Les enfants et les jeunes de l’Ontario peuvent avoir besoin de services en milieu résidentiel à plusieurs stades de leur vie, pour diverses raisons. La durée de prise en charge peut varier, et les services peuvent être offerts par le secteur du bien­être de l’enfance, de la justice pour la jeunesse ou de la santé mentale des enfants et des jeunes. Lorsqu’ils quittent un milieu résidentiel, les jeunes peuvent retourner dans leur famille biologique ou accéder à la vie autonome, ou bien ils sont susceptibles d’être transférés dans un autre milieu résidentiel et/ou secteur. Il n’est pas rare que les enfants et les jeunes reçoivent des services en milieu résidentiel et hors milieu résidentiel de la part de multiples secteurs, changeant ainsi de type de milieu résidentiel entre les systèmes de bien-être de l’enfance, de justice pour la jeunesse et de santé mentale des enfants et des jeunes, et recevant des services de prise en charge des besoins particuliers complexes au fil du temps. Les parcours et les transitions au sein des services en milieu résidentiel sont complexes et il peut être difficile, pour les jeunes comme pour les fournisseurs de services, de s’y retrouver.

Les défis à relever pour assurer la continuité des services ont été clairement énoncés lors de nos consultations auprès des enfants, des jeunes, des familles et des fournisseurs de services à travers la province. Si nous avons entendu divers exemples d’expériences positives dans certains types de milieu résidentiel, les participants nous ont également fait savoir que les parcours au sein des systèmes de services, de traitement et de garde sont décousus et imprévisibles. Ces parcours se caractérisent par des transitions fragiles, un partage d’information médiocre et une communication inadaptée, qui tendent à miner le bien-être des enfants et des jeunes ainsi qu’à marginaliser leurs besoins en périphérie du processus de prise de décision. Bien que les jeunes sachent quels sont leurs points forts et leurs besoins, leur droit de se faire entendre lors du choix des placements est souvent mis en sourdine. D’après les témoignages recueillis, ces problèmes peuvent conduire au placement des jeunes dans des milieux résidentiels mal adaptés. S’ensuivent alors un échec et des transferts fréquents pendant la prise en charge. Pour certains jeunes, les services en milieu résidentiel se caractérisent par des transferts et des perturbations chroniques souvent peu justifiés, qui ne s’accompagnent parfois d’aucune explication donnée au jeune et à la famille. Les jeunes ne bénéficient pas d’un soutien suffisant lors de ces transitions, et ne peuvent pas compter sur des services adaptés lorsqu’ils quittent le système de services en milieu résidentiel.

Promouvoir la continuité des services est une priorité de longue date dans le domaine des services en milieu résidentiel, identifiée notamment dans les six principes essentiels élaborés par le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse pour refléter ses valeurs et orienter son travail. Chacun de ces principes présente un haut intérêt sur le plan de la continuité des services, en particulier ceux visant à (1) placer les enfants et les jeunes au cœur de toutes ses activités, (2) à répondre aux besoins complexes des jeunes de l’Ontario et (3) à améliorer les services par le biais de la collaboration et des partenariats. Malgré l’importance déclarée de ces principes, le Comité a constaté que les services en milieu résidentiel de l’Ontario ne sont pas fournis selon des pratiques axées sur les enfants et les jeunes, et peu de données probantes attestent d’un système de services collaboratif et réceptif.

La réalité observée d’une prestation fragmentée des services en milieu résidentiel n’est pas en accord avec les principes du ministère, alors que l’intégration des services fait partie des priorités clairement énoncées depuis sa création. Fondé en 2003, le MSEJ a pour mission de fournir des services aux jeunes à tous les paliers du développement de l’enfant, en intégrant les services de bien-être de l’enfance, de justice pour la jeunesse, de santé mentale aux enfants et aux jeunes et de prise en charge des besoins particuliers complexes. Dans son cadre stratégique 2008-2012, le MSEJ présentait l’intégration des services comme un principe clé et s’engageait à éliminer « les silos de [ses] programmes pour les remplacer par des modèles souples de collaboration multidisciplinaire permettant de travailler ensemble » (MSEJ, 2008c, p. 9). De même, le plan stratégique 2013-2018 affirmait que le MSEJ intègre et harmonise le travail qu’il accomplit avec les autres ministères, les intervenants, les collectivités, les enfants, les jeunes et les familles pour « éviter les cloisonnements administratifs, gagner en productivité et améliorer le partage des connaissances » (MSEJ, 2013, p. 20). Si l’intégration a été une priorité affichée dans le cadre de diverses initiatives du MSEJ (comme le Plan d’action pour l’avancement de la santé mentale), il est essentiel que les principes et les objectifs du MSEJ soient pleinement concrétisés et transposés dans la réalité afin d’améliorer l’état actuel de la prestation des services en milieu résidentiel et de prévenir les graves préjudices dont les enfants et les jeunes risquent d’être victimes si la continuité des services n’est pas assurée.

Problèmes de fond

Avis sur la prise de décision

Les besoins et la voix des enfants et des jeunes doivent être placés au cœur de la prestation des services en milieu résidentiel. La nature fragmentée des services en milieu résidentiel en Ontario empêche les décideurs et les fournisseurs de services d’accorder toute l’attention nécessaire aux besoins des jeunes.

Le Comité a pris connaissance des obstacles importants que les jeunes et leurs familles doivent surmonter pour s’orienter dans le système décousu des services à l’enfance et à la jeunesse. Des enfants, des jeunes et des familles ont raconté avoir consulté d’innombrables professionnels dans différents secteurs, sans que ces derniers communiquent jamais entre eux. À chaque étape, on demandait au jeune et à sa famille de raconter à nouveau leur histoire et d’expliquer ce qui les amenait à consulter. Les familles ont fait part de leur sentiment croissant de frustration face aux « impasses » les empêchant d’accéder aux services capables de répondre pleinement aux besoins des jeunes, même après s’être pliées à toutes sortes d’exigences. Les participants ont expliqué au Comité que le système s’accompagne de règles rigides et inflexibles en ce qui concerne les points d’entrée dans le système (par exemple, recommandation obligatoire pour l’accès centralisé aux services en milieu résidentiel dans le secteur de la santé mentale des enfants et des jeunes), l’accès aux services (par exemple, intervention d’une SAE demandée par les familles pour bénéficier d’un accès aux services en milieu résidentiel spécialisés privés non disponibles par ailleurs) et les mécanismes de financement (par exemple, manque d’équité entre les formules de financement des différents secteurs). Ces problèmes de nature structurelle sont apparus par manque de coordination entre les services.

Un problème majeur identifié lors de nos consultations s’avère le manque d’interconnexion entre la vie d’un jeune à l’extérieur d’un service en milieu résidentiel donné et sa vie au sein d’un milieu de service, de traitement ou de garde/ détention. Les jeunes ont déclaré avoir l’impression de perdre tous leurs repères, qu’il s’agisse de leurs frères et sœurs, de leurs amis, de leurs activités récréatives, de leur école, de leurs soutiens communautaires, et dans certains cas, de leurs services spécialisés hors milieu résidentiel (santé mentale, santé, secteur social et culturel, déficience intellectuelle). Ces services hors milieu résidentiel étaient souvent interrompus pendant la prise en charge du jeune en milieu résidentiel. Nous avons entendu parler d’un cas où l’association de longue date entre un jeune des Premières Nations et un centre d’amitié autochtone avait été rompue pendant qu’il recevait des services, malgré la proximité géographique du centre et du placement. Outre la perte du bénéfice thérapeutique de ces services, les enfants et les jeunes ont aussi perdu le lien important tissé avec les fournisseurs de services hors milieu résidentiel, contribuant ainsi à un défilé d’adultes généralement bien intentionnés qui n’interviennent que brièvement dans la vie d’un jeune.

La perte répétée de relations importantes avec les adultes peut avoir de graves répercussions à long terme sur l’aptitude d’un jeune à nouer de nouvelles attaches tout au long de sa vie. Ce point a également été mis en évidence dans Le livre de ma véritable histoire : Rapport sur des audiences publiques des jeunes quittant la prise en charge (2012), dans lequel il apparaît qu’être capable de maintenir une relation stable et solide avec au moins une personne fait une énorme différence dans la vie des jeunes recevant des services. Le schéma observé par le Comité reflète une vision étroite des besoins des enfants et des jeunes, ainsi qu’un manque d’intérêt à l’égard d’une collaboration avec les jeunes permettant de mettre pleinement à profit les points forts, les soutiens et les relations positives déjà présents dans leur vie.

Lors de nos consultations, nous avons constaté que les décisions de placement reposent sur une multitude de facteurs autres que les besoins et les souhaits des jeunes, et que les enfants, les jeunes et les familles n’ont pratiquement pas la parole au cours du processus décisionnel. Les considérations financières et la disponibilité des places semblent jouer un rôle démesuré dans le choix initial du placement d’un enfant ou d’un jeune et dans son transfert d’un placement à un autre. Dans certains cas, la prise des décisions de placement était déléguée à des administrateurs n’ayant aucun contact avec les enfants ou les jeunes et ne jouant aucun rôle direct dans la prestation ou le suivi des services. D’après les propos recueillis par le Comité, ce type de prise de décision est propice à l’échec du placement et à des changements fréquents subis par les enfants et les jeunes, lesquels s’accompagnent d’une rupture avec les personnes et les lieux qui leur sont familiers, même si ce n’est que pour une brève période.

À titre d’exemple, le Comité a consulté une famille qui lui a parlé de la fermeture sans préavis d’un foyer de groupe suite à laquelle son enfant, un jeune ayant des besoins particuliers complexes, est retourné auprès d’elle alors que ce n’était pas prévu par son programme de soins. Le placement initial du jeune répondait à des motifs de protection de l’enfance et si sa famille l’a accueilli, cette dernière n’était pas préparée à une transition aussi rapide. Elle a été informée que la seule raison de ce retour à la maison était le manque de disponibilité d’autres places adaptées. Les services ont été interrompus au retour du jeune dans sa famille, laquelle a vécu cette transition de façon isolée sans savoir grand-chose sur les services et le traitement que l’enfant avait reçus et sans connaître les raisons de la fermeture du foyer de groupe.

Si un certain degré de mobilité est parfois nécessaire au sein des services en milieu résidentiel et peut finalement permettre à un jeune de recevoir les meilleurs services possible, le Comité s’inquiète de constater que certains enfants et jeunes font l’objet d’un nombre déraisonnable de transferts de la naissance à l’âge adulte. Lors de nos consultations, nous avons rencontré des jeunes ayant changé de placements plus de 15 fois. S’ils sont trop fréquents, les transferts et les perturbations mettent en péril le bien-être des enfants et des jeunes et nuisent à leur capacité de forger des relations à long terme (Rubin et coll., 2007). L’instabilité des placements en milieu résidentiel est associée à un grand nombre de résultats négatifs, comme la violence et l’incarcération, même après ajustement en fonction de facteurs propices à l’instabilité (DeGue & Widom, 2009; Runyan & Gould, 1985; Ryan & Testa, 2005; Widom, 1991).

Le Comité a recueilli divers témoignages révélant qu’un jeune aurait pu rester dans son environnement actuel, mais que le changement avait été décidé en raison d’un manque de soutiens. Dans ces cas-là, le jeune quittait parfois sa famille d’origine pour recevoir des services en milieu résidentiel, ou bien il était pris en charge dans un autre milieu résidentiel (généralement plus restrictif que son placement précédent). Les participants nous ont rapporté des exemples d’enfants et de jeunes transférés d’une famille d’accueil dans un centre de santé mentale à la suite d’une crise qui aurait pu être prise en charge dans la collectivité si les soutiens nécessaires avaient été disponibles. Ce bouleversement contribuait à accroître les sentiments de stress, d’imprévisibilité et de manque de contrôle auxquels le jeune était déjà en proie.

Avis sur les parcours et la planification

Il y a dix ans, une recommandation préconisait d’offrir aux services en milieu résidentiel une place « à part entière dans le continuum de services, de la prévention précoce aux services qui s’imposent en fin de prise en charge lorsqu’un enfant ou un jeune quitte le système de services en milieu résidentiel ou devient adulte » [traduction libre] (Bay Consulting Group, 2006, p. 80). Cette recommandation émane d’un précédent examen des services en milieu résidentiel et reste pertinente aujourd’hui. Ledit examen constatait que la « panoplie actuelle des services en milieu résidentiel pour les enfants et les jeunes se caractérise par un cloisonnement entre les programmes financés par le MSEJ et les programmes des différents ministères visant la même population » [traduction libre] (Bay Consulting Group, 2006, p. 88). Le Comité a recueilli peu de données probantes suggérant que le cloisonnement des systèmes de prestation de services en milieu résidentiel documenté en 2006 était en voie d’amélioration en 2016, et des signes de détérioration ont été observés dans certains cas.

En Ontario, la prestation des services en milieu résidentiel est assurée par un ensemble de fournisseurs de services divers et variés, allant des organismes de paiements de transfert aux exploitants privés rémunérés selon un taux quotidien, en passant par les établissements du système de justice pour la jeunesse et les centres de santé mentale directement administrés par le ministère (voir le chapitre 1 consacré à la gouvernance). L’ampleur de la décentralisation fait naître des difficultés majeures quant à la promotion d’une continuité des services en faveur des enfants et des jeunes. D’après les consultations du Comité auprès des fournisseurs de services et du personnel du MSEJ, la communication est limitée entre les professionnels au sein de chaque secteur (bien-être de l’enfance, santé mentale des enfants et des jeunes, justice pour la jeunesse). Les échanges entre ces secteurs cloisonnés sont encore plus restreints. Les fournisseurs de services ont souvent peu les moyens de maintenir une relation continue avec les jeunes quittant la prise en charge, ou même d’instaurer une coordination et une planification fructueuses avec le fournisseur suivant, qu’il s’agisse d’un autre service en milieu résidentiel ou de la famille de l’enfant ou du jeune concerné. Comme indiqué dans Esprit ouvert, esprit sain : Stratégie ontarienne globale de santé mentale et de lutte contre les dépendances (2008a), le manque de coordination entre secteurs et entre fournisseurs rend difficile la navigation dans les systèmes de services et peut entraîner des lacunes, des chevauchements inutiles ou l’utilisation inappropriée des services offerts. Les initiatives comme Pour l’avancement de la santé mentale, dont l’instauration en 2012 visait à créer un système réactif et intégré répondant aux préoccupations liées à la santé mentale et aux dépendances, vont dans le bon sens, mais leurs retombées positives n’ont pas encore été démontrées ou évaluées.

Il a été évoqué que la communication est souvent limitée entre les fournisseurs de services hors milieu résidentiel et les fournisseurs de services en milieu résidentiel qui interviennent auprès des enfants et des jeunes. Ces fournisseurs de services ont également peu d’échanges avec les éducateurs et d’autres professionnels du système scolaire fréquenté par le jeune. Dans certains cas, ces professionnels n’avaient pas connaissance de l’existence de leurs confrères. Il s’avère inquiétant de constater une telle division et une telle séparation entre les adultes jouant un rôle important dans la vie d’un jeune, au vu de l’impact significatif que cela peut avoir sur les enfants et les jeunes. Nous avons observé peu d’efforts visant à instaurer une démarche conjointe de prestation des services axée sur les enfants et les jeunes qui engloberait la famille du jeune pris en charge dans le but de fournir une réponse coordonnée et efficace s’articulant autour des services en milieu résidentiel, mais aussi des soutiens familiaux, des services en milieu scolaire et de nombreux autres services communautaires.

Ce manque de communication implique que les professionnels intervenant auprès des enfants et des jeunes n’ont pas accès aux renseignements détaillés concernant les évaluations cliniques et les divers services dont les jeunes ont bénéficié au cours de leur vie. Ces professionnels, auxquels on accorde le rôle d’experts, agissent sans connaître en profondeur le contexte dans lequel s’inscrivent les besoins du jeune. Cela limite la capacité des organismes de placement et des fournisseurs de services en milieu résidentiel à offrir une réponse réfléchie et coordonnée aux jeunes nécessitant une prise en charge (services, traitement, garde/détention).

Diverses raisons ont été avancées pour expliquer ce manque de communication et de coordination entre les nombreux fournisseurs de services. Dans certains cas, les fournisseurs de services ont expliqué avoir peu de temps pour communiquer et coordonner leurs actions avec d’autres intervenants après l’admission ou le départ d’un jeune, du fait de leur charge de travail importante et des diverses exigences accaparant leur temps. Ils ont également fait état de problématiques liées à la protection de la vie privée et d’obstacles législatifs entravant le partage des renseignements pertinents. Dans d’autres cas, les fournisseurs de services entretenaient de mauvaises relations avec leurs confrères, et l’animosité ambiante empêchait toute communication à propos du jeune. Les relations concurrentielles et ouvertement hostiles entre certains fournisseurs de services sont une source d’inquiétude pour le Comité.

L’examen des services en milieu résidentiel réalisé en 2006 par The Bay Consulting Group a mis en évidence des différences majeures entre les différents bureaux régionaux et fournisseurs de services en ce qui concerne le niveau de rémunération des travailleurs de première ligne au sein du système de services en milieu résidentiel. Une décennie plus tard, nos consultations ont révélé des différences importantes sur le plan de la rémunération des aidants et du personnel, ainsi que de vastes écarts concernant le taux quotidien servant à financer les fournisseurs de services en milieu résidentiel (voir le chapitre 6 consacré aux ressources humaines). De fait, ces différences en matière de rémunération et de financement étaient parfois à l’origine de cette hostilité entre fournisseurs de services. Le même constat figurait dans le rapport Kinark (2015), dont il ressort que les systèmes de services de santé mentale aux enfants et aux jeunes, de santé, d’éducation, de justice pour la jeunesse et de bien-être de l’enfance sont séparés par « des divergences idéologiques, politiques et philosophiques d’origine historique, qui sont perpétuées par un manque d’équité du financement et une délimitation régionale arbitraire » [traduction libre] (p. 40).

Avis sur le suivi entre les différents secteurs

Le ministère n’est actuellement pas en mesure de faire le suivi des enfants entre les secteurs, ce qui a de graves répercussions sur la capacité de la province à comprendre le parcours des enfants et des jeunes au sein des services en milieu résidentiel et les résultats obtenus à l’issue de cette prise en charge. Au cours de nos consultations, nous avons appris que bon nombre d’enfants et de jeunes reçoivent, à divers moments, des services en milieu résidentiel fournis par des secteurs différents, et vivent donc dans divers milieux offrant une intensité et une qualité de prise en charge variables. Les enfants et les jeunes sont susceptibles de rentrer chez eux entre les épisodes de placement en milieu résidentiel ou de recevoir des services en continu de leur première admission jusqu’à leur départ. Les parcours au sein des services en milieu résidentiel sont aussi diversifiés que les jeunes qui en bénéficient. Il n’existe actuellement aucun mécanisme permettant de documenter systématiquement les divers services en milieu résidentiel offerts à un jeune donné au cours de sa vie, de la naissance à l’âge adulte.

Le Comité a relevé plusieurs exemples illustrant la collecte et le partage d’information ainsi que le suivi des enfants et des jeunes au sein de systèmes multiples. Par exemple, le ministère de l’Éducation a fait des progrès en matière de suivi des enfants en attribuant à chacun d’eux un numéro d’immatriculation scolaire de l’Ontario (NISO). Le NISO est un numéro unique qui identifie les élèves fréquentant le système d’éducation public et sert à assurer la traçabilité des dossiers scolaires et des évaluations de rendement. Si le NISO a d’abord concerné les élèves des paliers élémentaire et secondaire, cette initiative a ensuite été étendue aux programmes d’éducation de la petite enfance et aux collèges et universités. Sa mise en œuvre a nécessité une collaboration entre le ministère de la Formation et des Collèges et Universités et le ministère de l’Éducation. Cette collaboration offre un fort potentiel dans l’optique de comprendre le cheminement des élèves de la petite enfance à l’âge adulte.

Conjointement avec le ministère de l’Éducation, le MSEJ a lancé une initiative visant à favoriser, à l’aide du NISO, la compréhension des résultats scolaires des pupilles de la Couronne et de la société pris en charge par les sociétés d’aide à l’enfance. Si cette initiative, toujours en cours, n’a encore donné lieu à aucun rapport sur la question, il est essentiel que les collaborations de ce type soient soutenues et élargies pour inclure les enfants et les jeunes recevant des services en milieu résidentiel, quelle qu’en soit la forme, et pour inclure le partage d’information entre les secteurs assurant des services en milieu résidentiel.

Nous avons trouvé divers exemples d’occasions manquées de renforcer la capacité de suivi des jeunes entre les secteurs de services. Par exemple, la province a mis en œuvre le Réseau d’information pour la protection de l’enfance (RIPE) afin de faciliter la communication en temps opportun de renseignements critiques sur la protection de l’enfance entre les sociétés d’aide à l’enfance. Actuellement, au vu des restrictions législatives en matière de partage des données, le RIPE aura une capacité limitée pour assurer la traçabilité des renseignements entre les secteurs. Le RIPE visait à accroître les échanges d’information au sein du système de bien-être de l’enfance, mais sans prévoir la possibilité d’échanger des renseignements avec les secteurs de la justice pour la jeunesse et de la santé mentale des enfants et des jeunes, ni en ce qui concerne les jeunes ayant des besoins particuliers complexes.

Avis sur les soutiens à la transition et en fin de prise en charge

Bon nombre d’enfants et de jeunes ont besoin de soutien lors des transitions entre divers services en milieu résidentiel et lorsqu’ils quittent la prise en charge. Un manque de soutien a été documenté dans plusieurs examens précédents portant sur les services en milieu résidentiel. Dans le Plan directeur visant un changement fondamental du système de bien-être de l’enfance de l’Ontario de 2013, le MSEJ reconnaissait la nécessité d’une collaboration intersectorielle au moment de planifier la fin de la prise en charge, afin de renforcer la stabilité du logement et les rapports avec les aidants et d’autres soutiens. Il convient d’instaurer une collaboration entre les jeunes, les fournisseurs de services et les familles afin d’organiser les soutiens formels et informels dont les jeunes ont besoin au moment de la transition entre les milieux résidentiels ou à l’issue de leur prise en charge.

Le Comité a pu constater que les jeunes retournant dans leurs familles d’origine après un traitement dans un centre de santé mentale avaient des difficultés à préserver les progrès réalisés grâce à ces services. Dans bien des cas, le soutien offert par le fournisseur du service en milieu résidentiel était interrompu après leur départ. Cette préoccupation figurait également dans le rapport 2015 de Santé mentale pour enfants Ontario, d’après lequel les enfants et les jeunes perdent souvent tout contact avec les services à l’issue d’un traitement en milieu résidentiel, les livrant à leur propre sort avec peu de soutiens et de consignes thérapeutiques en fin de prise en charge. De la même façon, le rapport Kinark publié en 2015 indiquait que les jeunes placés dans des programmes de traitement de haute qualité s’épanouissent dans le milieu thérapeutique, mais se retrouvent souvent en difficulté lorsqu’ils quittent cet environnement. Kinark a demandé que l’accent soit placé sur la préparation des enfants et des jeunes à la vie après le traitement en milieu résidentiel.

Les adolescents qui sont pris en charge dans des établissements de garde/détention ont besoin de soutien au moment de leur réinsertion dans la collectivité. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents prévoit des soutiens à la réinsertion et, même si le MSEJ mène actuellement à cette fin deux projets pilotes concernant des centres de réinsertion et utilise un modèle de gestion de cas unique en vertu duquel les jeunes se voient attribuer un agent de probation chargé de planifier leur libération, il est impératif de fournir des soutiens supplémentaires au moment du retour des adolescents dans la collectivité. À l’image de la situation observée dans le secteur de la santé mentale des enfants et des jeunes, le Comité a constaté que les familles étaient souvent exclues pendant la période de garde ou de détention d’un adolescent, les laissant ainsi démunies au retour de ce dernier dans le foyer.

Les familles n’interviennent souvent pas dans le programme de soins et la vie quotidienne de l’enfant ou du jeune pendant qu’il reçoit des services en milieu résidentiel; il n’est donc pas étonnant que certaines d’entre elles aient eu l’impression de ne pas pouvoir offrir le niveau de soutien nécessaire après la prise en charge. N’étant pas épaulées pour aider le jeune à s’adapter à un autre environnement, à un nouveau milieu scolaire et à une collectivité différente, les familles se sentaient impuissantes. D’après d’autres témoignages recueillis par le Comité, le retour à la maison ou le transfert dans un autre milieu résidentiel s’est avéré particulièrement difficile pour les nombreux jeunes ayant eu des expériences négatives et parfois traumatisantes pendant la prise en charge (services, traitement, garde/ détention). Certains parents ont raconté qu’ils n’ont pas reconnu leur enfant à sa sortie du système de services en milieu résidentiel, et qu’ils ne se sentaient pas préparés à faire face aux problèmes de santé mentale et aux difficultés relationnelles qui s’étaient exacerbés pendant ladite prise en charge.

Divers chercheurs et intervenants ont mis en lumière les défis associés au fait de devenir « trop vieux » pour être pris en charge par les services de bien-être de l’enfance et d’autres formes de prise en charge hors du domicile. Comme l’a indiqué l’intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes dans le rapport 25 la nouvelle façon de dire 21 (2011), les jeunes pris en charge par la province ne bénéficient tout simplement pas du même accès aux ressources que leurs pairs non pris en charge, et ils n’ont pas la même vision des liens familiaux et communautaires. Ces vulnérabilités sont souvent le fruit d’un fort traumatisme causé par des antécédents de mauvais traitements et de négligence, et de problèmes de santé mentale. Bien que la province ait rehaussé le niveau de soutien offert aux jeunes en phase de transition ces dernières années, il est apparu clairement au Comité que les jeunes quittant la prise en charge ne se sentent ni soutenus ni préparés à la vie adulte. Dans le droit fil d’un corpus impressionnant de données probantes issues de la recherche, les participants ont indiqué au Comité que les jeunes quittant la prise en charge courent le risque de basculer dans le système des refuges ou de devenir sans abri, d’être aux prises avec le chômage chronique et de rester dépendants de l’aide sociale, et d’être atteints d’une maladie mentale.

Le Comité a appris de la bouche des enfants et des jeunes pris en charge dans différents secteurs qu’ils n’ont pas l’impression d’avoir acquis, dans le cadre des services en milieu résidentiel, les aptitudes à la vie quotidienne et les compétences sociales nécessaires pour mener une vie autonome lorsqu’ils retournent dans la collectivité ou dépassent l’âge limite de prise en charge. Dans certains cas, les jeunes avaient l’impression que ces aptitudes et compétences s’étaient détériorées pendant leur prise en charge, en raison des règles rigides et très éloignées de la vie ordinaire qui étaient en vigueur dans le milieu résidentiel, le centre de traitement ou l’établissement de garde/ détention. Ces règles, comme l’interdiction de parler pendant les repas ou les soirées cinéma, nuisaient à l’acquisition de compétences sociales, et l’utilisation de termes institutionnels (p. ex., « temps communautaire » pour parler d’une sortie au centre commercial ou d’une promenade dans le parc) avait pour effet d’éloigner encore plus les jeunes de la vie normale. Les enfants et les jeunes souhaitaient désespérément posséder les compétences et les aptitudes que les autres jeunes apprennent dans leur environnement familial, et cherchaient par-dessus tout à nouer des relations de confiance sur le long terme pour les soutenir dans leur transition vers la vie autonome.

Répercussions sur les recommandations

Une meilleure communication et une coordination accrue entre les secteurs et les niveaux de service permettraient de limiter les transferts et les perturbations dans la prise en charge des enfants et des jeunes, voire de réduire le nombre de jeunes admis au sein du système de services en milieu résidentiel. Les services de santé mentale et de gestion du comportement et des crises devraient former un cocon autour du jeune et soutenir cette personne sur son lieu de vie. Le jeune ne devrait pas être obligé de changer d’environnement uniquement parce que les soutiens supplémentaires dont il a besoin dans sa situation actuelle ne sont pas disponibles.

Les jeunes et leurs familles doivent avoir des occasions permanentes de transmettre une rétroaction sur leur expérience des services, en particulier lors des transitions au sein d’un secteur, entre deux secteurs ou hors du système de services en milieu résidentiel. Cette rétroaction doit être recueillie de façon à garantir aux enfants, aux jeunes et aux familles que leurs réponses resteront confidentielles et qu’il n’y aura aucune répercussion néfaste si elles expriment leur mécontentement au sujet d’un aspect quelconque de leur expérience des services en milieu résidentiel. Cela offrira un mécanisme donnant la parole aux jeunes et aux familles au sein du système de services en milieu résidentiel.

Chargée de prendre en charge les enfants et les jeunes qui ne peuvent pas vivre chez eux, la province a la responsabilité non seulement d’assurer le suivi des renseignements de base relatifs aux services en milieu résidentiel fournis tout au long de leur développement, mais aussi de recueillir des renseignements détaillés sur les résultats obtenus par les enfants et les jeunes à divers stades de leur vie (voir le chapitre 5 consacré aux données et renseignements et le chapitre 10 consacré aux indicateurs).

Le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse peut tirer beaucoup d’enseignements de l’expérience de mise en œuvre du NISO. Le MSEJ doit procéder à l’attribution, à tous les enfants et les jeunes, d’un numéro d’identification unique qui sera commun à tous les services en milieu résidentiel (santé mentale des enfants et des jeunes, bien-être de l’enfance, justice pour la jeunesse et besoins particuliers complexes). Ce numéro d’identification unique permettrait également de suivre les enfants et les jeunes dans le cadre des services hors milieu résidentiel qu’ils reçoivent. Si du temps et des efforts sont vraisemblablement nécessaires pour mettre en œuvre un système tenant compte des problématiques évidentes liées au respect de la vie privée, les avantages n’en resteront pas moins supérieurs aux risques et ce serait une perte de ne pas explorer la voie tracée par le ministère de l’Éducation et le ministère de la Formation et des Collèges et Universités.

Le RIPE offre un fort potentiel d’amélioration du partage d’information et du suivi entre les secteurs. Le MSEJ pourrait créer un module dans le RIPE autorisant le partage d’un nombre restreint de renseignements entre les services de justice pour la jeunesse, de santé mentale aux enfants et aux jeunes et de prise en charge des besoins particuliers complexes, ainsi que leur consultation par ces services, tout en préservant l’intégrité et la confidentialité des renseignements figurant dans d’autres modules du système.

Il est essentiel que le MSEJ mette au point une méthode permettant de suivre de façon systématique le mouvement des enfants et des jeunes pris en charge dans et entre les secteurs de services en milieu résidentiel. Cela rejoint la recommandation figurant dans Le livre de ma véritable histoire : Rapport sur des audiences publiques des jeunes quittant la prise en charge (2012), aux termes de laquelle le gouvernement devrait élaborer un système informatisé de suivi pour surveiller les mouvements des jeunes entre les secteurs de services en milieu résidentiel. Ce rapport recommandait en outre qu’un responsable de cas unique soit chargé de suivre chaque enfant à partir du point d’entrée dans le système jusqu’au départ. Cela s’avère en accord avec l’esprit de notre recommandation préconisant la création d’un poste d’examinateur au sein de la direction/division de la qualité des services en milieu résidentiel.

Il est important que les fournisseurs de services collaborent avec les jeunes recevant des services en milieu résidentiel afin de faire valoir leur voix et celle de leurs familles et fournisseurs de services directs, et aussi de comprendre pleinement tous leurs antécédents d’accès aux services et d’instaurer une coordination attentive afin de favoriser des transitions harmonieuses après la prestation de tout service.

Les initiatives du ministère visant à soutenir les jeunes en phase de transition (comme les intervenants auprès des jeunes en transition, le Programme de soins et de soutien continus pour les jeunes, la Subvention équivalant à la Prestation ontarienne pour enfants, les soutiens en faveur de l’accès aux études postsecondaires, et l’accès aux prestations pour services de santé complémentaires et aux prestations pour soins dentaires pour les jeunes âgés de 21 à 24 ans) vont dans le bon sens. La province doit prendre la responsabilité d’aider les jeunes qui lui ont été confiés à réussir leur transition vers l’âge adulte.