Lorsque les conditions météorologiques réduisent les réserves de fourrages, il peut être très tentant de faucher de la luzerne pour confectionner de l'ensilage préfané ou de l'ensilage en grosses balles à l'automne. C'est une décision difficile, et il faut d'abord considérer les besoins immédiats en fourrages par rapport aux risques de destruction de la luzerne par l'hiver qui iront en augmentant, en plus des risques potentiels de rendements réduits le printemps suivant. Mais comment évaluer ces risques?

Qu'est-ce qui cause du stress aux peuplements de luzerne?

La faible fertilité du sol est probablement la source de stress la plus courante pour la luzerne. Les cultures de foin éliminent 6,1 kg de P2O5 et 23,5 kg de K2O par tonne de matière sèche. L'épandage de ces éléments nutritifs à l'automne contribue à améliorer la résistance à l'hiver. Le prélèvement d'un échantillon de sol en vue d'une analyse permet aux producteurs d'élaborer un plan de fertilisation. Les doses recommandées selon les résultats des analyses de sol figurent dans la publication 811 du MAAARO, Guide agronomique des grandes cultures.

Les épisodes de gel-dégel pendant les mois d'hiver peuvent créer des conditions stressantes. La couverture de neige protège les collets de luzerne contre les températures froides, et la perte de cette couverture augmente la probabilité de destruction par l'hiver. L'accumulation d'eau et la formation d'une couche de glace empêchent l'oxygène d'atteindre les racines et éloignent la chaleur du collet.

En outre, les insectes et les maladies exercent des pressions sur les plants de luzerne. Le charançon postiche de la luzerne est le plus répandu dans le sud-ouest de l'Ontario et atteint généralement le 3e et le 4e instar (soit les stades les plus dommageables du cycle de vie) au moment de la première fauche environ. La cicadelle de la pomme de terre est souvent l'insecte nuisible le plus important sur le plan économique. Cependant, la gravité de l'infestation est difficile à prévoir puisque la cicadelle n'hiverne pas; elle arrive plutôt des États-Unis, portée par les vents orageux.

Un autre important facteur a contribué aux faibles rendements des premières coupes : la fauche de la luzerne en automne. Étant donné les réserves très faibles de luzerne, on comprend pourquoi de nombreux producteurs prennent ce risque. Toutefois, on a récemment constaté plus de destruction par l'hiver, même dans des zones où c'est en général moins fréquent. Les peuplements stressés et affaiblis risquent de se détériorer davantage et leur rendement de baisser encore plus. Il peut être utile de déterrer des racines et des collets de plants de luzerne pour évaluer la présence de maladie ainsi que la santé des plants avant de prendre des décisions concernant la fauche d'automne et les rotations. Consulter la fiche du MAAARO, Évaluation des peuplements de luzerne.

Période critique de récolte d'automne

La période critique de récolte d'automne de la luzerne commence six semaines (450 degrés-jours de croissance, base de 5 °C) avant la date moyenne du premier gel meurtrier, quand la culture cesse de croître. En ne fauchant pas pendant cette période, on permet aux plants de luzerne de repousser et d'emmagasiner suffisamment de réserves dans les racines pour survivre à l'hiver et fournir une repousse plus vigoureuse au printemps. Quand la culture est fauchée tôt pendant cette période, les plants de luzerne vont utiliser les réserves racinaires existantes pour la repousse, vidant en quelque sorte « le réservoir ». Plus tard au cours de cette même période, le plant de luzerne emmagasine dans les racines des hydrates de carbone produits par la photosynthèse pour remplir à nouveau « le réservoir ». Les risques sont habituellement plus élevés lorsqu'on fauche au milieu de la période critique de récolte d'automne (3e ou 4e semaine), quand les réserves des racines ont été épuisées et pas encore renouvelées, qu'au début ou à la fin.

La période critique de récolte d'automne commence vers le 10 août pour le nord de l'Ontario, entre le 25 et le 30 août pour l'est et le centre de l'Ontario et le 4 septembre dans la région du sud-ouest (figure 1). Il est cependant difficile de prévoir quand le gel meurtrier se produira vraiment. La date réelle du premier gel meurtrier se situe rarement à la date moyenne; le début de la période critique de récolte d'automne n'est donc donné qu'à titre indicatif.

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Figure 1. Début de la période de repos automnal de six semaines de la luzerne.

Même en l'absence de destruction hivernale, le rendement supplémentaire récolté pendant la période critique est en général annulé par la perte de vigueur et de rendement de la première fauche du printemps suivant. Il est parfois difficile de faire le lien entre ces éléments, mais ils demeurent importants. Des recherches montrent que les pertes de rendement subies lorsqu'on ne fauche pas durant la période critique sont habituellement annulées grâce aux rendements plus élevés de la première coupe l'année suivante. La décision de faucher ou non en automne doit toujours tenir compte des besoins immédiats en fourrages. Si on décide de faire une coupe, on peut laisser quelques bandes non fauchées pour comparer les résultats l'année suivante.

Autres facteurs de risque

Les risques de destruction hivernale sont plus élevés pour les peuplements plus anciens, ceux qui sont faibles en potassium, qui ont un pH moins élevé, qui subissent la pression des insectes et des maladies ou encore ceux dont le drainage est mauvais; il vaut mieux éviter de les faucher à l'automne. La fauche d'automne de nouveaux semis n'est en général pas recommandée. Des programmes de coupes intenses à des intervalles de moins de 30 jours augmentent les risques de destruction hivernale alors que des intervalles de plus de 40 jours (qui permettent la floraison) réduisent ces risques. On constate souvent des rendements décevants de la première fauche dans des champs où une quatrième coupe a été effectuée l'automne précédent.

Certaines régions de la province, comme la vallée de l'Outaouais, présentent un risque historique plus élevé de destruction par l'hiver. Lorsque les réserves de fourrages sont adéquates, il n'est pas du tout conseillé de faucher à l'automne, car cela accroît les risques de destruction hivernale.

Fauches automnales tardives à la fin de la période critique de récolte d'automne

S'il faut effectuer la fauche l'automne, on peut réduire les risques de destruction hivernale (sans toutefois les éliminer) en fauchant la luzerne vers la fin de sa période de croissance, aussi près que possible d'un gel meurtrier. La situation devient difficile si les faibles réserves des racines sont épuisées par la repousse et qu'il n'y a pas suffisamment de chaume pour retenir la neige et isoler du froid les collets des plants, qui seront endommagés par le temps froid. Le fait de laisser au moins 15 cm (6 pouces) de chaume peut aider. Essayer de limiter les fauches tardives aux champs qui, à d'autres égards, présentent moins de risques, c'est-à-dire champs bien drainés et fertiles, plants dont les racines et les collets sont sains, etc. Un gel est dit meurtrier lorsque les températures ne se maintiennent pas plus haut qu'environ -4 °C pendant plusieurs heures. Après un gel meurtrier, la valeur nutritive de la luzerne diminue rapidement puisqu'il y a des pertes de feuillage et que la pluie lessive vite les éléments nutritifs.

L'insuffisance à la fois de la croissance des parties aériennes et de la capacité à retenir la neige peut aussi contribuer au déchaussement par le gel. Les chaumes vont faire saillie si de la glace se forme pendant l'hiver, permettant à l'air de pénétrer sous la couche de glace. La luzerne coupée commence sa repousse à partir des bourgeons sur les collets et des bourgeons axillaires et non pas à partir de la tige; aussi, en fauchant plus haut, on n'épuise pas les réserves dans les racines. Cependant, en coupant plus haut, on ne favorise pas la rétention de la neige comme isolant.

Étouffement

Il y a toujours un certain risque d'étouffement dans les peuplements très denses de cultures fourragères qui ne sont pas fauchés. On observe parfois l'étouffement des plants après l'hiver dans des peuplements très denses de graminées ou de trèfle rouge en raison de l'épaisseur du couvert végétal des parties supérieures. En revanche, la luzerne perd la majorité de son feuillage dès le premier gros gel, et les tiges restantes demeurent dressées et présentent rarement un risque d'étouffement.

Pour plus de renseignements

Consulter la fiche technique du MAAARO, Risques de destruction hivernale de la luzerne.