Nous avons structuré nos observations en cinq thèmes, comme le montre la figure ci-dessous. Il importe d’insister sur la nature interactive de ces thèmes et le fait que plusieurs de nos recommandations en toucheront plus d’un. Collectivement, nous estimons que les conditions décrites dans les exposés de faits suivants se sont fondues pour créer un milieu correctionnel fondamentalement dangereux, désuet et décalé par rapport aux objectifs et besoins modernes à satisfaire. En abordant chaque thème séparément dans l’exposé de faits, nous espérons que les conditions seront claires pour quiconque a un rôle à jouer.

La figure 6 illustre une série de facteurs contribuant actuellement à une moins grande sécurité dans les établissements de détention de l’Ontario, où il existe des occasions clés de prévenir les décès et les blessures graves chez les détenus, d’améliorer la sécurité et le bien-être du personnel correctionnel et d’améliorer les résultats dans l’ensemble du système de justice pénale.

Image
Figure 6

Description complète de la figure 6

Nous pensons qu’il est urgent d’agir dans tous les domaines recensés. Nous remercions l’équipe de l’EDEC et toutes les délégations de leur franchise et de leurs suggestions constructives qui nous ont permis de mettre l’urgence de la situation bien en évidence. Nous avons constaté que le personnel et les intervenants ont une volonté commune d’apprendre et d’agir. Nous avons donc bon espoir qu’en mettant davantage en lumière ces questions et préoccupations, des solutions pratiques et réalisables seront mises en œuvre à court et moyen terme.

A. Mission : Urgence de rééquilibrer le mandat évident de sécurité et de contrôle

Comme c’est le cas dans bon nombre de nos institutions de longue date, les professionnels de la fonction publique d’aujourd’hui ont hérité de systèmes et de cultures de travail aux origines remontant à loin et bien ancrés. Ces cultures peuvent se refléter dans des cadres vieux de plusieurs décennies, la langue dominante et les mythes qui façonnent les interactions quotidiennes. Ces interactions peuvent à leur tour se manifester dans les réflexes décisionnels de tous les membres du système. Dans le domaine correctionnel comme dans l’ensemble de son appareil de justice pénale dans une large mesure, l’Ontario prône depuis longtemps des politiques plus progressistes, de nouveaux choix structuraux et des décisions organisationnelles qui refléteront les pratiques correctionnelles éprouvées. Beaucoup de progrès a été réalisé, ce qui se reflète clairement dans les connaissances et attitudes constatées par notre comité. Il semble toutefois que trop de vestiges du passé continuent de dominer la réalité quotidienne dans les 25 établissements correctionnels de la province.

À bien des égards, adopter pleinement les pratiques modernes est un luxe que ne peuvent pas se permettre les systèmes au point de rupture. Comme les gestionnaires et le personnel ont peu de moyens, les systèmes se rabattent souvent sur un mandat plus apparent et soi-disant essentiel à la mission, ce qui semble être le cas pour les services correctionnels de l’Ontario. Ce mandat historique évident de garde et de contrôle réduit presque au silence la solution de rechange : mettre progressivement l’accent sur les soins, le bien-être, les programmes de soutien et le retour efficace à la vie dans la communauté. Malheureusement, cela se produit à un moment où les pratiques plus progressives sont plus que jamais nécessaires, et si elles sont appliquées pleinement, elles seront beaucoup plus compatibles avec les réalités et besoins de la population carcérale d’aujourd’hui.

Nous avons trouvé à plusieurs reprises des preuves manifestes de ce phénomène, qui se manifeste de nombreuses manières, dont celles qui suivent.

Sécurité maximale par défaut

Les établissements de l’Ontario sont presque tous configurés pour la détention à sécurité maximale, même si seulement un faible pourcentage de personnes sous garde ont été accusées d’un crime violent. Cet élément à lui seul révèle une culture où le contrôle est la priorité apparente et dominante. On nous a encouragés à nous informer sur l’outil SAFER d’évaluation des risques relatifs à la sécurité, un outil novateur permettant d’évaluer le risque de mauvaise conduite d’une personne au moment de son admission et pour la durée de sa détention. Cet outil aide le personnel à anticiper les comportements inappropriés et à les rectifier s’ils se produisent. Certaines personnes ont parlé du risque d’inégalité dans son application, ce qui mérite l’attention et doit être amélioré.

Isolement d’office

Nous comprenons qu’il est difficile, sur le plan structurel, de modifier la conception des établissements à court terme. Mais nous avons été profondément préoccupés d’apprendre que ce sont en fait les décisions de première ligne qui, souvent, l’emporte sur les meilleures tentatives de fournir des environnements mieux adaptés aux risques. Sans doute pour une multitude de raisons, le nombre d’agents des services correctionnels a chuté à un niveau tellement bas que les confinements barricadés sont devenus la mesure de routine. Lors d’un confinement, les programmes ne sont pas offerts, et les soins de santé, le soutien spirituel et les visites peuvent être annulés ou interrompus. En outre, les limites de capacité nécessitent souvent des mesures d’isolement simplement en raison de la surpopulation carcérale, par exemple lorsqu’il n’y a pas d’autre lieu sûr pour les femmes ou les personnes d’un genre différent introduites dans un établissement dont la population dominante générale est les hommes. Comme l’indique l’encadré plus haut, la pandémie de COVID‑19 a certainement entraîné une forte hausse des conditions similaires par nécessité sanitaire. Nous avons également appris que la politique d’isolement récemment mise à jour est souvent contournée par des confinements barricadés et d’autres raisons opérationnelles à court terme. Cette politique vise à limiter et à consigner pour suivi les placements dans des conditions hautement restreintes pendant 22 à 24 heures ou l’absence d’interaction sociale significative pendant au moins deux heures par jour.

Déséquilibre des priorités de formation des agents des services correctionnels

D’après ce que nous savons du programme de formation, il est évident que le langage dominant tend fortement vers le contrôle. Il est sûr que les agents des services correctionnels et les autres personnes doivent placer la sécurité au premier plan et acquérir les connaissances, compétences et aptitudes (CCA) nécessaires à la gestion des situations les plus risquées et dangereuses. Mais en l’absence d’un modèle de compétences plus large et compte tenu de la capacité et de la rigueur insuffisantes pour assurer la conformité de la formation en cours d’emploi, il semble que la plupart des agents des services correctionnels n’aient que des compétences superficielles en soins d’urgence, en santé mentale, en interventions sensibles au traumatisme et à la violence et en d’autres aspects complémentaires de leur rôle moderne. Fait préoccupant : il semble y avoir peu de volonté à combler les lacunes d’apprentissage, et la formation nous a semblé être une faible priorité dans l’ensemble du système. Pour des raisons inconnues, les processus de perfectionnement du personnel en place sont très peu transparents, et il est très difficile pour les autres de s’impliquer s’ils ne sont pas directement responsables des programmes de formation.

Dévaluation constante de l’expérience et des perspectives familiales et communautaires

Lorsque notre comité s’est enquis de la participation active des personnes ayant de l’expérience avec les volets sous forme de mises en situation de la formation des agents des services correctionnels, c’est comme si nous parlions une langue étrangère. Et ce n’est pas arrivé qu’une seule fois au cours de nos discussions avec les délégations, révélant du même coup une forte tendance à escamoter la question de l’inclusion des personnes autres que les responsables du système. Cela est aussi ressorti des importantes lacunes d’information ayant frustré et isolé les familles des personnes décédées, bien que l’introduction récente du poste d’agent de liaison en matière de soutien à la famille (nous en parlons plus loin) nous a grandement soulagés. Cette réalité est aussi évidente dans le manque de rétroaction suite aux enquêtes, à part ce qui est obligatoire et généralement réservé aux chefs d’établissement et à leurs directeurs régionaux, ainsi que dans le refus de toute forme de commémoration spirituelle des vies perdues dans les établissements ou à l’extérieur.

Abandon officieux des programmes de soutien

Il serait injuste de notre part d’affirmer qu’aucun programme n’existe. Nous avons été informés de nombreux efforts louables pour offrir des programmes de soutien aux personnes sous garde, souvent de manière créative et adaptée. La plupart de ces programmes sont offerts par des organismes communautaires ayant une solide réputation et des critères d’évaluation de la qualité de leurs services. Cependant, les interruptions d’accès dues aux confinements barricadés, à l’indisponibilité générale du personnel et à la concurrence féroce pour l’accès à des lieux de rassemblement adéquats ont contribué à réduire à l’extrême l’offre de programmes. Nous avons appris de contributeurs que cela se traduit par une ambiance dominante d’ennui. Nous avons également appris qu’il y a un lien direct entre cette décourageante monotonie et la consommation croissante et continue de substances potentiellement toxiques, et nous savons que les liens entre l’isolement et le suicide sont déjà bien documentés. On inclut aussi la planification de la transition, très importante, qui permet d’aiguiller les personnes libérées vers les ressources de soutien dans la communauté et les organismes de soins de santé. Là encore, en raison des limites de capacité, ces liens essentiels sont régulièrement sacrifiés.

Effets dévastateurs du manque de soutien par la famille, la communauté et les professionnels

Collectivement, les politiques, la conception des établissements et les limites de capacité actuelles ont restreint les visites tant en détention qu’en situation d’absence temporaire, ainsi que les liens familiaux et sociaux à un degré qui ne cadre pas du tout avec les attentes d’une approche carcérale moderne et bienveillante. Bien que les raisons puissent être complexes, le message envoyé aux personnes concernées est que les interactions sociales et les relations humaines ne comptent pas vraiment. Encore une fois, les données probantes sur le suicide, les décès accidentels par intoxication et le mal-être général qui peut conduire à des décès naturels précoces montrent sans l’ombre d’un doute que les interactions et relations importent beaucoup. Les liens avec la famille, les amis et les personnes de soutien sont des facteurs bien documentés pouvant prévenir l’aggravation des problèmes de santé mentale tout en favorisant un plus grand bien-être et la réinsertion. Lorsque ces liens sont aussi effacés qu’ils le sont maintenant dans nos prisons, les problèmes de santé peuvent empirer, et le manque de liens peut jouer dans le cycle de l’ennui et avoir des conséquences tragiques.

Dans nos recommandations à la partie trois, nous énonçons plusieurs mesures immédiates qui, si elles sont prises simultanément, pourraient établir un nouveau mode de fonctionnement dans les établissements correctionnels de l’Ontario, ce qui améliorerait les résultats individuels et communautaires et sauverait de nombreuses vies par la même occasion. À son tour, une enculturation étendue de ce concept renouvelé et rééquilibré mènerait à des décisions différentes à tous les échelons, du plus petit au plus grand. Comme il a été constaté dans d’autres systèmes et secteurs d’activité, cela peut engendrer un niveau accru d’innovation et d’adaptation créative, deux ingrédients nécessaires pour que l’infrastructure de longue date ne reste pas le seul symbole déterminant de ce qui compte pour l’Ontario au XXIe siècle.

B. Responsabilisation : Urgence d’un leadership plus affirmé et collaboratif, d’un respect scrupuleux des politiques et d’une culture d’apprentissage

Il est toujours difficile d’orienter des observations vers un sous-ensemble donné du système. Nous reconnaissons d’emblée que les personnes occupant les postes les plus influents sont elles-mêmes déterminées à obtenir les meilleurs résultats et qu’elles se trouvent souvent limitées par les vestiges du passé, l’inertie bureaucratique et les liens plus complexes entre leur champ de contrôle et d’autres parties du système global. Nous espérons que nos observations et recommandations sur ce thème donneront plus de liberté aux cadres et gestionnaires et intensifieront et accéléreront peut-être les améliorations et innovations qu’elles ont tenté de mettre en place.

Pour des raisons inconnues du comité, le modèle correctionnel actuel en Ontario semble avoir été en quelque sorte cloisonné, la responsabilisation directe étant concentrée à l’interne. Même si le système représente une part importante de la fonction publique provinciale, il semble juste de faire observer que les hauts fonctionnaires ne lui accordent que très peu de l’attention nécessaire. Nous considérons l’examen du coroner, aussi malheureux soit-il, comme une occasion de voir à ce que ces décès reçoivent l’attention qu’ils méritent du système entier.

Nous avons cerné de nombreux aspects de la responsabilisation qui peuvent et doivent être renforcés :

Lacunes dans les politiques et pratiques

L’état d’isolement du système correctionnel au sein du gouvernement, tel que susmentionné, semble se transmettre en cascade, un peu comme des poupées gigognes, au ministère, dans la région, dans chaque établissement et jusque dans les rangs. Les données de Surveillance et enquêtes pour les services correctionnels (SESC) sur les décès et autres incidents critiques révèlent des niveaux sidérants de non-conformité aux politiques établies depuis longtemps et bien documentées. Nous nous sommes demandé si cette situation n’était pas le signe d’un fléau de « désobéissance » ou si un trop grand nombre des politiques citées n’étaient pas en phase avec les réalités opérationnelles. Nous avons également découvert une dichotomie intéressante : les cadres supérieurs expliquent la non-conformité par l’autonomie des gestionnaires locaux et régionaux, ou du moins par les différentes interprétations qu’ils donnent à la conformité, tandis que les gestionnaires locaux et régionaux pointent généralement la stricte uniformité à l’échelle du système pour expliquer l’absence de solutions créatives et novatrices. En première ligne, cela a contribué au climat de peur qui règne, où aucun agent des services correctionnels ne veut être la dernière poupée gigogne, celle à qui l’on peut imputer la violation d’une politique ou d’un ordre permanent, donc celle qui doit assumer seule la responsabilité professionnelle d’une longue chaîne d’incertitude et de confusion. Il semble que ce genre de conséquences en première ligne soit souvent un frein à la carrière. Plus haut dans la hiérarchie, nous n’avons pas été en mesure de détecter de tendance notable des conséquences, même dans cette tourmente de l’augmentation inquiétante des décès dans les dernières années. Nous ne pouvons que conclure que cela est dû en grande partie à l’état diffus de responsabilisation qui existe.

Lacunes dans l’apprentissage

Parmi les préoccupations liées à ce qui précède, la plus troublante est sans doute la perte des occasions d’apprentissage. Dans un contexte où la peur du blâme prime en première ligne et où le respect de l’autonomie régionale et locale prévaut au sommet, il semble que peu de gens s’engagent dans la déconstruction collaborative des événements d’importance critique pour tirer des leçons précieuses et les appliquer à l’échelle du système. Nous constatons que dans la mesure où l’apprentissage est pris en compte, il semble y avoir une tendance à l’analyse indépendante par le chef d’établissement ou, tout au plus, une certaine responsabilisation des directeurs régionaux. Lors de nos consultations, nous n’avons pas découvert de véritable modèle d’apprentissage à l’échelle du système, pas même à la suite des enquêtes de SESC et de l’examen du coroner. Il semble que périodiquement, les établissements de taille et de nature semblables puissent partager leurs expériences et leurs résultats, mais cela semble se faire ponctuellement et à la discrétion des gestionnaires. En fin de compte, il ne fait aucun doute que d’importantes occasions d’améliorer la sécurité, les soins et le soutien aux personnes sous garde sont perdues. À l’inverse, un modèle de collaboration réfléchi et coordonné entre les 25 établissements pourrait favoriser un environnement d’amélioration continue et probablement révéler les obstacles insurmontables auxquels se heurtent le personnel et les gestionnaires de chaque établissement en matière de changement.

Rôle des leaders = donner le ton

Plusieurs des recommandations principalement liées à notre premier thème ont également une pertinence directe ici. Si le système doit adopter et refléter un mandat rééquilibré, il incombera à chaque leader, à chaque échelon successif de responsabilité, de s’assurer que cela se reflète dans ses interactions quotidiennes avec les personnes sous sa responsabilité. Si un nouvel ensemble de principes d’encadrement peut être élaboré, avec l’avantage d’une approche inclusive comme nous le proposons à la recommandation 1, alors ces principes devraient rester au cœur de chaque décision et interaction se produisant dans le fonctionnement normal de chaque établissement.

C. Données : Urgence d’une plus grande transparence et de rapports cohérents, clairs et sérieux durant tout le processus

Nos intuitions sur ce thème sont apparues bien avant que nous n’amorcions notre travail. L’équipe de recherche de l’EDEC a eu de la difficulté à consulter, interpréter et utiliser les sources de données, qui comprenaient des documents papier (forme archaïque), des dossiers électroniques incomplets et des rapports à la structure souvent illogique. Elle a également rencontré des unités organisationnelles dont la réponse aux demandes d’information variait d’enthousiaste à consentement tacite. Les délégations nous ont aidés à mieux comprendre pourquoi il en allait ainsi. La qualité des données dans l’ensemble du système est bien inférieure aux attentes modernes, et il semble que toutes les personnes concernées ou presque soient au courant de la chose.

À part le problème de disponibilité et d’utilisation de données de qualité, le comité s’est très nettement rendu compte que les acteurs du système sont manifestement réticents à partager l’information.

Grosso modo, nous avons constaté une culture du « besoin de connaître » visant à se protéger soi-même ou à protéger le système à laquelle s’ajoute une mentalité du « très peu de gens méritent de connaître l’information ». Encore une fois, cette attitude semble se transmettre en cascade des décideurs politiques principaux aux gestionnaires intermédiaires régionaux et institutionnels, puis aux agents des services correctionnels de première ligne, qui peuvent décider de transmettre ou non l’information. Malheureusement pour les personnes sous garde, il s’agit d’un environnement dangereux dans lequel il a été démontré beaucoup trop souvent que ce que l’on ignore peut tuer.

En collaboration avec l’équipe de l’EDEC, nous avons relevé plusieurs occasions d’amélioration urgentes sur les plans de la transparence, de la qualité des données et des comportements généraux de production de rapports :

Extrême vulnérabilité des personnes réduites au silence

Pour les personnes tenues à l’écart du pouvoir, le fait d’être entendues ou réduites au silence repose sur la volonté des gens en position de pouvoir et de contrôle. Il en va de même pour la possibilité d’être entendues sans crainte de représailles, parfois violentes. Les raisons les plus cyniques que nous avons entendues pour faire taire les rangs sont que le contrôle et l’ordre exigent de modérer les plaintes et perturbations. Certes, nous comprenons l’existence de telles situations. Mais la plupart des gens ne disposent que d’une seule voie de communication, donc que se passe-t-il si l’information retenue risque de contribuer à la détérioration de la santé ou de la sécurité de la personne ou d’autrui? Selon les régimes d’accès à l’information actuels, il est impossible pour nous ou quiconque de prouver concrètement que l’information retenue a mené à des décès ou la mesure dans laquelle une transmission plus libre de l’information aurait permis de sauver une vie. Par contre, nous pouvons affirmer avec certitude qu’il existe un fossé énorme entre ce que l’on prétend se passer dans les rangs, que ce soit dans les notes ou documents officiels, lorsqu’ils sont disponibles, et ce qui se passe réellement, sur la base d’intuitions découlant de notre expérience et des observations des familiales ou des défenseurs des droits. Pour éviter d’autres préjudices, il faut combler ce fossé en instaurant immédiatement des pratiques et systèmes plus fiables et plus sûrs pour que les personnes sous garde puissent transmettre de façon sécuritaire l’information aux gens devant les entendre et aux gens ayant la capacité de protéger leur santé et leur bien-être.

Manque d’information sur l’heure et le lieu du transfèrement

Puisqu’une forte proportion des décès dans le champ d’études sont survenus dans les heures ou les jours suivant l’admission, il est primordial que le transfert du détenu du tribunal vers son transport à la prison, puis vers l’unité d’admission et de mise en liberté, soit autant que possible transparent et exempt d’erreur humaine. Les systèmes actuels ne sont pas à la hauteur de cette exigence. Nous avons appris l’existence de notes papier à structure libre pouvant ou non être suffisamment complètes ou précises, se perdre durant le transfert et être lues avec la diligence nécessaire.

Enquêtes et utilisation des résultats et des renseignements

Nous sommes heureux des investissements continus dans Surveillance et enquêtes pour les services correctionnels (SESC) dans les dernières années vu son importance vitale. À ce jour, SESC, qui comprend l’Unité des renseignements pour les services correctionnels de l’Ontario (URSCO), n’a pas encore atteint la capacité et la portée requises. Les deux unités combinées n’ont actuellement pas la capacité suffisante pour fournir les données probantes nécessaires à la détermination des tendances et aux analyses, au comblement des lacunes dans les politiques, à la détermination des besoins de formation, et à l’offre de soutien stratégique à la direction pour atténuer les risques à la sécurité recensés dans les 25 établissements. Les ressources limitées de SESC sont éparpillées, car elles doivent actuellement servir à la fois les établissements de détention et les agents communautaires de probation et de libération conditionnelle du système correctionnel. Pour le moment, SESC n’a pas non plus accès à toutes les bases de données correctionnelles pertinentes nécessaires pour diffuser efficacement et adéquatement les renseignements ou veiller à l’application la plus large possible des résultats d’enquête.

SESC indique que les leaders opérationnels se fient de plus en plus à ses conclusions et à ses données sur les questions urgentes comme les décès de personnes sous garde, la contrebande, les agressions entre prisonniers et le recours à la force. Cependant, l’unité doit bonifier ses capacités d’analyse et mettre à jour ses systèmes technologiques et d’information pour que les enquêtes et les résultats engendrent une meilleure application des politiques et pratiques en temps réel dans tous les établissements. Compte tenu des tendances alarmantes en matière de préjudices recensées durant notre examen, nous croyons que la priorité devrait être l’amélioration de ces capacités, et peut-être faire de SESC un bureau d’inspection complet, comme cela a été fait récemment dans le système de maintien de l’ordre provincial.

Capacité accrue du Système informatique de suivi des contrevenants (SISC)

On peut raisonnablement s’attendre, au minimum, à ce qu’une fois qu’une personne est transférée dans un établissement correctionnel provincial, l’information sur le lieu où elle se trouve, son placement et son expérience de détention soit conservée et consignée adéquatement. Bien que ce soit actuellement le cas dans le Système informatique de suivi des contrevenants (SISC) — la principale base de données utilisée par les services correctionnels de l’Ontario pour faire le suivi des personnes sous garde –, notre comité a appris de l’équipe d’examen et des délégations que ce n’est pas toujours vrai dans les faits. Vu divers problèmes (limites technologiques et obstacles opérationnels et procéduraux, notamment manque d’accès au SISC par le personnel des établissements et absence de normes de qualité pour la saisie des données), l’information est souvent incomplète, non vérifiée ou omise de la base de données, ce qui menace l’intégrité des renseignements recueillis et contribue inutilement aux situations dangereuses, tant pour le personnel que pour les personnes sous garde.

Une lacune particulièrement préoccupante pour notre comité, soulevée à plusieurs reprises par le personnel des établissements, est le manque d’accès au SISC par la totalité des gens participant aux soins d’une personne (ALDA, aumôniers, etc.) et le niveau alarmant de données négligemment omises pour cette raison. Sans un accès systématique au SISC pour consigner avec précision chaque interaction des fournisseurs et la prestation des programmes, les avantages et possibilités du SISC comme système de gestion de l’information sont mal exploités. Sans portrait complet ou compréhension totale de la situation unique d’une personne, il est pratiquement impossible de répondre adéquatement à ses besoins. Une base de données comme le SISC ne peut être un outil d’information efficace que si tout le personnel concerné peut y accéder de manière systématique et fiable.

Les personnes ayant accès au système électronique ont dit au comité être préoccupées non seulement par les renseignements limités disponibles dans le SISC, mais aussi par la qualité des données qu’il contient. L’une d’elles a déclaré ceci : « L’indicateur de risque de suicide peut être assez vague. Il peut mentionner “tentative en 2001”, sans plus de détails. Cela dépend de la personne qui procède à l’admission, des documents ou mises à jour que l’on retrouve dans le SISC, et si le membre du personnel connaît bien la personne, par exemple les accusations portées contre elles ou ses antécédents médicaux. » Même son de cloche des délégations, qui ont dépeint un environnement dans lequel le personnel est poussé à adopter une approche « minimaliste » lorsqu’il saisit les données dans le système et où le partage d’information entre employés est souvent déterminé par l’échelon occupé.

En tant que principale source de données électroniques des services correctionnels de l’Ontario, on s’attend à ce que le SISC soit aussi fiable et exempt d’erreur humaine que possible. Toutefois, à l’instar des lacunes en matière d’information susmentionnées lors des transfèrements, la base de données électronique actuelle n’atteint pas le niveau de qualité de tenue des dossiers ou de normes de données requis pour un échange d’information, une analyse ou une gestion opérationnelle fiable.

Il serait bénéfique d’étendre l’accès au SISC à tout le personnel de première ligne afin que les données actuellement consignées dans les dossiers physiques puissent être archivées numériquement. Bien qu’il puisse y avoir des problèmes à résoudre concernant la protection des données, le SISC pourrait servir à enregistrer les dossiers médicaux, l’accès étant accordé au personnel aux termes de protocoles de confidentialité rigoureux. En outre, le comité estime que ce système de données primaires doit également refléter la mission équilibrée évoquée ci-dessus et, à cet égard, on devrait supprimer le terme « contrevenant » de son nom.

Libre accès aux indicateurs de rendement

Notre comité a été surpris par le manque d’indicateurs et de données primaires en libre accès sur le rendement et les incidents, comme cela s’est manifesté tout au long de la phase de recherche et s’est accentué lors de notre examen. Nous constatons que cette tendance manifeste à ne pas divulguer l’information semble contredire les philosophies et pratiques de données ouvertes adoptées dans l’ensemble de la fonction publique de l’Ontario. Cette réticence évidente à l’égard de la transparence, qu’elle relève de politiques expresses ou implicites ou simplement d’habitudes bien ancrées, risque de miner la confiance du public et des employés dans le système correctionnel.

À l’inverse, comme on le constate dans d’autres domaines, notamment en santé, en santé publique, en éducation et en maintien de l’ordre, l’information publique peut stimuler la bonification des systèmes et l’innovation en réponse aux préoccupations et possibilités soulevées par des acteurs mieux informés. Notre mandat ne consiste pas à faire une analyse complète de l’amélioration de l’accès aux données ni de la mesure de cet accès plus ouvert. Cependant, nous pensons que les facteurs contributifs indiqués à chaque thème bénéficieraient d’une meilleure visibilité et tireraient profit des moteurs de changement que cette information peut générer, et nous encourageons vivement le ministère à agir dans ce sens.

D. Dotation et emploi (agent des services correctionnels) : Urgence de rétablir la capacité et de promouvoir une culture de sécurité, de soins et de bien-être des employés

Avant de faire part de nos observations dans cette section, nous reconnaissons qu’aucun rapport comme celui-ci ne peut véritablement rendre compte de la complexité et de la diversité de l’expérience professionnelle quotidienne du personnel correctionnel des 25 établissements de l’échantillon. Travailler en milieu correctionnel exige du courage, de la compassion et du dévouement, des qualités qui sont constamment ressorties dans les entrevues de l’EDEC, les questionnaires et nos discussions avec les agents des services correctionnels, leurs représentants syndicaux et les fonctionnaires du ministère, qui sont les mieux informés sur la dotation, la formation, les relations de travail et la gestion des ressources humaines. D’autres éléments, comme la durée des fonctions, révèlent que beaucoup d’agents passent la majorité, voire la totalité, de leur carrière dans le système correctionnel, ce qui démontre leur engagement à l’égard du mandat de ce système et l’importance qu’ils accordent à leur rôle dans le système judiciaire.

En gros, les agents ont parlé de plusieurs changements positifs en cours et ont clairement indiqué que le personnel est dans l’ensemble fier de sa carrière et du travail qu’il accomplit. Comme l’a dit l’un d’eux : « Il reste beaucoup de travail à faire, mais nous sommes sur la bonne voie en reconnaissant qu’il est important d’axer nos efforts sur les occasions et non les lacunes. » Pour en citer un autre : « Il est difficile, au niveau du système, de faire notre travail comme nous le voudrions. Les agents des services correctionnels ont les mêmes objectifs que le comité d’experts : s’attaquer à l’environnement dangereux et aux aspects du système qui causent du tort. Nous aimerions avoir des recommandations qui vont dans ce sens. »

Nous avons constaté à maintes reprises qu’il est impossible de dissocier les conséquences tragiques des décès de personnes sous garde. Ce sont des tragédies pour les défunts et leurs familles, et chaque décès est un traumatisme qui vient tristement ponctuer la conscience quotidienne qu’ont les employés des risques auxquels sont exposés les personnes sous garde et le personnel des établissements correctionnels.

Aux fins de son examen, le comité a dégagé les domaines qu’il considère comme les plus évidents et urgents en matière de dotation, d’emploi et de culture de travail; c’est là qu’il faut accroître la sécurité et le bien-être dans l’intérêt de toutes les personnes concernées.

Le manque continu de personnel sape le moral, le bien-être, la sécurité et l’efficacité du personnel ainsi que la sécurité des personnes sous garde

Nous avons entendu une longue liste de causes et de solutions possibles concernant la pénurie chronique de personnel, mais finalement, le message à retenir est que le manque d’effectif représente sans équivoque un danger pour tous et figure vraisemblablement parmi les principaux facteurs contribuant à l’augmentation alarmante des décès de personnes sous garde.

Types de confinement barricadé 2014
%
2015
%
2016
%
2017
%
2018
%
2019
%
2020
%
2021
%
Pénurie de personnel 75,0 95,8 88,6 81,0 64,9 82,1 82,4 92,9
Fouilles 25,0 3,2 5,8 10,6 20,3 11,4 8,2 3,1
Soins de santé 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 1,8 1,2
Mise à jour administrative 0,0 1,0 4,4 8,2 12,4 6,5 6,8 2,2
Comportement des détenus 0,0 0,3 1,1 1,4 2,4 0,7 0,9 0,6
Enquête sur place 0,0 0,0 0,6 1,0 2,7 0,2 0,7 0,4

Remarque: Les données sont incomplètes pour 2014 et 2021. Les incidents sont signalés par l’intéressé, et les résultats doivent être interprétés avec prudence. Les écarts peuvent résulter d’un signalement incomplet.

La figure 7 illustre les diverses causes de confinement barricadé dans les établissements de détention de l’Ontario. Dans les huit années à l’étude, le pourcentage de confinements attribuables à une pénurie de personnel a été en moyenne supérieur à 82 %.

Description complète de la figure 7

Nous constatons qu’il y a deux leviers à la disposition des décideurs principaux, et par extension, de leurs partenaires du système de justice pénale et des hauts fonctionnaires du gouvernement. L’un de ces leviers, ou les deux, devront être activés, sinon les conditions demeureront sans doute dangereuses dans les établissements de détention de l’Ontario et pourraient même empirer dans les prochaines années.

Pour le ministère, le levier le plus directement exploitable serait d’augmenter la dotation. Il y a cependant une foule d’obstacles et de contre-indications à s’en remettre uniquement ou principalement à cette option. Il est déjà difficile d’attirer, de recruter, de former et d’affecter adéquatement des gens avec les niveaux d’effectif actuels. En même temps, la plupart des environnements physiques sont sollicités au-delà de leur capacité dans à peu près la même mesure. Et il y a peu ou pas d’indications d’une volonté d’augmenter les budgets d’immobilisations et de fonctionnement des services correctionnels. Plus important encore, l’ajout d’une infrastructure de détention irait à l’encontre des pratiques exemplaires émergentes dans les domaines de la justice pénale et de la sécurité et du bien-être communautaires

L’option la plus prometteuse serait d’agir sur la variable « demande » de l’équation. Le deuxième levier consisterait à réduire systématiquement le recours à la détention, une solution surutilisée pour les personnes aux besoins complexes présentant un risque minimal ou autrement gérable pour la communauté.

Le comité reconnaît que les personnes qui évitent l’incarcération auront besoin de soutien communautaire adéquat et d’un accès suffisant aux services à la personne pour l’ensemble des déterminants de la santé et du bien-être. Nous savons que selon la documentation et l’expérience, le soutien peut être beaucoup plus efficace et efficient si les facteurs criminogènes sont suffisamment réduits pour assurer un retour sécuritaire dans la communauté.

L’opposition entre emploi permanent et contrat de travail à durée déterminée encourage la concurrence et le roulement de personnel

Même sans augmenter les effectifs, d’autres éléments peuvent être pris en compte pour améliorer la sécurité, par exemple rétablir de toute urgence un environnement de travail sain pour tous les employés. Selon le comité, le modèle d’emploi actuel, en strates hiérarchiques, contribue à un environnement de travail stressant et malsain, ce qui accentue les lacunes opérationnelles, qui peuvent se traduire par des conditions dangereuses pour les personnes sous garde.

Nous avons pris connaissance de la hiérarchie clairement établie et du déséquilibre de pouvoir en première ligne entre les employés permanents et les employés à durée déterminée, ces derniers se trouvant souvent en situation précaire pendant plusieurs années et étant beaucoup plus vulnérables aux mesures disciplinaires. Nous avons en outre découvert que le mélange de ces deux catégories d’employés dans une même unité augmente le risque d’application inégale des pratiques et de rejet de blâme, et où les occasions d’apprentissage important sont perdues.

Les employés, les syndicats et les représentants des ressources humaines nous ont dit que le démantèlement de ce modèle de dotation représente un défi complexe. Mais en même temps, tous ont indiqué qu’il s’agit d’un facteur négatif déterminant dans la culture de travail actuelle des agents des services correctionnels.

Les perspectives du personnel et des syndicats (entre autres) sont exclues d’un partenariat actif pour les améliorations systémiques

D’après notre expérience, si on compare le système correctionnel à d’autres secteurs de la fonction publique, on peut dire qu’il est en décalage par rapport aux modèles de cogestion ayant émergé dans les dernières décennies. Premièrement, il semble exister deux domaines distincts, l’un représentant les unités fonctionnelles de l’organisation, l’autre le vaste environnement opérationnel dans lequel se trouve la majorité du personnel. On a l’impression que ces domaines agissent souvent en vase clos. Deuxièmement, nous n’avons pas trouvé, dans cet environnement opérationnel, beaucoup de preuves d’engagements structurés autres que le comité mixte sur la santé et la sécurité au travail, qui est obligatoire en Ontario. Les employés et les représentants syndicaux ont dit être tenus à l’écart des décisions, de l’information sur les incidents graves dont on pourrait tirer des leçons et des occasions de contribuer, par leur expérience directe en première ligne, aux améliorations et innovations systémiques. Les représentants syndicaux craignent que la direction les perçoive presque exclusivement comme des obstacles et non des partenaires actifs, malgré qu’ils aient affirmé que toute amélioration systémique susceptible de favoriser l’efficacité et le bien-être de leurs membres fait partie de leurs priorités absolues.

Il ne s’agit pas d’un problème universel, parce que nous avons également entendu, de hauts dirigeants et d’agents des services correctionnels de première ligne, que des gestionnaires sont ouverts aux nouvelles approches et donnent l’exemple en adoptant des pratiques très mobilisatrices et responsabilisantes. Cependant, à l’échelle du système, c’est un employé qui a sans doute mieux résumé la situation : « Il n’y a presque jamais de temps consacré à l’apprentissage ».

Les modèles de formation échappent à un examen constructif

Nous n’avons pas reçu suffisamment d’information sur les modèles de formation actuels pour pouvoir tirer avec certitude des conclusions sur leur portée, leur efficacité ou leur pertinence pour les rôles de tous les employés et gestionnaires. Ailleurs dans ce rapport, nous avons parlé du manque général de transparence qui prévaut, mais cette opacité a atteint son paroxysme dans nos tentatives de comprendre les pratiques actuelles de formation et de perfectionnement du personnel. À la phase de recherche, l’équipe de l’EDEC a eu de la difficulté à accéder aux dossiers fragmentés existants et à les comprendre, mais au moins, elle a pu déterminer qu’il semble y avoir des lacunes importantes dans les niveaux de conformité et d’achèvement des programmes de formation en cours d’emploi.

Lors des discussions avec les délégations, nous avons appris que le milieu correctionnel dans son ensemble est conscient qu’il faut mettre davantage l’accent sur la santé mentale, la prévention des crises et les interventions éclairées en cas de consommation de substances. Il semble toutefois que cela ait reçu peu d’attention à ce jour. Nous avons aussi appris que le système semble fonctionner sans réelle évaluation des résultats, boucle de réaction sur les réalités professionnelles ou simple compte rendu sur l’apprentissage. Nous avons été incapables de relever une composante d’expérience, notamment dans la conception et l’application des nouveaux éléments d’apprentissage par l’expérience et la simulation. De plus, même si le ministère demeure responsable de l’apprentissage appliqué dans la formation de base des agents des services correctionnels, les aspects théoriques de la formation ont été confiés à un fournisseur tiers, dont il assure une certaine supervision.

Dans toute cette section, nous avons évité de commenter le comportement et les pratiques opérationnels courants des agents des services correctionnels et des autres employés du système correctionnel. Nous reconnaissons qu’il y a des attitudes toxiques et des comportements inappropriés dans tous les milieux de travail. Mais lorsque de telles attitudes et de tels comportements se produisent dans un contexte de déséquilibre important des pouvoirs, il ne fait aucun doute que les conséquences pour les personnes sous garde peuvent être inhumaines et dangereuses. Cependant, nous avons également appris que de nombreux agents des services correctionnels et leurs représentants sont déterminés à lutter contre les comportements non professionnels au travail. Ils sont en fait fiers de leur travail, et leur dévouement et leur endurance se traduisent par un taux de rétention et d’occupation de poste au-dessus de la normale si on les compare à ceux d’autres secteurs. Nous avons constaté que l’équilibre entre soins et sécurité fait réellement partie de leur image de soi et qu’ils sont conscients que le personnel souhaite suivre des formations poussées sur tous les aspects des soins et de la réduction des méfaits. Nous sommes d’avis que la majorité du personnel essaie de faire au mieux de ses capacités dans les circonstances très difficiles qui ont cours.

E. Soins de santé : Urgence de remédier à la déresponsabilisation et d’établir des liens plus profonds avec les normes uniformes de soins

Ce thème est abordé en dernier, certainement pas parce que c’est le moins important, mais plutôt parce qu’à bien des égards, il renverse ce que nous avons dit jusqu’ici. Une grande partie de ce qui précède a porté sur la façon dont la garde et le contrôle peuvent être gérés avec diligence. Dans la présente section, nous verrons comment mieux gérer cette attention particulière dans le contexte unique des établissements correctionnels provinciaux.

Les Ontariens bénéficient de l’un des systèmes de santé les plus progressistes et accessibles au monde. Comme pour tous les systèmes, celui de notre province n’est pas parfait, mais la plupart d’entre nous en sont venus à reconnaître et à attendre une norme de diligence continuellement élevée. Depuis des décennies, cette attente présumée est devenue une source durable de fierté nationale. Les personnes accueillies dans un établissement de détention provincial ne renoncent pas à leur droit à des soins de santé. Surtout de nos jours, malgré les divers motifs pour lesquels nous plaçons bon nombre de ces personnes en détention, elles et leurs familles ont toutes les raisons de s’attendre à la poursuite, durant la détention, de l’accès à des soins de santé de qualité et équitables.

Dans la portée plus large de cette discussion sur les soins, on inclut le personnel infirmier, les médecins, les psychiatres, les psychologues, les travailleurs sociaux et les conseillers spirituels et culturels, qui représentent collectivement plus de 8 % du personnel correctionnel et des employés contractuels. Chacun de ces professionnels applique les mêmes normes d’exercice, les mêmes lignes directrices sur l’éthique et le même engagement personnel à l’égard de l’excellence que ses homologues des hôpitaux, cliniques, bureaux et lieux de culte ailleurs en Ontario. Lorsque ces professionnels travaillent pour un service correctionnel, leurs rôles et leur efficacité peuvent être compromis par les particularités et les défis uniques associés au travail dans un environnement où priment généralement la sécurité et le contrôle.

Notre comité a entendu des témoignages sur de nombreux défis du genre qui ont sans contredit contribué aux résultats tragiques et pour lesquels il faut prendre des mesures si l’on veut éviter d’autres drames. Nous présentons ci-dessous quelques-unes des possibilités les plus flagrantes et cruciales qui ont inspiré nos recommandations.

Les soins de santé sont un droit essentiel trop souvent refusé

Nous avons déjà parlé des répercussions importantes des confinements barricadés, mais il ne s’agit pas des seules situations empêchant les professionnels de la santé de faire leur travail. Souvent, en raison d’un manque de personnel dans une unité particulière, d’un incident dangereux qui n’est pas encore réglé à la satisfaction de tous ou simplement d’un retard procédural à l’admission, les agents des services correctionnels peuvent prendre des décisions qui restreignent l’accès aux traitements et au soutien. Ces restrictions peuvent durer des heures, voire des jours. Elles peuvent également s’étendre aux visites médicales et professionnelles hors établissement, qui peuvent souvent être refusées pour des raisons similaires.

Notre comité a été consterné d’apprendre, en discutant avec les différentes délégations, qu’il règne un climat alarmant de méfiance entre les agents des services correctionnels et le personnel médical. Quelqu’un a résumé la situation ainsi : « Nous avons tous comme objectif de fournir des soins, mais nous nous dressons les uns contre les autres. Nous devons travailler en équipe. Nous devons connaître le rôle des autres et comment fonctionner ensemble. » Malgré la difficulté évidente du chantier, il faut prioriser le démantèlement de cette façon de travailler.

Le risque de confusion découlant de la méfiance plaide fortement en faveur d’une revue des pouvoirs décisionnels. Ces pouvoirs peuvent être essentiels à la prestation rapide de soins, à des examens médicaux plus poussés et adaptés lors de l’admission, à une attention aux problèmes de santé et de bien-être des personnes en isolement, et à un accès précoce aux soutiens essentiels en santé mentale. Le comité reconnaît que certaines situations peuvent exiger des décisions priorisant la sécurité pour le bien de toutes les personnes concernées, mais selon les témoignages recueillis, la ligne entre sécurité et raisons opérationnelles est actuellement difficile à cerner et très certainement difficile à comprendre. Les situations ayant mené à des tragédies interpellent plus de clarté à ce sujet.

La problématique du personnel infirmier

Nous avons mentionné qu’il existe des strates hiérarchiques parmi les agents des services correctionnels permanents et ceux à durée déterminée. Si nous ajoutons les difficultés sur les plans du maintien en poste, du recrutement et de la rémunération, tout cela contribue à l’importante pénurie de personnel en santé dans le milieu correctionnel. À maintes reprises lors de nos discussions avec les délégations et de celles de l’équipe de l’EDEC avec le personnel, il est ressorti que les vacances de poste en santé et le manque de personnel en établissement sont des problèmes courants qui nuisent à la prestation des soins dans les établissements provinciaux. Il s’agit d’un problème grave pour une foule de raisons. En l’absence de niveaux de dotation adéquats permettant l’offre d’activités optimales, il n’est pas rare que les personnes sous garde doivent attendre plus longtemps pour voir un fournisseur de soins de santé ou obtenir des médicaments sur ordonnance en attendant une évaluation, et que leur état de santé général se détériore vu la lourde charge de travail du personnel. Le personnel de la santé en milieu carcéral est sollicité au-delà de sa capacité.

Le personnel infirmier est depuis belle lurette une denrée rare dans le système de soins de santé de l’Ontario, ce qui rend le marché du travail très concurrentiel pour l’embauche et le maintien en poste de ces professionnels. Les taux de rémunération, les avantages sociaux et les conditions de travail diffèrent dans les nombreux milieux de travail employant du personnel infirmier. Les emplois vont d’une carrière dans le domaine à des postes contractuels souvent précaires en passant par des placements par une agence, ces dernières étant parfois privilégiées par le personnel infirmier pour des raisons professionnelles et personnelles.

Lorsqu’on combine des emplois permanents et des contrats dans une même organisation, cela peut mener à des incohérences dans la pratique, remettre en question la fiabilité des niveaux de dotation et avoir des conséquences imprévues sur la qualité des soins et la sécurité des personnes concernées, ce qui est le cas dans les établissements de détention de l’Ontario. Notre comité a appris qu’il y avait des écarts de formation entre le personnel infirmier permanent et celui des agences, des différences dans leurs pouvoirs décisionnels réels et perçus en matière de soins, et un défi constant pour chaque établissement et l’ensemble du système de maintenir en poste le personnel requis le plus qualifié, y compris en santé mentale.

Lorsque nous avons demandé ce qui pouvait contribuer à la pénurie de personnel médical, la même réponse a été unanime : l’absence de salaire concurrentiel pour les postes en milieu correctionnel par rapport à ailleurs. Autrement dit, la rémunération et les conditions de travail en milieu correctionnel ne sont pas concurrentielles par rapport à d’autres milieux de soins. Tant que ce désavantage perdurera, il est raisonnable de croire que le problème de dotation en personnel médical ne se réglera pas.

Il y a un décalage avec les pratiques de santé et les normes de diligence provinciales

Les soins de santé dans les établissements correctionnels provinciaux sont supervisés et assurés par le ministère du Solliciteur général. Plutôt que d’être pleinement intégrés aux soins de santé dans la collectivité, ils fonctionnent en vase clos. Dans la planification et la mise en œuvre des initiatives provinciales et locales progressives en santé, on omet souvent les établissements correctionnels. C’est donc à eux qu’incombe le fardeau de nouer des liens et de préparer des procédures avec les praticiens et organismes communautaires. La qualité et l’accessibilité des soins de santé sont souvent ainsi inférieures aux normes, et il n’y a pas de continuité des soins lors de l’admission et de la libération.

Comme quiconque en Ontario, les personnes sous garde sont en droit d’obtenir :

  • une évaluation rapide de leurs problèmes médicaux ou psychiatriques;
  • la mise en place rapide d’un traitement et la continuité de leurs soins, selon les normes actuellement reconnues fondées sur des données probantes dans la province;
  • un suivi régulier et adéquat de leurs problèmes de santé — à noter que les problèmes de santé mentale sont presque toujours chroniques et exigent souvent des soins à vie;
  • un aiguillage si une expertise externe est nécessaire;
  • de l’aide lors de leur retour dans la communauté (continuité des soins).

Il faut d’urgence s’attarder à ce décalage pour atteindre et maintenir l’équité en santé et faire cadrer les normes de diligence des établissements correctionnels avec les normes communautaires. Pour éviter d’autres décès, le mandat de garde et de contrôle des établissements ne doit jamais permettre une diminution des normes de diligence ou interférer avec celles-ci. Il faut aussi éviter de nuire aux obligations professionnelles et à l’indépendance des fournisseurs de soins de santé. Aucun ordre professionnel ne permet ni ne tolère, de quelque manière que ce soit, la prestation de soins de qualité ou de pertinence inférieurs à ses normes.

Cela s’applique également aux soins de santé généraux, aux soins de santé mentale et aux services de traitement de la toxicomanie des personnes sous garde.

À l’instar de la section précédente, nos observations sur les soins de santé ne visent pas le rendement et les comportements du personnel, qui s’acquitte de son rôle au mieux de ses capacités. Selon les témoignages recueillis, aucune préoccupation n’est soulevée quant aux connaissances et compétences professionnelles et aux qualités personnelles utilisées par le personnel médical en milieu correctionnel pour accomplir ses tâches. Comme d’autres options de carrière s’offrent à ces professionnels, on ne peut pas remettre en doute le dévouement, l’engagement et la compassion qui les poussent à mettre leur expertise au service des personnes sous garde et à travailler dans des milieux présentant des défis si uniques et souvent décourageants.

Résumé de la partie deux : distinction entre prévention et cause

Nous avons cherché, dans cette section, à dégager et à présenter un large éventail de facteurs pour lesquels nous estimons que des mesures peuvent et doivent être prises. Ces facteurs sont regroupés en cinq thèmes distincts pour faciliter la compréhension, mais il convient de noter qu’aucun ne doit être pris de façon isolée. Nos recommandations, qui suivent à la partie trois, visent une intervention à l’échelle du système sur plusieurs fronts.

Il est également important de noter qu’aucun facteur unique ni aucune combinaison spécifique de facteurs ne peut être considéré comme la cause d’un décès en particulier ou de plusieurs décès. À cet égard, notre mandat diffère d’une enquête; il consiste à nous aider à comprendre comment ces facteurs ont contribué, collectivement, à créer un milieu de détention n’ayant pas su éviter les décès des personnes de l’échantillon. Nous avons donc une obligation commune de prévention.


Description complète de la figure 6

La figure 6 illustre une série de facteurs contribuant actuellement à une moins grande sécurité dans les établissements de détention de l’Ontario, où il existe des occasions clés de prévenir les décès et les blessures graves chez les détenus, d’améliorer la sécurité et le bien-être du personnel correctionnel et d’améliorer les résultats dans l’ensemble du système de justice pénale. Les cinq thèmes décrits dans l’illustration sont abordés à la sous-section suivante et comprennent ce qui suit : rééquilibrer le mandat de sécurité dominant; renforcer la responsabilisation; améliorer la transparence; avoir la dotation nécessaire en agents des services correctionnels; et rectifier l’instabilité des soins de santé.

Description complète de la figure 7

La figure 7 illustre les diverses causes de confinement barricadé dans les établissements de détention de l’Ontario. Les types de confinement sont classés en fonction de l’origine, soit pénurie de personnel, fouilles, soins de santé, mises à jour administratives, comportement des détenus ou enquête sur place. Dans les huit années à l’étude, le pourcentage de confinements attribuables à une pénurie de personnel a été en moyenne supérieur à 82 %. Remarque : Les données sont incomplètes pour 2014 et 2021. Les incidents sont signalés par l’intéressé, et les résultats doivent être interprétés avec prudence. Les écarts peuvent résulter d’un signalement incomplet.

En 2014, 75 % des confinements barricadés dans les établissements de détention de l’Ontario étaient attribuables à une pénurie de personnel et 25 % à des fouilles. En 2015, 95,8 % des confinements étaient attribuables à une pénurie de personnel, 3,2 % à des fouilles, 1,0 % à une mise à jour administrative, et 0,3 % au comportement des détenus. En 2016, 88,6 % des confinements étaient attribuables à une pénurie de personnel, 5,8 % à des fouilles, 4,4 % à une mise à jour administrative, 1,1 % au comportement des détenus et 0,6 % à des enquêtes sur place. En 2017, 81 % des confinements étaient attribuables à une pénurie de personnel, 10,6 % à des fouilles, 8,2 % à une mise à jour administrative, 1,4 % au comportement des détenus et 1,0 % à des enquêtes sur place. En 2018, 64,9 % des confinements étaient attribuables à une pénurie de personnel, 20,3 % à des fouilles, 12,4 % à une mise à jour administrative, 2,7 % à des enquêtes sur place et 2,4 % au comportement des détenus. En 2019, 82,1 % des confinements étaient attribuables à une pénurie de personnel, 11,4 % à des fouilles, 6,5 % à une mise à jour administrative, 0,7 % au comportement des détenus et 0,2 % à des enquêtes sur place. En 2020, 82,4 % des confinements étaient attribuables à une pénurie de personnel, 8,2 % à des fouilles, 6,8 % à une mise à jour administrative, 1,8 % aux soins de santé, 0,9 % au comportement des détenus et 0,7 % à des enquêtes sur place. En 2021, 92,9 % des confinements étaient attribuables à une pénurie de personnel, 3,1 % à des fouilles, 2,2 % à une mise à jour administrative, 1,2 % aux soins de santé, 0,6 % au comportement des détenus et 0,4 % à des enquêtes sur place.