Notre comité se composait de huit membres sélectionnés par le coroner en chef de l’Ontario en fonction des compétences et des points de vue que chaque membre pouvait apporter à cet examen. Plusieurs membres étaient des professionnels en santé mentale ayant des connaissances spécialisées en suicide et en prévention du suicide, et possédant de l’expérience de travail auprès de policiers et d’autres premiers répondants. Les autres étaient des membres d’organismes policiers, actuels ou antérieurs, qui représentaient des niveaux de la direction, des spécialités civiles, ainsi que des agents de police de première ligne qui ont vécu l’expérience. Un des membres était un professionnel de la santé mentale possédant une vaste expérience de la collaboration avec un service policier à l’extérieur du Canada, lequel jouit d’une réputation d’excellence dans la promotion de la santé mentale et du bien-être de ses membres. Un des membres était un éducateur et un chercheur ayant un intérêt particulier dans la culture policière. La priorité immédiate du comité était de partager ses connaissances spécialisées et de trouver un cadre commun de référence afin de comprendre le suicide. À la suite d’une discussion sur la littérature et la tâche à accomplir, deux modèles bien documentés pour comprendre le suicide semblaient les mieux adaptés aux exigences de l’examen, soit le modèle de Mann modifié sur la prévention du suicide des Forces armées canadiennes (FAC), et l’écosystème des services policiers et de la santé mentale. Ces deux modèles sont abordés plus loin. Le comité a également obtenu la contribution de délégations externes. Nous avons consulté un large éventail de publications sur le sujet,  analysé d’autres modèles provenant de recherches médicales et sociologiques et consulté les notes et sujets prélevés d’entrevues souvent douloureuses avec des survivants.

Nous avons appris qu’il n’y a aucun prototype. Chaque suicide, qu’il soit réussi ou non, est aussi unique, de nombreuses façons, que la personne impliquée. Bien qu’il n’existe pas de modèle unique qui est suivi dans tous les cas de suicide, le comité a examiné les facteurs couramment étudiés et acceptés associés aux décès par suicide. Ces facteurs incluent la présence d’un problème de santé mentale, souvent une dépression, conjointement avec : un événement stressant ou une perte importante, qui peut être personnelle (la perte d’une relation importante par suite d’une séparation ou d’un divorce); des événements stressants ou accablants liés au travail, comme de la violence ou la perte d’un statut; ou un stress attribuable à d’autres facteurs (particulièrement ceux qui entraînent de l’embarras ou de la honte). Ces conditions et événements peuvent alors amener des personnes vulnérables à penser que le suicide est une « porte de sortie » ou une façon de résoudre leurs problèmes. Il y a ensuite un certain nombre de facteurs pour lesquels il a été démontré qu’ils augmentent les chances qu’une personne passe de la pensée à l’acte et se suicide. Ces facteurs incluent: l’impulsivité, où la personne agit rapidement et sans trop réfléchir, lorsqu’une méthode de suicide est accessible; ou la personne consomme de la drogue ou de l'alcool, ce qui peut réduire le contrôle de ses impulsions et entraîner des gestes impulsifs; le désespoir ou le pessimisme, où la personne ne croit plus qu'il peut y avoir des solutions ou des résultats positifs pour elle; la dysrégulation émotionnelle, où la personne a de la difficulté à contrôler ou à modérer ses sentiments et son comportement. Elle peut être fâchée, agressive ou encline à prendre des risques; l’accès à des moyens mortels, où la personne a une méthode mortelle à portée de la main, qui ne lui laisse aucune chance de réfléchir à ses gestes et qui tue rapidement; et la contagion ou l’imitation, où une personne vulnérable apprend le décès par suicide d'une personne qu'elle admire ou à qui elle s'identifie, et le suicide commence à ressembler à une « option raisonnable » au stress et aux problèmes auxquels la personne vulnérable est confrontée ( à titre d’exemple, mentionnons le phénomène des « suicides par imitation » lorsque le suicide d'une personnalité publique ou d'une célébrité est largement médiatisé).

Même si l’espoir et les possibilités d’une intervention demeureront toujours, une fois qu’une intention claire de mettre fin à ses jours est formulée, les options sont considérablement réduites pour prévenir cette mort. Beaucoup d’autres possibilités existent avant d’en arriver là pour empêcher que cette décision ne soit prise.

Nous avons reconnu une tendance très précise qui s’est avérée capitale pour nos discussions, une tendance qui était également très évidente dans la mort de nos neuf sujets. Nous avons observé qu’au moment où chacun de nos sujets avait formulé la ferme intention de mettre fin à ses jours, chacun avait cheminé sur une série de parcours et avait atteint la fin de chaque parcours. L’intersection de trois parcours particuliers s’est démarquée pour nous. Un des parcours est celui des problèmes graves de santé mentale, qui s’accompagnent souvent de troubles liés à la consommation d’une substance. Un autre est le parcours d’un accès réduit ou perdu vers des soins de qualité et en temps opportun, de services de traitement efficaces et d’une gamme de services de soutien essentiels. Et le dernier est le parcours d’un détachement émotionnel perçu ou réel avec la famille, les amis et l’organisation, souvent repoussé à l’extrême par un ou plusieurs événements déclencheurs, parfois au travail, et plus souvent dans la vie personnelle et familiale.

Nous sommes conscients que ces observations pourraient ne pas constituer des innovations dans la science médicale, mais nos propres discussions de cette tendance visible se sont avérées décisives dans l’orientation de notre examen. Nous savions que nous serions très limités si nous orientions nos efforts uniquement sur la « prévention des suicides » en soi. D’un autre côté, les images proposées par ces trois parcours critiques et leur convergence tragique ultime offrent des occasions beaucoup plus vastes de modifier les conditions. Nous savons que si ces conditions ne sont pas modifiées, elles continueront de mener des personnes vers ce point de désespoir ultime, et elles feront certainement vivre à beaucoup d’autres une détérioration de leur qualité de vie et de leur carrière. C’est sur ces objectifs en amont et ces occasions d’amélioration que nous avons choisi de mettre l’accent dans ce rapport.

Nous avons examiné la littérature disponible et les pratiques exemplaires en matière de prévention du suicide en vue de fonder notre propre travail sur des modèles crédibles. Nous avons remarqué que les Forces aériennes des États-Unis (USAF) ont mis en œuvre un programme détaillé de prévention du suicide afin de réduire les risques suicidaires. Le programme utilise 11 initiatives visant à renforcer le soutien social, favoriser le développement des compétences sociales et changer la culture pour encourager la recherche efficace d’aidefootnote 1 .  Nous avons également trouvé une utilité au modèle de prévention du suicide de Mann dans la communautéfootnote 2. De plus, nous avons constaté que les adaptations du modèle faites par les FAC étaient plus appropriées.

De bien des façons, le modèle modifié de Mannfootnote 3 des FAC (Figure 1) reflète une plus grande variété d’occasions d’intervenir qui sont cohérentes avec nos observations des parcours, et qui s’harmonisent également étroitement avec la nature paramilitaire des services de police ainsi qu’avec leur culture organisationnelle.

Figure 1 : Modèle modifié de Mann des FAC sur la prévention du suicide

Figure 1 : Le modèle Mann propose un modèle de diathèse de stress selon lequel le risque de gestes suicidaires est déterminé non seulement par une maladie psychiatrique mais aussi par une tendance à souffrir d’un problème de santé.

Dans nos recommandations (voir la partie 5 ci-dessous), nous demandons davantage de recherches et de développement qui pourraient mener à une version du modèle modifié de Mann des FAC adaptée aux services policiers afin d’élargir son application dans le domaine, tout en incorporant les facteurs et interrelations supplémentaires abordés dans le présent rapport.


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