Sécurité, droits de la personne et dignité. Ce sont les pierres angulaires du cadre de modernisation du ministère. Toutes les personnes qui travaillent en Ontario ont droit à un lieu de travail sécuritaire respectueux de leurs droits et de leur dignité. Le personnel de première ligne et les gestionnaires des établissements correctionnels ne font pas exception. Les personnes en détention provisoire ou en détention aux fins d’immigration et celles qui purgent des peines ont elles aussi le droit à un espace sécuritaire où leurs droits sont respectés et où elles sont traitées avec dignité pendant qu’elles sont sous les soins et sous la garde de la province. La violence est une menace évidente à la sécurité d’un établissement correctionnel ainsi qu’au bien-être physique et mental des personnes qui y travaillent et qui y vivent.

La violence dans les établissements correctionnels n’est pas le résultat du hasard. C’est le produit de variables complexes et multiples qui s’entrecoupent, par exemple le nombre de détenus et les niveaux de dotation connexes, le recrutement et l’embauche, les relations entre le personnel et la direction, la sécurité dans les établissements correctionnels, les processus d’évaluation des risques et de classification des détenus, les activités des groupes criminels organisés, les problèmes de santé mentale et de toxicomanie, la mauvaise conception et (ou) construction des infrastructures, le manque de surveillance officielle et indépendante, les lacunes sur le plan des politiques opérationnelles et les manquements systémiques. Le rapport de l’EISCO, Violence dans les établissements correctionnels en Ontario : Rapport provisoire, a essayé de décortiquer certaines de ces variables. Toutefois, étant donné le délai de 90 jours accordé pour l’examen initial, la portée de ce rapport a été limitée à la présentation de conclusions sur les données disponibles et la production d’un rapport sur les commentaires des employés. Le document Violence dans les établissements correctionnels de l’Ontario : Rapport final s’est appuyé sur ces conclusions pour jeter les bases de l’enquête approfondie et a intégré d’autres commentaires des employés des établissements correctionnels afin de présenter des recommandations au MSCSC.

Personne, que ce soit les hommes et les femmes envoyés par les tribunaux ou les hommes et les femmes qui travaillent dans les établissements, personne ne se rend dans une prison pour subir de la violence.

Howard Sapers, conseiller indépendant, CBC Radio, Mai 2018

Conclusions tirées du Rapport provisoire

Les résumés des conclusions clés du Rapport provisoire sont présentés ci-dessous, selon les trois principaux thèmes mis en évidence dans le rapport. Le Rapport final est conçu pour être lu conjointement avec le Rapport provisoirefootnote 9 accessible au public, étant donné qu’il s’appuie sur bon nombre des conclusions et des thèmes qui y sont présentés.

Collecte de données et divulgation de renseignements

  • Le nombre total d’incidents de violence commis par des détenus à l’endroit du personnel signalés a augmenté au cours des dernières années, en particulier entre 2016 (793 incidents) et 2017 (1 389 incidents) (image 1). La majeure partie des incidents de violence signalés étaient des menaces. Selon les renseignements divulgués dans les rapports d’incident déclenché par un détenu, il se peut que certains types d’incidents (p. ex., menaces, incidents liés à des crachements) soient plus souvent signalés qu’auparavant. Toutefois, la hausse observée des agressions physiques signalées laisse supposer qu’une intensification ou une amélioration des pratiques de signalement n’explique pas en totalité le nombre élevé d’incidents de violence commis par des détenus envers le personnel qui ont été signalés au cours des dernières années.

    Image 1. Nombre d’incidents de violence commis par des détenus à l’endroit du personnel signalés de 2012 à 2017

    Cette image illustre la tendance à la hausse des incidents de violence commis par des détenus à l’endroit du personnel signalés dans les établissements de l’Ontario entre 2012 et 2017. Le nombre d’incidents a considérablement augmenté, passant de 793 incidents en 2016 à 1 389 incidents en 2017. Remarque : Ces chiffres correspondent aux incidents de violence commis par des détenus envers le personnel signalés par le personnel des établissements correctionnels de l’Ontario. La subjectivité et la cohérence des signalements et les pratiques de collecte et d’analyse des données au sein du ministère soulèvent des inquiétudes. Ces chiffres sont une indication du nombre d’incidents commis par des détenus envers le personnel, mais ils ne devraient pas servir de décompte définitif.

    Remarque : Ces chiffres correspondent aux incidents de violence commis par des détenus envers le personnel signalés par le personnel des établissements correctionnels de l’Ontario. La subjectivité et la cohérence des signalements et les pratiques de collecte et d’analyse des données au sein du ministère soulèvent des inquiétudes. Ces chiffres sont une indication du nombre d’incidents commis par des détenus envers le personnel, mais ils ne devraient pas servir de décompte définitif.

  • En comparant des établissements de tailles semblables, on observe des écarts importants dans les incidents de violence commis par des détenus envers le personnel signalés, tant pour ce qui est du nombre total d’incidents que du taux d’augmentation au fil du temps. Plus particulièrement, le Centre de détention du Sud de Toronto a connu une hausse des incidents de violence commis par des détenus à l’endroit du personnel signalés entre 2016 et 2017.
  • Les conclusions que l’on peut tirer en se fondant uniquement sur les rapports d’incident déclenché par un détenu sont limitées, et les méthodes actuelles de collecte et d’analyse des données du ministère ne permettent pas de bien surveiller les incidents de violence commis par des détenus à l’endroit du personnel. D’autres renseignements pertinents sur un incident, par exemple les facteurs liés à des populations carcérales, à des membres du personnel, à des établissements ou à des régions de la province en particulier ne sont pas présentés dans des formats qui se prêtent bien à l’analyse. Ces variables sont pertinentes pour expliquer la nature de la violence dans les établissements correctionnels.

Culture et dotation en personnel des établissements

  • Les membres du personnel ont indiqué qu’ils hésitent actuellement à recourir à la force, que les détenus le savent et qu’ils se servent de la situation pour défier les règles des établissements correctionnels. Toutefois, malgré une baisse de la population carcérale, les incidents de recours à la force signalés par le personnel ont presque doublé depuis 2013 (passant de 1 249 incidents signalés à 2 490 en 2017). Cette hausse pourrait être attribuable à une amélioration du processus de signalement.
  • La partie de la formation sur le recours à la force offerte au personnel des services correctionnels qui est officiellement consacrée aux techniques de désamorçage verbal de l’hostilité est incohérente par rapport à l’accent mis par le ministère sur la résolution des incidents au moyen de techniques d’intervention et de désescalade verbales. Le ministère a déclaré que le programme de formation des agents des services correctionnels sera restructuré, mais on ne sait pas quels changements seront apportés exactement ni à quel moment.
  • Les employés des services correctionnels ont continué de défendre l’idée de peines minimales obligatoires comme réponse à la violence dans les établissements correctionnels, malgré les nombreuses études qui suggèrent de façon constante que ces peines ne sont pas efficaces pour lutter contre la criminalité ou la violence. Le Code criminel n’autorise pas les juges à imposer des peines minimales obligatoires pour les infractions suivantes : menaces, voies de fait, agression armée ou infliction de lésions corporelles, voies de fait graves, intimidation d’une personne associée au système judiciaire, voies de fait contre un agent de la paix, voies de fait contre un agent de la paix en étant armé ou en lui infligeant des lésions corporelles ou voies de fait graves contre un agent de la paix. L’imposition de peines minimales obligatoires pour la majorité des incidents violents qui surviennent dans les établissements correctionnels serait contraire aux principes de détermination des peines, comme la proportionnalité, et au besoin d’adapter les sanctions au contexte unique de l’infraction et de son auteur.
  • Le nombre et le pourcentage de décisions relatives à une inconduite qui n’étaient pas claires en raison de l’absence de renseignements ont augmenté entre 2010 (717; 6 %) et 2017 (1 791; 10 %). Si des inconduites auraient pu se solder par des verdicts de culpabilité et des sanctions, mais que cela n’a pas été le cas en raison des rapports ou des documents incomplets, cette situation peut avoir contribué aux frustrations des membres du personnel qui percevaient un manque de conséquences disciplinaires pour les détenus perturbateurs.
  • De nombreux employés des services correctionnels ont exprimé des préoccupations concernant l’afflux récent de nouveaux employés et ont eu l’impression que les recrues n’avaient pas été adéquatement formées. En 2016 et en 2017, on a procédé à un nombre important de nouvelles embauches dans les établissements de l’Ontario. Toutefois, le lien entre la violence dans les établissements correctionnels et les nouveaux agents des services correctionnels n’a pas été établi de manière claire en raison des limites des données, notamment l’incapacité d’identifier les employés impliqués dans les incidents commis par des détenus à l’endroit du personnel signalés.
  • De nombreux membres du personnel ont indiqué avoir l’impression que la direction ne les avait pas soutenus dans le cadre de leurs tâches quotidiennes et qu’elle avait atteint à la légitimité de l’autorité du personnel de première ligne. Les agents des services correctionnels ont également fait état d’un manque de reconnaissance de la part de la direction. Dans une étude récentefootnote 10 le personnel a déclaré avoir un piètre moral et ressentir un mécontentement général à l’égard de la haute direction.

Pratiques opérationnelles

  • Des études fondées sur des données probantesfootnote 11 ont systématiquement conclu que des interventions précoces, une classification, des placements appropriés en matière de logement et une participation à un traitement ou à un programme peuvent réduire la violence dans les établissements correctionnels. Malheureusement, le ministère ne procède pas à des analyses régulières de la classification ou des risques fondées sur des données probantes afin de déterminer les risques pour la sécurité des établissements ou les besoins en matière de placement.
  • Certains membres du personnel des services correctionnels ont indiqué que les changements dans la population carcérale et, plus particulièrement, la hausse du nombre de détenus ayant commis des infractions violentes peuvent avoir eu une incidence sur les niveaux de violence dans les établissements correctionnels. Selon les données instantanées du ministère, le nombre de personnes en détention pour lesquelles l’infraction criminelle la plus grave était un crime violent a été relativement stable entre 2010 et 2017, mais en raison de la baisse de la population carcérale générale, le pourcentage de personnes détenues à la suite d’une infraction violente a augmenté légèrement.
  • De nombreux membres du personnel se sont dits préoccupés par le fait que les trappes pour passer les repas dans les portes des cellules offrent une occasion aux détenus d’agresser le personnel lorsqu’elles sont laissées ouvertes, notamment en lançant des objets, des liquides ou des substances corporelles. Des modifications aux trappes actuelles ont été proposées par des employés des établissements correctionnels, mais il existe peu de données prouvant l’efficacité des trappes pour passer les repas dans les portes des cellules munies d’un mécanisme de sécurité pour réduire la violence dans les établissements correctionnels. En fait, selon les étudesfootnote 12, l’ajout de « matériel » correctionnel en l’absence d’autres mesures (p. ex., unités à niveaux de sécurité multiples, outils d’attribution des cotes de sécurité fondés sur des données probantes, programmes pour les détenus et formation supplémentaire pour le personnel) serait mal avisé et potentiellement contre-productif.
  • Certains membres du personnel de première ligne et les membres du Syndicat des employées et employés de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO) siégeant au Comité mixte provincial de la santé et de la sécurité au travail ont proposé l’utilisation d’armes à impulsions comme option de réponse à la violence dans les établissements correctionnels. Les recherches effectuées par l’Équipe de l’Examen indépendant ont révélé que les armes à impulsions étaient rarement utilisées ou que leur utilisation avait cessé dans les territoires de compétence canadiens où elles avaient été mises en place, en raison du manque de données probantes suggérant qu’elles avaient réduit le risque de violence dans les établissements correctionnels.
  • Les membres du personnel des services correctionnels ont indiqué dans leurs commentaires que le manque de programmes à l’intention des détenus pourrait expliquer en partie la violence dans les établissements correctionnels. La documentation universitairefootnote 13 suggère que le traitement et les programmes pour les détenus peuvent constituer un outil de gestion efficace et entraîner une réduction de la violence et des inconduites dans les établissements correctionnels.
  • L’Institut correctionnel de l’Ontario, le seul centre de traitement à sécurité moyenne de l’Ontario pour les personnes en détention, a invariablement signalé très peu (ou pas) d’incidents de violence commis par des détenus à l’endroit du personnel entre 2012 et 2017. Plusieurs éléments de cet établissement doivent faire l’objet d’une enquête, notamment l’hébergement en dortoirs, une présélection avant l’admission, une évaluation pendant l’orientation et une dynamique culturelle différente entre les détenus et le personnel.

Notes en bas de page

  • note de bas de page[9] Retour au paragraphe EISCO, Violence dans les établissements correctionnels en Ontario : Rapport provisoire, Ottawa, Examen indépendant des services correctionnels de l’Ontario, gouvernement de l’Ontario, août 2018 (ci-après, EISCO, Rapport provisoire).
  • note de bas de page[10] Retour au paragraphe Rachelle Laroque, Penal Practices, Values and Habits: Humanitarian and/or Punitive?A Case Study of Five Ontario Prisons, dissertation de doctorat, University of Cambridge, 2014 (ci-après, Larocque, Penal Practices).
  • note de bas de page[11] Retour au paragraphe Sheila A. French et Paul Gendreau, « Reducing Prison Misconducts: What works! », Criminal Justice and Behavior, vol 33, n° 2 (2006) (ci-après, French et Gendreau, Reducing Misconducts); Mary Ann Campbell, Sheila French et Paul Gendreau, « The Prediction of Violence in Adult Offenders: A Meta-Analytic Comparison of Instruments and Methods of Assessment », Criminal Justice and Behavior, vol 36, n° 6 (2009), p. 567-590 (ci-après, Campbell et coll., Prediction of Violence); Richard C. McCorkle et coll., « The Roots of Prison Violence: A Test of the Deprivation, Management, and “ Not-so-Total ” Institution Models”, Crime & Delinquency, vol. 41, n° 3 (1995) (ci-après, McCorkle et coll., Roots of Prison Violence); Beth M. Huebner, « Administrative Determinants of Inmate Violence: A Multilevel Analysis », Journal of Criminal Justice, vol. 31, n° 2 (2003) (ci-après, Huebner, Inmate Violence).
  • note de bas de page[12] Retour au paragraphe Anthony E. Bottoms, « Interpersonal Violence and Social Order in Prisons », Crime and Justice, vol. 26 (1999); Richard McCleery, « Authoritarianism and the Belief System of Incorrigibles », dans Sharon Shalev, Supermax: Controlling Risk Through Isolation, Portland (Oregon), Willan Publishing, 2009; Marie Garcia et coll., Restrictive Housing in the US: Issues, Challenges, and Future Directions, National Institute of Justice, Washington, D.C., 2016.
  • note de bas de page[13] Retour au paragraphe French et Gendreau, Reducing Misconducts, supra, note 11.