centrale (Mexique) et au nord de l’Amérique du Sud.

Le savoir traditionnel des Autochtones, le savoir anecdotique (les connaissances des gens de la région), les données archéologiques, les documents historiques et les archives sur la pêche révèlent que l’anguille d’Amérique était autrefois extrêmement abondante dans tous les tributaires du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent. Son déclin dans la plupart des bassins hydrographiques semble avoir commencé dès le tournant du vingtième siècle. Plus récemment, l’anguille d’Amérique semble avoir disparu dans de nombreux secteurs de son aire de répartition en Ontario; la population est aussi gravement en déclin là où on la trouve encore, ce qui a mené à sa désignation en tant qu'espèce en voie de disparition aux termes de la Loi de 2007 sur les espècesen voie de disparition de l’Ontario.

Les connaissances scientifiques actuelles portent à croire que l’anguille d’Amérique ne consiste qu'en une seule population reproductive dont tous les individus migrent vers la mer des Sargasses, dans l’océan Atlantique, pour frayer. À partir de cet endroit, les jeunes anguilles se laissent porter par les courants océaniques pour un jour migrer dans les ruisseaux, les rivières et les lacs intérieurs. Les anguilles de l’Ontario, pratiquement toutes des femelles et les plus fécondes de l’aire de répartition de l’espèce, représentent un segment important de la population mondiale.

En Ontario, l’anguille d’Amérique est un poisson de grande valeur pour les peuples autochtones; elle était aussi très prisée par les colons européens. Elle est donc un élément important du patrimoine culturel et naturel de l’Ontario. Le déclin de l’espèce en Ontario est de toute évidence attribuable aux effets anthropiques qui sont observés depuis un siècle; l’anguille d’Amérique a complètement disparu de grands secteurs de nombreux bassins hydrographiques ontariens et elle connaît un déclin important dans le reste des plans d’eau de la province.

Les effets cumulatifs de la mortalité de l’anguille lors de son avalaison en raison des turbines hydroélectriques, de la réduction de l’accès à son habitat causée par les obstacles artificiels à sa montaison, de la récolte commerciale dans les territoires de compétence autres que l’Ontario, des contaminants, ainsi que de la destruction, de la détérioration et de la perturbation de son habitat constituent les menaces les plus graves à la survie et au rétablissement de l’anguille d’Amérique en Ontario. La carence en thiamine peut créer un stress supplémentaire chez les anguilles du lac Ontario, mais des recherches s'avèrent nécessaires pour en confirmer les effets possibles.

Le rétablissement de l’anguille d’Amérique en Ontario est un projet à long terme qui se prolongera probablement sur de nombreuses générations d’anguilles avant d’être pleinement réalisé (une génération = environ 20 ans). L’objectif pour l’anguille d’Amérique consiste à rétablir l’espèce dans un large éventail de plans d’eau dans toute son aire de répartition historique en Ontario d’ici 2150, à des niveaux d’abondance qui :1) permettent le rétablissement des relations culturelles et des valeurs liées au patrimoine naturel, 2) sont compatibles avec des écosystèmes dont l’intégrité et le fonctionnement sont de niveau élevé, 3) renforcent la biodiversité des bassins hydrographiques de la province et 4) fournissent des écoservices précieux. La réalisation de cet objectif fournira la meilleure occasion d’assurer la pérennité de l’espèce en Ontario tout en permettant aux Ontariens et aux Ontariennes de recouvrer certains des avantages qu'ils ont déjà tirés de l’espèce. Compte tenu de la longue échéance (équivalant à sept générations d’anguilles) prévue pour la réalisation de l’objectif de rétablissement, de l’éventail de méthodes d’atténuation dont on dispose actuellement et des possibilités d’élaboration de nouvelles méthodes au cours de cette période, l’équipe chargée du rétablissement de l’anguille d’Amérique est d’avis que l’objectif est raisonnable et réalisable. Bien qu'il ne soit probablement pas possible d’en arriver à un rétablissement intégral, nous devrions être en mesure de rétablir l’espèce à des niveaux avantageux dans la plupart des zones de répartition historique. Des progrès appréciables peuvent être réalisés au cours d’une seule génération. Maintenant qu'on a réglé le problème de mortalité anthropique résultant de la pêche en Ontario, on recommande que les mesures de rétablissement de l’anguille mettent l’accent sur l’aménagement stratégique de passages améliorés, adéquats et sécuritaires vers l’amont comme vers l’aval. L’objectif de rétablissement sera réalisé en atteignant les buts énoncés ci-dessous.

  1. Rétablir de façon stratégique l’accès à l’habitat dans l’aire de répartition historique de l’anguille d’Amérique.
    • D’ici 2150, restaurer la résistance de l’anguille d’Amérique au stress anthropique en Ontario en diversifiant les habitats accessibles à cette espèce dans son aire de répartition historique dans la province. Cela devrait se faire en protégeant et en rétablissant stratégiquement l’accès au cours supérieur du fleuve Saint-Laurent et au lac Ontario ainsi qu'aux bassins hydrographiques intérieurs autrefois utilisés par l’anguille d’Amérique en Ontario, ainsi que l’utilisation de ces plans d’eau.
    • D’ici 2050, augmenter le nombre d’anguilles d’Amérique et en accroître la résilience en rétablissant stratégiquement l’accès à tous les tributaires primaires de la rivière des Outaouais, du lac Ontario et du cours supérieur du fleuve Saint-Laurent (en procédant généralement de l’aval vers l’amont). Des améliorations devraient être apportées aux passages vers l’aval dans les dix ans suivant le rétablissement de l’accès aux zones où l’anguille ne pouvait pas se rendre auparavant.
    • Dès maintenant, en utilisant comme référence l’aire de répartition de l’habitat qui existait en 2000, augmenter de 10 pour cent tous les cinq ans l’accès de l’anguille d’Amérique à son habitat, conformément à l’ébauche du plan national de gestion de l’anguille d’Amérique (Canadian Eel Working Group [CEWG] 2009).

      On recommande que les zones des bassins hydrographiques auxquelles l’accès doit être rétabli soient stratégiquement déterminées par l’élaboration et l’exécution de plans de mise en œuvre axés sur les bassins hydrographiques, après consultation exhaustive du public et des Autochtones.

  2. Accroître les échappées et le recrutement.
    1. Accroître les échappées des anguilles argentées et des grandes anguilles jaunes depuis les bassins hydrographiques vers leur aire de répartition historique en Ontario.
      • D’ici 2050, réduire les taux de mortalité cumulatifs de 50 pour cent dans les bassins hydrographiques (par rapport à la moyenne de référence de 1997 à 2002; CEWG 2009). L’objectif est d’augmenter l’échappée des grandes anguilles femelles (adultes) des eaux provinciales de manière à atteindre les niveaux ciblés dans les plans de mise en œuvre à l’égard d’un bassin hydrographique donné. Cet objectif a pour but d’appuyer un plus grand recrutement d’anguilles. Puisque la pêche à l’anguille est interdite en Ontario, on devra se concentrer sur la mortalité cumulative due aux turbines.
      • D’ici 2070, augmenter annuellement le nombre d’anguilles d’Amérique en migration depuis l’Ontario vers l’océan à des niveaux conformes à ceux qui étaient observés au début des années 1980. Poursuivre les négociations avec les entreprises productrices d’électricité pour élaborer des options visant à réduire la mortalité et à accroître les échappées et lerecrutement de l’anguille d’Amérique en Ontario. Consulter les collectivités autochtones, le public et les autres parties intéressées sur les options possibles.
    2. Accroître le recrutemen.
      • Obtenir un recrutement d’anguilles remontant les échelles, mesuré selon les échelles du barrage Moses-Saunders (combinaison de l’échelle de Saunders et de celle de la New York Power Authority), conformément aux retours observés à la fin des années 1970 et au début des années 1980 à l’échelle du barrage Saunders (la seule échelle qui existait au début des années 1980).
  3. Réduire la mortalité anthropique des anguilles dans les eaux frontalières gérées conjointement avec d’autres territoires de compétence.
  4. Repérer, protéger, restaurer et améliorer les habitats dont dépendent les anguilles.
  5. Réduire les autres sources de stress de l’anguille d’Amérique (p. ex., les contaminants, les maladies et la modification, la destruction et la perturbation de l’habitat).
  6. Adopter une démarche coordonnée et stratégique appropriée, axée sur les bassins hydrographiques, pour le rétablissement de l’anguille partout dans son aire de répartition historique en Ontario.
  7. Renforcer la participation des peuples autochtones, des parties intéressées et autres partenaires à l’élaboration et à la mise en œuvre des mesures de rétablissement de l’anguille d’Amérique.
  8. Maintenir la forte participation et le leadership de premier plan de l’Ontario à l’égard de l’élaboration et de la mise en œuvre de la protection, de la gestion et du rétablissement coordonnés et interterritoriaux de l’anguille d’Amérique et de son habitat, aux niveaux national et binational.
  9. Assurer la compréhension continue de la situation actuelle de l’anguille d’Amérique et de l’efficacité des mesures stratégiques de rétablissement de la part des scientifiques, des gestionnaires, des parties intéressées, des Premières Nations et du grand public.
  10. Évaluer les méthodes potentielles favorisant à court terme l’abondance de l’anguille dans les principaux bassins hydrographiques, notamment grâce aux translocations et aux échelles à anguilles.
  11. Combler le manque de connaissances afin de faciliter et d’accroître les efforts de protection, de conservation et de rétablissement.

Le rétablissement de l’anguille d’Amérique devrait se faire par voie de coordination et d’intégration de la science, de la gestion et de la conservation dans les nombreux territoires de compétence et entre les organismes responsables de la gestion de l’anguille en Amérique du Nord. Il importe que l’Ontario maintienne les efforts importants déployés dans le but d’encourager la participation des autres parties pour renverser le déclin de l’anguille d’Amérique. Les efforts de rétablissement devraient aussi comprendre un engagement envers l’intégration de la science occidentale avec le savoir traditionnel des Autochtones et celui des collectivités dans la mise en œuvre de la stratégie de rétablissement.

Tous les couloirs migratoires (historiques et actuels) de l’anguille d’Amérique devraient faire partie du règlement sur l’habitat. Cela devrait comprendre toutes les eaux qui sont tributaires des parties ontariennes du lac Ontario, du fleuve Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais.

On recommande que le règlement sur l’habitat protège l’habitat primaire dans les eaux à la fois lentiques (calmes) et lotiques (courantes), y compris toutes les eaux qui s'étendent depuis la ligne des hautes eaux jusqu'à une profondeur de 10 m pour tous les passages actuellement ou autrefois occupés ou utilisés comme couloirs migratoires par l’anguille d’Amérique. Cela comprend toutes les rivières et tous les ruisseaux et ruisselets, tant permanents qu'éphémères. Il convient de noter que l’habitat potentiel peut être beaucoup plus vaste selon le plan d’eau et peut s'étendre depuis la ligne des hautes eaux jusqu'à n'importe quelle profondeur. On devrait se servir du savoir local pour déterminer s'il est nécessaire d’apporter des modifications à ces limites pourn certains cours d’eau ou passages. Sinon, il devrait être suffisant de protéger l’habitat primaire jusqu'à une profondeur de 10 m.

Finalement, puisque les mêmes répercussions anthropiques empêcheront le rétablissement de nombreuses espèces de poissons aquatiques en péril, une démarche écosystémique devrait être adoptée pendant l’élaboration et l’exécution des plans de mise en œuvre axés sur les bassins hydrographiques, tout en tenant dûment compte des autres espèces en péril.