Le chapitre suivant est un tour d’horizon des inondations qui ont touché différentes régions de la province en 2019.

Comme je n’ai pas pu visiter ni étudier tous les secteurs concernés, les lignes qui suivent ne donnent qu’une image partielle des inondations et de leurs répercussions. On peut certes faire des parallèles entre les zones décrites et les autres régions de la province, mais il se peut également que la situation dans ces régions soit tout aussi atypique.

4.1 Inondations le long de la rivière des Outaouais

4.1.1 Bassin de la rivière des Outaouais et installations d’Ontario Power Generation

Le bassin de la rivière des Outaouais se trouve à la frontière entre l’Est de l’Ontario et le Sud du Québec. Il occupe une superficie totale de 146 300 kilomètres carrés, dont 35 % en Ontario et 65 % au Québec. La rivière fait plus de 1 130 kilomètres de long et compte 13 réservoirs principaux, c’est-à-dire dont la capacité de stockage est supérieure à 200 millions de mètres cubes, selon la définition de la Commission de planification de la régularisation de la rivière des Outaouais. Ontario Power Generation (OPG) exploite trois de ces réservoirs : lac Bark, lac Lady Evelyn et Des Joachims.

Le profil vertical et horizontal de la rivière des Outaouais varie énormément d’un endroit à l’autre, ce qui crée des étranglements hydrauliques tout du long. En règle générale, les étranglements et les plans d’eau naturels sont les lieux tout indiqués pour construire un barrage et un réservoir. Il est en effet moins onéreux de bâtir un barrage là où la rivière est étroite. La rivière des Outaouais compte aussi des zones naturelles peu profondes, où se forment les rapides qui sont le gagne-pain de nombre d’entreprises touristiques. Quand le débit de l’eau est élevé, dans les tronçons étroits ou peu profonds de la rivière naissent des étranglements naturels qui limitent le passage de l’eau, ce qui a pour conséquence d’élever la surface de la rivière en amont : c’est l’effet de remous. Si le débit est vraiment élevé, ces étranglements peuvent causer des inondations.

La capacité de stockage n’est pas particulièrement importante dans la partie inférieure de la rivière des Outaouais; d’ailleurs, plus de 60 % du bassin sont essentiellement non régularisés pour cette raison. OPG exploite quatre installations d’hydroélectricité dans cette partie, qui comportent toutes un ou plusieurs barrages et une centrale (Otto Holden, Des Joachims, Chenaux et Chute-des-Chats). Ces installations sont régies par des baux d’exploitation des ressources hydroélectriques conclus avec la province de l’Ontario et par la Loi concernant les forces hydrauliques de la rivière Outaouais (1943). En conditions de débit normales, OPG a le droit de faire monter le niveau de l’eau jusqu’à la limite autorisée par le permis de l’installation pour produire de l’électricité. Quand le débit est élevé, OPG manœuvre ses barrages et ses centrales pour réduire le plus possible les effets des inondations et, à tout le moins, ne pas empirer les éventuels dégâts naturels.

Chaque centrale a des répercussions avérées sur le niveau de l’eau dans le contexte des seuils d’inondation. Par exemple, la centrale Des Joachims exerce un effet de remous sur la ville de Mattawa quand le débit total de la centrale d’Otto Holden et de la rivière Mattawa est supérieur à 2 000 mètres cubes par seconde. La stratégie opérationnelle en période de crue consiste à éviter que Mattawa et Pembroke souffrent inutilement et à trouver un équilibre entre les débits et niveaux de chaque site, bien que cette action réduise la profondeur ou le débit de l’eau à la centrale, et donc la production d’électricité.

Dans la présente section, il est souvent mentionné que, en période de crue, les centrales d’OPG sont exploitées comme des centrales « au fil de l’eau » (centrales sans aucune capacité de stockage qui produisent de l’électricité uniquement grâce au courant de la rivière). Il est indispensable de savoir ce que veut dire ce concept pour comprendre pourquoi des stratégies de gestion des eaux ont été employées pendant les périodes de débit élevé et de débit de crue survenues au printemps de 2017 et de 2019. Les installations d’OPG n’ont pas le statut de centrales au fil de l’eau et ne sont pas exploitées comme telles en temps normal : en dehors des conditions de crue ou de débit élevé, elles sont exploitées comme des centrales de pointe, c’est-à-dire selon un cycle de pointe quotidien. Il faut dire que la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité de l’Ontario favorise la production d’électricité qui répond aux besoins du marché énergétique ontarien. En conditions de fonctionnement normales, hors périodes de crue ou de débit élevé, OPG exerce donc un contrôle important sur le débit et le niveau de l’eau pour produire de l’électricité, entre autres par la modulation cyclique quotidienne du débit d’eau pour répondre aux besoins du marché, toujours jusqu’à la limite autorisée par le permis de l’installation. Même si certaines centrales d’OPG situées sur la rivière des Outaouais ont un débit minimal à respecter, d’autres centrales, y compris celle d’Otto Holden, ferment complètement les vannes la nuit pour que l’eau s’accumule en vue des opérations le jour suivant. Dans un souci de transparence absolue, on ne saurait trop insister sur les faits susmentionnés, dans la mesure où ils peuvent influer sur la manière dont la population perçoit les régimes de gestion du débit et du niveau de la rivière et la capacité d’OPG à maîtriser les débordements. Cela dit, il est vrai qu’OPG exerce un contrôle non négligeable sur l’eau (stockage, débit, niveau) de la rivière des Outaouais hors période de crue, mais ses centrales n’ont pas la capacité de stocker de gros volumes d’eau ni de manipuler les niveaux de façon à prévenir les conditions de crue extrêmes, comme celles vécues au printemps de 2017 et de 2019.

4.1.2 Crues printanières : une comparaison entre 2019 et 2017 et 2018

4.1.2.1 Météo et conditions du bassin hydrographique

Pendant mes visites aux abords de la rivière des Outaouais et les échanges que j’ai eus au passage avec des représentants municipaux, j’ai entendu beaucoup de questions sur les différences entre les inondations de 2017 et de 2019. On m’a aussi demandé pourquoi il n’y avait pas eu d’inondation en 2018, car, pour bien des personnes, les conditions d’enneigement étaient similaires à celles de 2019 et de 2017.

Malgré la proximité relative des inondations printanières de 2017 et de 2019, les facteurs étaient différents et n’ont pas influé sur le bassin de la même façon.

4.1.2.2 Conditions du bassin hydrographique en 2019

Au 1er avril 2019, la quantité de neige au sol est nettement supérieure à la normale, et plus élevée qu’en 2017 et 2018 : d’après les relevés nivométriques, la partie supérieure du bassin représente entre 150 % et 188 % de l’équivalent eau-neige normal à cette époque de l’année. Au plus épais du manteau neigeux, la majorité du bassin hydrographique a 200 millimètres d’équivalent eau-neige en trop. Les précipitations totales de l’ensemble du bassin sont elles aussi supérieures à la normale, quoiqu’inférieures à celles de 2017 : entre avril et mai 2019, elles atteignent environ 125 % à 175 % de la normale saisonnière. Même si ces précipitations sont mieux réparties sur le bassin qu’en 2017, les épisodes de fortes pluies coïncident avec le point culminant de la période de fonte des neiges. Ce sont ces deux phénomènes conjugués qui causeront les inondations historiques observées dans la majorité du bassin hydrographique de la rivière des Outaouais en 2019.

On estime que la période de récurrence des inondations de 2019 varie entre 1 :100 ans et 1 :120 à 1 :130 ans selon le lieu et les facteurs influant sur le débit et le niveau.

4.1.2.3 Conditions du bassin hydrographique en 2017

Avant la crue de 2017, les conditions d’enneigement du bassin de la rivière des Outaouais sont considérées comme dans la moyenne. D’après le bilan du printemps et de l’hiver de 2017, le manteau neigeux est relativement moyen par rapport à 2016, année non marquée par d’importantes inondations. À l’origine des inondations printanières de 2017, un facteur majeur : les précipitations. En avril et mai 2017, il tombe 257 millimètres d’eau sur tout le bassin, ce qui est nettement plus que la moyenne de 150 millimètres (1981-2010) pour la même période. L’accumulation locale des précipitations varie de 240 à 380 millimètres, le centre et le sud du bassin recevant le plus d’eau. La majorité de ces précipitations tombent en deux épisodes, entre le 30 avril et le 6 mai, où 70 à 140 millimètres de pluie – l’équivalent de deux mois de pluie – s’abattent sur la partie inférieure non régularisée du bassin. Ce sont ces précipitations qui déclencheront les inondations de 2017.

4.1.2.4 Conditions du bassin hydrographique en 2018

En 2018 en revanche, d’après les relevés nivométriques, les équivalents eau-neige sont supérieurs à la normale dans la région québécoise du bassin en amont du lac des Quinze, et près des valeurs normales dans le reste du bassin. Si le mois de mars est légèrement plus chaud que d’habitude, le mois d’avril, lui, est beaucoup plus froid que la normale. Cette vague de froid persiste jusqu’à la troisième semaine d’avril, si bien que la neige ne fond presque pas ce mois-là. Par conséquent, l’équivalent eau-neige de la seconde moitié d’avril est nettement plus élevé que la normale saisonnière. Du 20 au 24 avril a lieu un épisode de réchauffement prononcé, avec des températures atteignant les 20 °C. Résultat : la neige se met à fondre de manière relativement soudaine dans le bassin. De mars à mai, l’accumulation et la répartition des précipitations sont plus ou moins normales. Le débit de pointe de la rivière des Outaouais en 2018 survient assez soudainement à cause de la fonte rapide des neiges, mais son ampleur est atténuée par le stockage de l’eau dans les réservoirs principaux, si bien qu’au bout du compte, le débit n’est que légèrement supérieur à celui d’une année normale.

4.1.3 Exploitation des réservoirs et des centrales au printemps de 2019

Au début de la saison des crues de 2019 (fin mars), Ontario Power Generation a pour stratégie de continuer à laisser passer le débit entrant dans ses installations pour que le niveau des réservoirs reste bas, sauf le lac Bark, qui est le réservoir principal le plus au sud du bassin hydrographique. Au début de la semaine du 15 avril, un épisode de fortes précipitations de 40 à 70 millimètres est annoncé pour la fin de la semaine. À ce moment-là, on réduit le débit sortant du lac Témiscamingue et des réservoirs principaux dans la partie supérieure d’Abitibi-Témiscamingue, tout comme celui d’Otto Holden et de Des Joachims.

La stratégie consiste donc à stocker l’eau devant le risque que le débit augmente considérablement dans la partie inférieure de la rivière des Outaouais sous l’effet de la fonte des neiges et des fortes précipitations. Le lac Bark se remplit, et il est prévu que son niveau grimpe de 50 centimètres par jour. Son débit sortant est alors augmenté afin de libérer de l’espace de stockage pour les épisodes suivants. Dans la seconde moitié d’avril, la rivière Madawaska déborde, surtout autour du lac Kamaniskeg, à cause du très fort débit non régularisé entrant dans le lac depuis plusieurs rivières dont la rivière York, et de la capacité de stockage de plus en plus limitée en amont du lac Bark. À la centrale Chute-des-Chats, le 15 avril, on décide d’opérer un changement de stratégie pour suivre la tendance à la hausse du débit. Quand le débit est élevé, l’étranglement en amont de la centrale limite considérablement le passage de l’eau, et la courbe directrice permet d’en savoir plus sur le lien entre le niveau du lac des Chats et l’élévation de l’eau d’amont de la centrale Chute-des-Chats. Au 21 avril, on annonce maintenant que les précipitations vont arriver plus tôt que prévu et être moins fortes (entre 20 et 30 millimètres); le débit entrant à Otto Holden et Des Joachims continue d’augmenter lentement.

4.1.4 Augmentation du débit sortant d’Otto Holden et conséquences pour Mattawa (6 mai)

À la fin d’avril, il est prévu qu’une autre grosse tempête de pluie fasse tomber 60 millimètres d’eau sur la partie supérieure du bassin. Les réservoirs principaux du secteur concerné continuent alors de se remplir, le niveau du lac Témiscamingue augmentant particulièrement vite. À la centrale Des Joachims, changement de stratégie : on laisse le débit entrant passer pour que le niveau du réservoir cesse de grimper. Au début de mai, le débit de la partie inférieure de la rivière des Outaouais est censé diminuer lentement, mais le débit entrant dans la partie supérieure continue d’augmenter. D’après les résultats des modèles et les prévisions du 5 mai, le débit entrant du lac Témiscamingue et d’Otto Holden est censé rester bien en deçà des 3 000 mètres cubes par seconde. Ce n’est que le jour suivant, le 6 mai, que les conditions évoluent sensiblement : les modèles prévoient maintenant un débit entrant supérieur au seuil de 3 000 mètres cubes par seconde. Comme le lac Témiscamingue continue de s’approcher à vitesse grand V de son niveau d’exploitation maximum – les modèles prévoyant une hausse encore plus forte du débit entrant –, une décision stratégique est prise : augmenter le débit sortant du lac Témiscamingue. Dans la journée du 6 mai, le débit est donc considérablement augmenté par deux fois, une le matin et une l’après-midi, en prévision de la hausse du débit entrant annoncée. Comme l’eau met généralement trois à quatre heures pour se rendre du lac Témiscamingue à Otto Holden, le changement de débit se répercute assez vite.

Le débit d’Otto Holden est donc augmenté progressivement tout au long de la journée pour répondre aux changements en amont. Sept ajustements sont ainsi apportés pour répondre au débit entrant accru. Ces réglages sont intentionnellement effectués pendant qu’il fait jour. Cette hausse du débit sortant du lac Témiscamingue et d’Otto Holden est suffisamment grande pour que, dans la même journée, le niveau de la rivière des Outaouais augmente d’environ 65 centimètres aux abords de Mattawa. Les cinq jours suivants, le débit et le niveau de l’eau ne cessent de grimper dans la partie supérieure du bassin de la rivière des Outaouais, tout comme le débit entrant et sortant du lac Témiscamingue et Otto Holden, qui finit par atteindre 3 316 mètres cubes par seconde le 10 mai, et 3 355 le 11. Pendant toute la période de crue, on modifie le débit stratégiquement en tenant compte des zones touchées et, en définitive, pour atténuer le plus possible les inondations. Vers la fin de mai, comme le débit se stabilise puis diminue, OPG se met à augmenter le niveau de tous ses réservoirs et ses biefs d’amont. Résultat : le débit de la rivière des Outaouais diminue plus rapidement qu’en conditions naturelles. L’eau des réservoirs et des biefs d’amont continue d’augmenter jusqu’atteindre le niveau d’exploitation estival normal, à la mi-juin, pour le réservoir de Des Joachims.

4.1.5 Explication des conditions de la centrale Des Joachims et du tronçon sec de Deux-Rivières

Quand la centrale Des Joachims a vu le jour, pour maximiser le potentiel de production d’électricité, le permis accordé en 1946 autorisait l’augmentation artificielle du niveau d’eau en amont jusqu’au délaissé de crue naturel. Cette portion constitue le réservoir de la centrale et peut servir à stocker de l’eau pour la production d’électricité ou d’autres fins, comme l’évacuation des crues. Elle est visible depuis la route Transcanadienne (route 17), près de Deux-Rivières. D’après les articles de presse, une partie du réservoir était asséchée certaines années (dont 2017), ce qui a suscité de nombreux échanges lors des séances avec les représentants municipaux.

Parmi les facteurs qui ont compliqué l’évacuation de la crue à la centrale Des Joachims, mentionnons les conditions hydrauliques en amont. La rivière des Outaouais compte plusieurs biefs naturellement étroits, peu profonds ou à l’inclinaison variable, à l’origine des rapides qui font la renommée de la rivière. Entre la centrale d’Otto Holden (en amont) et la centrale Des Joachims, il existe un secteur plat où l’eau est peu profonde. Ce secteur, situé près de l’ancien village de Klock, plusieurs kilomètres en amont de Des Joachims, est appelé « rapides Rocky Farm ». Ce tronçon de la rivière est un important point de régularisation quand le débit est élevé. Pour bien comprendre la situation, recourons à deux analogies.

Le tronçon des rapides à la hauteur de Klock a un effet similaire sur la rivière des Outaouais. Là où les analogies ont leurs limites, c’est que ce phénomène est aussi lié à la pente de la rivière : le niveau de l’eau en aval influe sur la capacité de la rivière à laisser passer l’eau. Quand le débit est normal, le réservoir de la centrale Des Joachims peut être maintenu à un niveau élevé pour la production d’électricité, car le débit ne dépasse pas la capacité du chenal et les rapides ne créent pas d’effet de remous notable. En revanche, quand le débit est élevé (et généralement quand le niveau du réservoir de Des Joachims est bas), les rapides se mettent à limiter le passage de l’eau et à créer un effet de remous qui fait monter le niveau en amont, à hauteur de Mattawa. Même si on augmentait le niveau du réservoir de Des Joachims, il n’y aurait pas tellement de différence à Mattawa et Otto Holden. Plus le débit augmente, plus la différence de niveau s’accroît entre les deux sites, et plus l’étranglement à hauteur de Klock limite le passage de l’eau. Un débit élevé affaiblit mais n’élimine pas l’influence de Des Joachims sur le niveau d’eau en amont.

En raison de la géographie de la rivière des Outaouais, il y a deux stratégies à employer à la centrale Des Joachims pour atténuer les inondations. Si l’inondation survi ent surtout en aval de la centrale (par exemple à cause de fortes pluies) et que la capacité de stockage est suffisante, on peut retenir de l’eau dans le réservoir pour réduire le volume en aval. Par contre, si le débit combiné de la centrale d’Otto Holden et de la rivière Mattawa est supérieur à 2 000 mètres cubes par seconde, les rapides de Klock peuvent créer un effet de remous qui fera déborder l’eau. Ces conditions se produisent quand il y a beaucoup d’eau en provenance de la partie supérieure de la rivière des Outaouais. Dans ce cas-là, le niveau d’eau à Mattawa peut être influencé en partie, mais pas complètement, par la modulation du niveau de l’eau à la centrale Des Joachims. Quand le débit augmente, on fait en sorte que le réservoir de Des Joachims reste à un niveau bas pour éviter les débordements, soit en ne le remplissant pas après l’abaissement hivernal, soit en faisant sortir plus d’eau. Il faut effectuer cette deuxième opération en temps opportun pour éviter de favoriser les inondations en aval. Généralement, on remplit le réservoir de Des Joachims en deux étapes : dans un premier temps jusqu’au niveau au-delà duquel il y aurait un risque d’inondation à Mattawa, et dans un deuxième temps, une fois tout risque dissipé, jusqu’au niveau d’exploitation estival.

Presque chaque année (c’était aussi le cas en 2019), la rivière des Outaouais connaît deux pointes de débit : la première est causée par la fonte des neiges et les chutes de pluie dans la partie inférieure du bassin hydrographique, et la seconde, par le débit sortant des réservoirs principaux de la partie supérieure du bassin quand ceux-ci sont pleins. En 2019, à cause de la fonte des neiges substantielle dans les réservoirs de la partie supérieure, la deuxième pointe a été plus grande que la première. Avant la première pointe printanière, l’eau s’accumulait lentement dans le réservoir de la centrale Des Joachims jusqu’au premier niveau de remplissage. Avant la seconde pointe, comme les réservoirs de la partie supérieure atteignaient leur niveau maximum et devaient laisser passer l’eau, on a maintenu le réservoir de Des Joachims à un niveau faible pour ne pas aggraver les éventuelles inondations naturelles subies par Mattawa et les autres localités en amont. Le débit en amont s’étant ensuite réduit, le réservoir a été rempli, ce qui a eu pour effet de réduire le débit en aval.

Pendant les inondations de 2019, on a critiqué le fait que le réservoir de Des Joachims reste vide, faisant valoir qu’il aurait pu servir à atténuer les inondations de Pembroke. En réalité, cette mesure aurait empiré les répercussions globales, car le réservoir a une capacité de stockage limitée. S’il avait été rempli à son niveau d’exploitation maximal, il y aurait eu environ un demi-mètre d’eau de plus à Mattawa. La seule option aurait alors été de laisser passer l’eau, ce qui n’aurait eu aucune utilité en aval en cas d’inondations prolongées. Au débit de pointe, le réservoir de Des Joachims se serait entièrement rempli en moins d’une demi-journée. Il aurait été impossible de maintenir un taux de remplissage efficace pour Pembroke pendant toute la durée des inondations de 2019, soit plusieurs semaines. Par conséquent, si on avait exploité la capacité de stockage de la centrale Des Joachims pour atténuer les inondations en aval, il y aurait eu des répercussions considérables à Mattawa et des bienfaits négligeables voire nuls à Pembroke.

4.2 Inondations dans le secteur de North Bay et de Mattawa

Le district de North Bay et de Mattawa est l’un des plus densément peuplés du Nord de l’Ontario. Il compte plus de 83 000 habitants, ses grandes agglomérations étant North Bay (51 553), Callander (3 900) et Mattawa (2 000). Il comporte deux bassins hydrographiques : celui formé par la rivière Sturgeon, le lac Nipissing et la rivière des Français et celui de la partie supérieure de la rivière des Outaouais.

4.2.1. Bassin hydrographique formé par la rivière Sturgeon, le lac Nipissing et la rivière des Français

Pêche dans les eaux intérieures importantes de la province, le lac Nipissing est alimenté au nord par la rivière Sturgeon qui provient du lac Temagami et alimente à l’ouest la rivière des Français qui se jette dans le bassin des Grands Lacs (baie Georgienne du lac Huron). Le lac Nipissing et le réseau hydrographique de la rivière des Français font partie d’un bassin hydrographique de 19 000 kilomètres carrés. Représentant plus de 850 kilomètres carrés, le lac Nipissing est le quatrième lac intérieur de l’Ontario en superficie. La rivière des Français y prend sa source et coule sur 105 kilomètres jusqu’à la baie Georgienne. Les eaux d’amont du bassin hydrographique formé par la rivière Sturgeon, le lac Nipissing et la rivière des Français (SNF) sont composées des tronçons nordiques des rivières Sturgeon et Wanapitei, la première se jetant directement dans le lac Nipissing. La rivière Wanapitei rejoint le réseau hydrographique de la rivière des Français dans le dernier bief de cette dernière, en aval du lac Nipissing. Le bassin hydrographique SNF est assez complexe, puisqu’il comprend plusieurs grands lacs, de nombreuses rivières et plus de 40 centrales et structures de régularisation. Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) exploite quatre barrages qui régularisent efficacement le débit sortant du lac Nipissing.

Il n’y a aucun plan de gestion des eaux en vigueur dans le bassin hydrographique SNF. En revanche, il en existe un concernant le sous-bassin hydrographique de la rivière South, qui se jette dans le lac Nipissing. SPAC exploite les barrages qui régularisent comme il se doit le débit sortant du lac Nipissing à hauteur de la rivière des Français, conformément aux lignes directrices publiées en 1992. Le ministère des Richesses naturelles (MRN) favorise les décisions coordonnées pour la gestion des eaux du bassin hydrographique en communiquant tous les jours ou au besoin en période de crue avec les autres exploitants de barrages, qui constituent le comité technique pour la gestion du bassin hydrographique de la rivière Sturgeon, du lac Nipissing et de la rivière des Français. Le ministère appelle aussi à la même fréquence les représentants élus ou les responsables de la gestion des situations d’urgence des localités et des communautés autochtones du secteur, qui forment le comité des intervenants pour la gestion du bassin hydrographique de la rivière Sturgeon, du lac Nipissing et de la rivière des Français, pour les renseigner sur les décisions en question et les répercussions liées à l’eau.

Pendant la crue de 2019, le comité technique, avec le consensus du comité des parties prenantes, a décidé d’augmenter progressivement le débit sortant des barrages de la rivière des Français pour éviter de dépasser la marge de débordement du lac Nipissing. Il y a également eu stockage d’eau jusqu’à la marge du lac Temagami pendant que le lac Nipissing était sur le point de dépasser la sienne. Le bassin hydrographique tout entier a subi des inondations considérables à cette période.

4.2.2 Partie supérieure du bassin hydrographique de la rivière des Outaouais

La partie supérieure du bassin hydrographique de la rivière des Outaouais compte comme réservoir principal le lac Témiscamingue, au nord. Elle est aussi alimentée à l’est depuis North Bay par la rivière Mattawa, à hauteur de Mattawa, qui signifie « confluent » en algonquin. La rivière des Outaouais coule vers le sud-est jusqu’au fleuve Saint-Laurent, et reçoit au passage beaucoup d’autres débits entrants non régularisés du Québec et de l’Ontario. Le bassin hydrographique de la rivière Mattawa rejoint généralement la rivière des Outaouais à hauteur de Mattawa. La partie inférieure du bassin de la rivière Mattawa (en aval du barrage Hurdman) est dominée sur le plan hydraulique par les effets de remous de la rivière des Outaouais. Le bassin hydrographique de la rivière des Outaouais possède une superficie de 146 300 kilomètres carrés, répartie entre l’Ontario et le Québec. Il fait deux fois la taille du Nouveau-Brunswick. Plus de 3 000 personnes habitent dans les trois municipalités et cantons qui bordent la rivière Mattawa, dont 2 000 personnes à Mattawa.

Il existe des plans de gestion des eaux pour bon nombre des sous-bassins hydrographiques de la rivière des Outaouais – barrage Hurdman, rivière Matabitchuan, rivière Montréal –, qui alimentent chacun la partie supérieure du bassin de la rivière des Outaouais. La gestion des eaux de la rivière des Outaouais relève de la Commission de planification de la régularisation de la rivière des Outaouais (pour en savoir plus, voir la section 4.1).

4.2.3 Inondations du printemps de 2019

Manteau neigeux hivernal supérieur à la moyenne, fonte tardive, températures basses les trois premières semaines d’avril et précipitations abondantes la fin de semaine de Pâques : autant de facteurs qui causent, en 2019, des inondations considérables dans les deux bassins hydrographiques. Au 15 avril, le manteau neigeux de la région est à 517 % de la moyenne à long terme à cette époque de l’année, et l’équivalent eau-neige, à 425 %. Selon l’Office de protection de la nature de North Bay-Mattawa, les précipitations d’avril sont à 215 % des normales, et celles de mai, à 150,8 % des normales. Les bassins hydrographiques nordiques hors du champ de compétence de l’Office de protection de la nature, qui alimentent le bassin du lac Nipissing et de la rivière des Outaouais en amont de la rivière Mattawa, ont eux aussi un manteau neigeux plus épais que la moyenne et des précipitations abondantes. Et pour couronner le tout, le bassin hydrographique formé par la rivière Sturgeon, le lac Nipissing et la rivière des Français reçoit entre 50 et 75 millimètres d’eau de plus que la normale en mai 2019, en plusieurs épisodes de pluies diluviennes qui provoquent des pointes de débit entrant tout au long du mois.

Le 17 avril, l’Office de protection de la nature de North Bay-Mattawa et le bureau de district du ministère de North Bay émettent tous deux la première veille d’inondation. Le dernier communiqué du bureau de district est publié le 17 juin et expire le 21. La veille d’inondation concernant tous les bassins hydrographiques relevant de l’Office de protection de la nature ne prend fin que le 2 juillet.

Le 6 mai, la Municipalité de Mattawa déclare l’état d’urgence. Les eaux de la rivière des Outaouais montent de 4,25 mètres entre le 17 avril et le 11 mai, en grande partie dans les 48 heures qui suivent la déclaration d’urgence à cause des eaux de ruissellement provenant des réservoirs en amont (voir explications dans la section 4.1.4). Transports Canada émet un avertissement interdisant la navigation sur la rivière des Outaouais près de Mattawa.

Le 9 mai, la Ville de North Bay prend des mesures d’urgence pour protéger la station d’épuration des eaux usées en installant du matériel de pompage et des canalisations temporaires. Elle établit aussi un plan de dérivation au moyen d’un poste élévatoire pour limiter dans la mesure du possible le flux en direction de la station. Même si c’était le pire des scénarios possibles, une panne de la station aurait pu être lourde de conséquences : déversement de gros volumes d’eaux usées non traitées sur les rives du lac Nipissing, problèmes de fonctionnement qui auraient réduit la capacité de traitement pendant des semaines voire des mois, refoulements dans les zones de faible altitude de North Bay et évacuation éventuelle des résidents de la ville.

En raison de la montée fulgurante des eaux, la Première Nation de Nipissing se prépare à évacuer ses résidents si le niveau du lac dépasse 196,59 mètres. L’eau et les vents violents endommagent beaucoup de propriétés dans le secteur de la pointe Jocko et de Beaucage, où on installe quelque 60 000 sacs de sable.

À Callander et Nipissing, le niveau de l’eau est très élevé dans les zones de faible altitude au bord du lac Nipissing, ce qui n’est pas sans conséquence pour les entreprises, les routes et les infrastructures.

La Municipalité de Nipissing Ouest déclare l’état d’urgence le 9 mai en raison des vents violents et des dégâts subis par les infrastructures municipales. Les aires de mise à l’eau sont fermées jusqu’en juin.

Les résidents de la partie supérieure de la rivière des Français commencent à voir l’eau monter, puisque le débit entrant atteint des sommets et qu’il y a plus de rejet d’eau au barrage de la Chaudière (ainsi qu’au barrage du Portage, au barrage Little Chaudière et au barrage Okikendawt) pour limiter la hausse du niveau du lac Nipissing. Le 26 mai, la Municipalité de French River déclare l’état d’urgence; celui-ci restera en vigueur après le 17 juin.

4.3 Inondations dans le bassin hydrographique de la rivière Muskoka

4.3.1 Caractéristiques physiques et gouvernance municipale

Le bassin hydrographique de la rivière Muskoka se trouve dans la région des lacs et des chalets du Centre-Sud de l’Ontario, dans la partie sud de l’écozone boréale du bouclier précambrien. Ses principales agglomérations sont Huntsville, Bracebridge et Gravenhurst. Il possède une superficie d’environ 5 100 kilomètres carrés et s’étend vers le sud-ouest sur quelque 210 kilomètres, où il perd 345 mètres d’altitude à partir des pentes occidentales du parc provincial Algonquin, jusqu’à son embouchure dans la baie Georgienne du lac Huron. Le bassin hydrographique, qui prend naissance au pied du massif Algonquin, est composé de trois réseaux hydrographiques : les bras sud et nord de la rivière Muskoka et la partie inférieure du sous-bassin hydrographique de la rivière Muskoka. Il compte 200 lacs qui couvrent un territoire d’environ 78 000 hectares. La rivière Muskoka comprend 19 bassins quaternaires, qui forment ses sous-bassins hydrographiques. Les lacs Rosseau, Muskoka et Joseph sont les trois plus grands du bassin.

Le bassin hydrographique de la rivière Muskoka est un réseau en cascade complexe. Il compte plusieurs étranglements notables qui, sous l’influence des conditions hydrauliques, entravent la circulation de l’eau et causent un reflux, ce qui crée un effet de remous. (Comme nous l’avons vu dans la section 4.1.5, un étranglement est comparable à un entonnoir : si on verse trop d’eau par rapport à ce que l’entonnoir peut absorber, elle s’accumule et finit par déborder.) Le lac Muskoka est le dernier grand lac que traversent les eaux du réseau avant de rejoindre les rivières Moon et Musquash, qui se jettent dans la baie Georgienne, c’est-à-dire la « sortie de l’entonnoir ». Les eaux des deux bras de la rivière Muskoka et des lacs Rosseau et Joseph se déversent toutes dans le lac Muskoka, d’où elles ressortent uniquement par les deux barrages de Bala. Ces barrages, exploités par le ministère, régularisent les eaux du lac Muskoka. Toutefois, en période de fort débit et de niveau élevé, il se forme un dénivelé entre le lac Muskoka et la baie Bala. À l’origine de ce dénivelé : trois étranglements à hauteur de l’île Bala Park et de l’île Wanilah qui limitent l’écoulement dans la baie Bala, phénomène qui influe sur la quantité d’eau pouvant être rejetée des barrages de Bala. En période de crue, on observe une grosse différence de niveau (au moins un mètre) entre la baie Bala et le lac Muskoka, ce qui complique encore plus le passage de l’eau dans les barrages de Bala.

Muskoka relève d’une structure municipale à deux paliers, le palier supérieur étant la municipalité de district de Muskoka (municipalité régionale), et le palier inférieur étant formé de six municipalités de secteur : les villes de Bracebridge, Huntsville et Gravenhurst, et les cantons de Lake of Bays, Georgian Bay et Muskoka Lakes. Le bassin hydrographique accueille aussi des parties d’autres municipalités, dont le canton d’Algonquin Highlands et le comté de Haliburton. Selon le Recensement du Canada de 2011, des quelque 150 000 habitants du bassin, 58 % environ sont des résidents saisonniers. La majorité des trois grands lacs – Muskoka, Joseph et Rosseau – se trouvent dans le canton de Muskoka Lakes. La Première Nation mohawk de Wahta et la Première Nation de la pointe Moose Deer se trouvent aussi sur le territoire de Muskoka.

Les principaux lacs de Muskoka (Muskoka, Rosseau, Joseph, etc.), qui sont l’objet d’un aménagement intensif, comptent des infrastructures de valeur réparties sur environ 14 000 lots lacustres : entre 5 300 et 5 500 remises à bateaux, plus de 6 500 quais, 41 marinas et 131 complexes touristiques.

4.3.2 Structures et activités de gestion des eaux

Le bassin hydrographique de la rivière Muskoka compte 42 structures de gestion des eaux, dont des barrages, des combinaisons barrage-centrale et trois écluses. Le ministère en exploite 29, qui sont toutes exploitées manuellement au moyen de batardeaux ou de valves. À l’origine, la plupart des barrages relevant du ministère servaient à faciliter le transport du bois jusqu’aux scieries, à faire dévier l’eau pour alimenter les moulins et à simplifier la navigation commerciale. Au fil du temps, on a délaissé leur utilisation pour le commerce et le transport au profit de l’équilibre entre les intérêts sociaux, récréatifs, environnementaux et économiques.

Il y a lieu de préciser ici que les barrages du Centre de l’Ontario, y compris ceux du bassin hydrographique de la rivière Muskoka, ne sont pas des structures de lutte contre les inondations. Ces structures ont besoin d’un grand lac ou réservoir et d’une capacité d’abaissement du niveau pour stocker ou retenir les eaux de crue. Les analyses le confirment : dans les lacs du bassin hydrographique de la rivière Muskoka qui sont régularisés par des barrages, la capacité d’abaissement pour modérer une crue est limitée, et en période de ruissellement intense et rapide, cette capacité ne permet pas de réduire le niveau des pointes de crue. Autrement dit, plus la crue est importante, moins le ministère peut l’atténuer à l’aide de ses barrages. Une fois que les barrages sont entièrement ouverts, il n’est pas en mesure d’augmenter le débit, puisque ce débit dépend de la quantité d’eau dans le réseau et de la vitesse d’écoulement naturelle et du niveau de l’eau qui franchit l’écluse.

Dans la mesure du possible, le ministère manœuvre ses barrages pour que le niveau d’eau reste dans la fourchette établie dans le plan d’exploitation du barrage. Pour la rivière Muskoka, les fourchettes ont été officialisées en 2006, dans le plan de gestion des eaux de la rivière Muskoka. Elles reposent sur différents facteurs, entre autres récréatifs et environnementaux. Le plan s’applique aux conditions hydriques normales, même s’il y est admis que des précipitations ou une fonte des neiges exceptionnelles peuvent faire grimper le niveau de l’eau et causer des inondations. Un plan de gestion des eaux peut certes contribuer à régulariser le débit pour qu’une activité ne prenne pas le dessus sur une autre (hydroélectricité contre loisirs, par exemple), mais il ne peut en aucun cas prévenir une inondation. L’objectif de ce plan, au sens de l’article 23 de la Loi sur l’aménagement des lacs et des rivières, est de contribuer au bien-être environnemental, social et économique de la population ontarienne par le développement durable des ressources hydroélectriques, et de gérer ces ressources de manière écologiquement viable dans l’intérêt des générations d’aujourd’hui et de demain. La gestion des crues et des inondations n’est pas un objectif explicite des plans de gestion des eaux, et ces plans ne sont pas conçus dans cette optique.

4.3.3 Aménagement du territoire et aménagement en zone inondable dans le bassin hydrographique de la rivière Muskoka

La cartographie des plaines inondables de la majorité du secteur a été effectuée à la fin des années 1980 et au début des années 1990, dans le cadre du Programme de réduction des dommages causés par les inondations Canada/Ontario (PRDI). Ont ainsi été cartographiés les secteurs de la grande rivière East à Huntsville et de la rivière Muskoka, ainsi que les grands lacs du bassin hydrographique de la rivière Muskoka. Cet exercice a permis de constater qu’il y avait beaucoup de chalets, de quais et de remises à bateaux dans la plaine inondable des rivières et des lacs. Depuis, l’aménagement du secteur, notamment de propriétés de loisirs, s’est énormément intensifié.

Dans les rapports de cartographie du PRDI datant de la fin des années 1980 et du début des années 1990 figuraient des recommandations de niveau d’eau (vertical) et de marge de recul (horizontale) entre lesquelles un promoteur pouvait choisir pour protéger une habitation contre les inondations : soit 1) construire l’habitation au-dessus du niveau minimal précisé dans un tableau du rapport; soit 2) construire l’habitation au- delà de la marge de recul précisée dans un tableau du même rapport. Il était aussi recommandé qu’aucun empiétement ne soit autorisé là où la profondeur de l’eau pendant la crue réglementaire dépasserait un mètre, et qu’aucun empiétement ne soit autorisé à moins de 20 mètres de la rive. Plus précisément, le PRDI, dont l’objectif était de recenser les secteurs désignés inondables, prévoyait des politiques rigoureuses pour encourager les autorités, lorsque les instances de zonage n’étaient ni provinciales ni fédérales, à imposer des restrictions d’utilisation du sol interdisant tout projet supplémentaire dans un secteur désigné inondable. Qui plus est, aucun programme fédéral ou provincial d’aide après une catastrophe ne peut s’appliquer aux dépenses et pertes résultant d’une inondation pour un projet entamé ou des biens meubles situés dans un secteur désigné inondable, que cette désignation soit provisoire ou non.

La municipalité de district de Muskoka est en train de mettre à jour ses cartes de plaines inondables à l’aide du financement symétrique du programme fédéral d’atténuation des catastrophes. Il est à noter que ces cartes sont utiles uniquement quand elles servent à orienter l’aménagement, dans l’optique de maintenir les personnes et les biens hors des plaines inondables. D’après les données, les autorisations d’aménagement du territoire ne reposent pas sur ces cartes, notamment dans le canton de Muskoka Lakes, où nombre de remises à bateaux sortent de terre tous les ans. Entre 2013 et 2016, par exemple, des permis de construction y ont été délivrés pour 267 remises, d’une valeur totale de 46 263 584 $. Comme ces remises se trouvent au-dessus de l’eau, au niveau ou près du niveau du délaissé de crue, elles sont toujours situées dans une plaine inondable (ou un canal évacuateur) et s’ajoutent à la liste des structures touchées lors d’une crue.

On craint beaucoup que la construction de remises à bateaux à Muskoka Lakes soit autorisée sans tenir compte des dégâts potentiels associés aux inondations et au soulèvement par le gel. Parmi les plans présentés au conseil municipal figurent des rez-de-chaussée avec salle de rangement, salle de jeu, ascenseur et salle de bain, bien loin de la remise à bateaux classique. Qui plus est, il semble n’y avoir aucune intention d’intégrer des mesures de protection contre les inondations aux plans de construction. Si ces structures continuent de voir le jour dans les zones à risque, les dégâts liés aux inondations et aux glaces ne feront qu’augmenter, tout comme les coûts associés aux dommages inévitables de ces phénomènes naturels. Dans un grand réseau hydrographique où les moyens d’atténuer l’ampleur d’une crue sont limités, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que le niveau de l’eau ne sorte jamais d’une fourchette précise et n’endommage jamais les quais, remises à bateaux et autres structures dans les plaines inondables. Vu les changements climatiques, ces structures continueront d’être endommagées par la montée des eaux et le mouvement des glaces, et sans doute de plus en plus souvent. C’est une certitude : les lacs et les rivières déborderont à nouveau; reste à savoir quand.

4.3.4 Printemps 2019 : conditions du bassin hydrographique, mécanismes de crue et activités de gestion des eaux

Le bassin hydrographique de la rivière Muskoka a déjà été inondé maintes fois : en 1976, 1980, 1985, 1998, 2008, 2013 et, plus récemment, en 2019. Tout l’hiver, le personnel du ministère vérifie la profondeur et l’équivalent eau-neige du manteau neigeux et analyse les conditions du sol du bassin. En 2018-2019, comme les autres années, le ministère débute ses contrôles en décembre. En vue de la fonte des neiges et des pluies printanières, il commence l’abaissement des lacs à la fin de l’automne 2018 et poursuit cette opération tout au long de l’hiver pour limiter le ruissellement. Il prend alors des mesures drastiques pour abaisser le niveau de la zone opérationnelle des lacs jusqu’à son seuil.

Pendant l’hiver, le ministère poursuit sa surveillance des conditions météorologiques. Pour atténuer le ruissellement printanier prévu, il continue d’abaisser le niveau d’eau des barrages. Plusieurs épisodes de pluie font monter le niveau de l’eau, et le ministère maintient ses mesures d’abaissement. Le lac Muskoka est abaissé à l’un de ses niveaux les plus bas en préparation de la pluie, de la fonte des neiges et du réchauffement prévus en avril. Des résidents se plaignent de ce faible niveau à la fin de mars 2019.

À la mi-mars, l’équivalent eau-neige du manteau neigeux du bassin hydrographique de la rivière Muskoka atteint une moyenne de 171 millimètres, ce qui est plus que la normale mais moins que certaines années. Précisons ici qu’un équivalent eau-neige supérieur à la normale n’est pas automatiquement synonyme d’inondation; c’est un facteur parmi tant d’autres dont les gestionnaires des ressources en eaux doivent tenir compte dans leurs décisions. Au début d’avril 2019, l’équivalent eau-neige du manteau neigeux atteint 192 millimètres, soit 208 % de la moyenne. La profondeur du manteau est alors de 66 centimètres en moyenne, dépassant parfois les 80 centimètres dans les eaux d’amont du bassin, dans le parc provincial Algonquin. D’après le relevé nivométrique effectué le 15 avril, le manteau a diminué d’environ un tiers (pour atteindre 43 centimètres), et son équivalent eau-neige est de 134 millimètres, soit 148,5 % de la moyenne.

En avril 2019, la station météorologique de l’aéroport de Muskoka reçoit 129,5 millimètres de précipitations, soit 164 % de plus que la moyenne mensuelle. Les températures sont inférieures à la moyenne à long terme : les chiffres sont nettement en dessous des normales jusqu’au début de la deuxième quinzaine du mois. La hausse notable des températures maximales survenant le 7 avril (12,2 °C) et le 12 avril (14,5 °C) et les températures nocturnes supérieures à 0 °C jouent un rôle important dans l’augmentation du ruissellement et le maintien de la fonte des neiges et de la production d’eaux de ruissellement. Le 7 avril, avec le réchauffement de l’air et la fonte des neiges qui augmentent le ruissellement dans le réseau hydrographique, le niveau du lac Muskoka commence à monter. (Si le débit entrant dans un lac est supérieur à la capacité maximale des barrages – tous batardeaux retirés –, le niveau d’eau monte.)

Entre le 10 et le 23 avril, la température moyenne journalière dépassant de 5 °C la normale, la température maximale variant entre 8,3 °C et 17,2 °C et la température nocturne supérieure à 0 °C sont autant de facteurs qui contribuent grandement à l’accentuation du ruissellement, surtout lorsque s’y ajoutent les 114 millimètres de pluie qui tombent la deuxième moitié du mois. À la mi-avril, en raison de l’épaisseur du manteau neigeux et de l’équivalent eau-neige, le tout associé aux fortes chutes de pluie sur la neige, un volume d’eau considérable entre dans les lacs et les rivières du secteur. Le 17 avril, le bureau de district du ministère de Parry Sound émet une veille d’inondation qui, deux jours plus tard, se transforme en avertissement d’inondation, compte tenu des pluies diluviennes (60 à 70 millimètres), de la hausse des températures et de la fonte des neiges survenant entre temps. Entre le 7 et le 28 avril, le niveau du lac Muskoka grimpe de 1,59 mètre, jusqu’à ce qu’il atteigne un plafond le 3 mai. Les 26 et 29 avril, le débit des bras nord et sud de la rivière Muskoka est au plus fort, enregistrant des chiffres records.

Au printemps 2019, les mesures d’exploitation des barrages sont conformes au plan de gestion des eaux de la rivière Muskoka, y compris les mécanismes visant à abaisser davantage le niveau d’eau quand l’équivalent eau-neige est élevé. Les dates clés qui figurent dans le plan sont le 15 mars et le 1er avril.

4.4 Inondations dans le bassin hydrographique de la rivière Magnetawan

Le bassin hydrographique de la rivière Magnetawan, qui se trouve immédiatement au nord de celui de la rivière Muskoka, subit lui aussi de fortes inondations au printemps 2019. Même si les chiffres du manteau neigeux et de l’équivalent eau-neige sont inférieurs à ceux du bassin du sud, ils restent considérablement plus élevés que la moyenne. Au début d’avril, l’équivalent eau-neige est à 260 % de la normale dans la partie supérieure du bassin. Bien que le bassin de la rivière Magnetawan soit moins développé que celui de la rivière Muskoka, certains secteurs du canton d’Armour, du canton de Ryerson et du village de Burk’s Falls subissent de fortes inondations au printemps 2019. Le petit village de Katrine, l’un des lieux les plus durement touchés dans le canton d’Armour, occupe une plaine inondable à l’embouchure du lac Doe, où une cinquantaine de maisons sont inondées.

4.5 Inondations dans le comté de Haliburton

Dans le comté de Haliburton coulent les eaux d’amont de la voie navigable Trent- Severn, où sont régularisés les débits et les niveaux des bassins hydrographiques correspondants, qui s’étendent sur plus de 18 000 kilomètres carrés. Le bassin de la rivière Trent compte 218 lacs dans la région des hautes-terres de Haliburton, dont 37 sont directement régularisés par les barrages de la voie navigable. Dans le comté de Haliburton, il y a environ 600 lacs nommés et bordés de nombreuses propriétés, dont un bon nombre uniquement accessible par l’eau.

Les bassins hydrographiques du comté de Haliburton sont les suivants : le bassin de la rivière Black qui coule au sud et à l’ouest du bassin de Muskoka; le bassin de la rivière Burnt; le bassin de la rivière Gull (qui englobe le réseau de la rivière Burnt); et le bassin du ruisseau Nogies et des lacs Eels et Jack.

Comme ailleurs en Ontario, le comté de Haliburton a été frappé par d’importantes inondations, surtout en 2013, 2016, 2017 et 2019. L’état d’urgence a été déclaré en 2013, 2017 et 2019, et il en a fallu de peu en 2016 et 2018.

4.6 Inondations aux abords du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent

4.6.1 Conditions de crue en 2019

En 2019, après une longue période sous la moyenne (de 1999 à 2013 environ), le niveau de tous les Grands Lacs est nettement au-dessus de la moyenne : le lac Supérieur, le lac Sainte-Claire, le lac Érié et le lac Ontario dépassent tous leur niveau record en mai, tandis que le lac Huron grimpe jusqu’à un centimètre de son record en juillet.

En raison de la fonte des neiges et des précipitations marquées autour du bassin du lac Ontario, ainsi que des débits entrants records du lac Érié, le débit total entrant au lac Ontario en mai 2019 est plus fort que jamais, dépassant le sommet atteint en 2017. C’est d’ailleurs le deuxième débit entrant le plus élevé tous mois confondus depuis 1900. En juin, le débit total entrant au lac Ontario est le deuxième plus élevé jamais enregistré pour ce mois-là. La période de janvier à juin 2019 est d’ailleurs la période la plus humide jamais observée sur ces six mois en raison du débit record du lac Érié et des conditions humides dans le secteur du lac Ontario. En aval du lac, le débit de la rivière des Outaouais, dont les eaux se jettent dans le fleuve Saint-Laurent, atteint lui aussi des chiffres records pendant la crue printanière de 2019 : en mai, il dépasse le record mensuel précédent (établi en 1974) de plus de 1 000 mètres cubes par seconde.

D’après le Conseil international du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent de la Commission mixte internationale (CMI), en 2019, le lac Ontario se retrouve entre un lac Érié qui déborde en amont, et un fleuve Saint-Laurent qui déborde en aval. En amont, le niveau du lac Érié bat en effet des records au début de mai. En aval, avec plusieurs mois de temps humide suivis de fortes pluies et d’une fonte des neiges marquée à la fin d’avril et au début de mai, la rivière des Outaouais voit son débit atteindre des sommets, entraînant de graves inondations dans son sillage et le long du cours inférieur du fleuve Saint-Laurent. Ensemble, ces records de débits venant du lac Érié et les précipitations supérieures à la moyenne dans le bassin du lac Ontario et celui de la rivière des Outaouais sont les principaux facteurs à l’origine du niveau historique du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent en 2019. Le niveau du lac Ontario finira par atteindre 75,92 mètres au début de juin, dépassant le précédent record journalier de 75,88 mètres datant de mai 2017.

Le niveau du lac Ontario change selon la différence entre son débit entrant et son débit sortant. Si le débit sortant est régularisé par le barrage Moses-Saunders dans le cadre du Plan 2014 de la CMI, le débit entrant, en revanche, n’est pas régularisé. Il est possible d’augmenter le débit sortant du barrage pour réduire le niveau du lac Ontario, mais cette structure a une capacité de régularisation très limitée, en raison des contraintes physiques s’appliquant au volume rejeté. En effet, un débit sortant élevé peut certes réduire la crue du lac, mais il peut aussi avoir des conséquences dramatiques en aval : si on l’augmentait suffisamment pour réduire le débordement du lac d’un centimètre en une semaine, on ferait monter l’eau de 10 centimètres en aval du barrage, à Montréal.

En avril et en mai 2019, le Conseil international du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent de la CMI continue de régulariser le débit sortant du lac Ontario en respectant les limites fixées par le Plan 2014. En juin, comme le débit de la rivière des Outaouais commence à diminuer, pour soulager les berges inondées du lac Ontario, le Conseil augmente rapidement le débit sortant du barrage Moses-Saunders, jusqu’à atteindre le débit prolongé le plus élevé jamais enregistré : 10 400 mètres cubes d’eau par seconde, soit l’équivalent du débit record maintenu pendant plusieurs semaines à l’été 2017. Ce chiffre représente un écart majeur par rapport au Plan 2014, mais la CMI procède ainsi, conformément à ses politiques, pour faire baisser le niveau extrêmement élevé du lac Ontario. En Ontario, les régions du lac Érié, du lac Ontario et du cours supérieur du fleuve Saint-Laurent ont subi des inondations, surtout lors des périodes marquées par une météo active.

D’après les médias, le comté de Prince Edward, la baie de Quinte, l’île de Toronto, la municipalité de Clarington, Brighton et le secteur des Mille Îles dans le cours supérieur de la rivière, entre autres, ont tous été touchés par les inondations.

4.6.2 Comparaison avec les conditions de crue de 2017

Les causes du niveau record du lac Ontario enregistré en 2017 et la régularisation du débit dans le cadre du Plan 2014 ont fait l’objet d’une étude et d’un rapport du Conseil (voir le rapport à la CMI intitulé Conditions observées et régularisation du débit en 2017 (PDF, 25 mai 2018, Conseil International du Lac Ontario et du Fleuve Saint-Laurent - Conditions observées régularisation du débit en 2017). Le Conseil estime que le niveau extrême du lac est essentiellement attribuable aux précipitations records reçues dans le bassin du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent, et fait remarquer qu’il y a également eu du temps pluvieux en amont dans le bassin hydrographique du lac Érié. Le niveau du lac Ontario a grimpé en flèche, atteignant un chiffre historique à la fin de mai. Devant cette situation, durant toute l’année à l’exception de trois semaines, le débit sortant du lac a été déterminé soit par la limite autorisée par le Plan 2014, soit par des écarts par rapport au Plan. D’après le Conseil, le Plan n’a ni causé le niveau élevé de 2017, ni ne l’a favorisé de façon notable.

Les inondations de 2017, entre autres répercussions, ont fait l’objet d’un rapport du Comité de gestion adaptative des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent (qui relève de la CMI), dans le cadre de l’évaluation continue de la régularisation du débit sortant des Grands Lacs (voir le rapport à la CMI intitulé Résumé des répercussions du niveau d’eau et des conditions observées dans le bassin des Grands Lacs en 2017 à l’appui de l’évaluation continue du plan de régularisation (PDF, 13 novembre 2018, Comité de gestion adaptative des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent (GAGL) Résumé des répercussions du niveau d’eau et des conditions observées dans le bassin des Grands Lacs en 2017 à l’appui de l’évaluation continue du plan de régularisation). Le Comité a ainsi évalué auprès de diverses sources les répercussions, dont les inondations, observées sur de multiples secteurs d’intérêt. Il précise toutefois qu’une grande partie des données quantitatives économiques et environnementales n’était pas accessible au moment du rapport.

En 2017, les propriétés riveraines ont subi des répercussions généralisées, les médias faisant état de maisons, de routes, d’entrées, de pelouses et de sentiers inondés, sans compter les interventions d’urgence et les efforts considérables déployés pour protéger les maisons et les propriétés avec des sacs de sable. En Ontario, on a observé des inondations de propriétés résidentielles et de bâtiments le long de la rive du lac Ontario, comptant parmi les régions durement touchées des parties de l’île de Toronto, de Clarington, de Brighton et du comté de Prince Edward. Sur le cours supérieur du fleuve Saint-Laurent, des inondations ont surtout été observées dans la région des Mille Îles. Dans le rapport, la figure 5-25 montre le pourcentage de répondants à l’enquête ayant déclaré une incidence d’inondation. En Ontario, sur les rives lacustres, un état d’urgence local a été déclaré pour une partie du littoral de Clarington ainsi que pour tout le comté de Prince Edward. Les Mohawks de la baie de Quinte ont également déclaré une situation d’urgence sur leur territoire compte tenu du niveau d’eau élevé.

4.7 Inondations le long des lacs Érié et Sainte-Claire

Depuis mars 2019, le niveau des lacs Érié et Sainte-Claire reste au-dessus des seuils de veille d’inondation locaux et atteint même un record mensuel moyen en juillet. Le niveau du lac Érié dépasse la moyenne mensuelle à long terme d’environ 84 centimètres, soit 13 centimètres de plus que le record de 1986, et 35 centimètres de plus qu’en juillet 2018. Le lac Sainte-Claire, quant à lui, dépasse cette moyenne d’environ 86 centimètres, ce qui représente 10 centimètres de plus que le record de 1986, et 35 centimètres de plus qu’en juillet 2018.

Devant ces niveaux historiques, la région de Windsor-Essex fait l’objet d’une veille d’inondation depuis plus de six mois. De même, jusqu’ici, l’Office de protection de la nature de la vallée du cours inférieur de la rivière Thames a publié 50 bulletins (déclarations sur les conditions des bassins hydrographiques, veilles et avertissements d’inondation) en 2019 pour avertir les résidents riverains que des inondations pourraient survenir.

Certains secteurs de la région d’Essex, au sud-est de Leamington entre le marais Hillman et la pointe Pelée, se trouvent derrière des digues en terre datant de la fin du XIXe siècle qui ont été « rafistolées » sporadiquement selon les urgences. Environ 400 maisons et 2 100 hectares de terres agricoles sont parfois 3 à 3,35 mètres sous le niveau du lac Érié.

Même s’il est actuellement en plein déclin saisonnier, le niveau des lacs reste au- dessus du record de 1986. Autrement dit, ce déclin ne réduit pas les risques d’inondation et d’érosion de la région, qui devraient d’ailleurs être aggravés par les pluies printanières, le vent et la glace hivernale.

4.7.1 Inondations de 2019

Les inondations et l’érosion des berges du lac Érié ont été et sont encore (dans la plupart des cas) synonymes de répercussions considérables pour les résidents, les entreprises et les infrastructures.

Au bord du lac Érié, à Chatham-Kent, trois tronçons routiers ont été fermés (9,6 kilomètres en tout). Situation similaire à LaSalle et Kingsville, où certaines routes ont été fermées par endroits devant le niveau élevé de l’eau.

La montée des eaux a aussi forcé la fermeture de marinas à Windsor et Lakeshore, de sentiers riverains à Windsor, et de certaines parties des zones de protection de la nature de la Plage Holiday et de la Plage Tremblay.

Des propriétés riveraines du lac Érié, entre le parc national de la Pointe Pelée et la ville de Wheatley, ont subi 10 inondations entre mars et août 2019. Elles ont été construites sur un littoral argileux qui s’érode naturellement : dans les conditions actuelles (niveau d’eau élevé), l’action des vagues érode la berge, et quand le niveau du lac est bas, c’est le fond argileux qui s’érode sous l’effet des vagues qui déferlent dans la zone des brisants.

Dans certains secteurs, on a installé des structures de protection des rives (rideaux de palplanches et brise-lames ou revêtements en pierres de carapace) pour tenter de freiner l’érosion du littoral, mais ces structures n’empêchent pas l’érosion du fond du lac près du rivage, si bien que la pente du fond s’accentue de plus en plus à cet endroit. Et plus la pente est forte, plus les vagues gagnent en amplitude et en puissance. Au bout du compte, les structures construites pour réduire les risques d’érosion aggravent le phénomène petit à petit. Résultat : après chaque tempête, les risques d’inondation empirent.

Quasiment coupées du reste du monde, de nombreuses propriétés ont subi et continuent de subir le contrecoup des inondations. Comme certaines propriétés submergées ne sont pas raccordées au réseau municipal, leur fosse septique tombe en panne et la moisissure s’installe, ce qui entraîne des problèmes de santé et de sécurité, en plus des séquelles physiques et psychologiques.

La crue, qui a ravagé le littoral, empêche l’exécution de nombreuses réparations, laissant les constructions actuelles sans défense devant les risques d’érosion et d’inondation.

Sous l’effet de la montée des eaux, les vagues du lac ont fait une percée de plus de 100 mètres dans le cordon littoral du marais Hillman, et menacent gravement les digues intérieures, qui sont à présent directement exposées. Comme ces digues ne sont pas censées supporter une telle quantité d’eau sur une longue période, les localités intérieures qu’elles protègent sont elles aussi inondables.

Le brise-lames de la plage Marentette s’est rompu, exposant les digues intérieures aux vagues du lac, auxquelles elles ne sont pas faites pour résister. Des réparations mineures ont été apportées conformément à la Loi sur le drainage, mais elles sont essentiellement temporaires.

Sous l’effet de l’érosion, de gros blocs de tourbe continuent de se détacher dans les zones marécageuses de Leamington et de la baie Rondeau, la dernière observation du phénomène datant de l’été 2019.

À cause des problèmes d’équilibre sédimentaire, causés par l’artificialisation de la berge, le cordon littoral qui protège le sud-ouest de la baie Rondeau a reculé d’une centaine de mètres. Les vagues du lac Érié pénètrent donc dans la baie, menaçant les 470 maisons de Shrewsbury, une localité de faible altitude. D’après les conditions actuelles et les changements climatiques prévus, les inondations devraient se poursuivre et durer longtemps.

Le 27 août 2019, l’état d’urgence a été déclaré sur Erie Shore Drive en raison des fortes inondations causées par la pluie et les vents violents (jusqu’à 35 kilomètres à l’heure). On dénombre sur cette route 123 maisons à risque, dont 35 % occupées par des résidents permanents. Douze d’entre elles, ainsi que la route, la pente de soutien, le drain et trois brise-lames ont été considérablement endommagés par les intempéries.

Une évacuation volontaire a eu lieu dans un secteur précis d’Erie Shore Drive comptant 50 résidences. Les services d’électricité et de gaz naturel ont été coupés quand la sécurité des habitants était en danger. Par crainte d’une panne, on a réduit la pression de la conduite maîtresse (sous Erie Shore Drive) qui alimente la localité d’Erieau en eau potable. Dans le court laps de temps avant, pendant et après les intempéries, la municipalité a consolidé la chaussée et les structures de drainage.

4.7.2 Érosion

S’ils sont considérables, les problèmes d’inondation ne peuvent être dissociés de l’érosion qui touche les rives des Grands Lacs. Dans bien des secteurs où les risques d’inondation sont les plus élevés, on observe aussi un taux d’érosion élevé à long terme, notamment à Marentette, Wheatley, Erie Shore Drive et dans beaucoup de zones escarpées. Conformément au guide technique des années 1990, on a autorisé la construction de propriétés le plus près possible de la zone à risque, une fois la limite d’érosion appliquée côté terre. Néanmoins, en raison des changements climatiques, le profil de risque n’est plus le même. Le recul de la glace lacustre expose de plus en plus le littoral à l’action des vagues et à l’érosion. Les propriétés qui avaient 100 ans de tranquillité devant elles n’en auront peut-être plus que 50, et de gros segments d’infrastructures municipales (routes et conduites) risquent de lâcher.

L’érosion des rives de l’île Pelée est particulièrement inquiétante, car elle a emporté des tronçons routiers servant d’entrée et de sortie aux résidents. Des glissements de falaises se sont produits en 2019 sous l’effet d’érosion des hautes eaux, glissements qui ont eu des conséquences sur les maisons riveraines, dont au moins une se trouve maintenant à 1,5 mètre du précipice. Même si l’eau se retire dans la région, ce phénomène devrait se reproduire bientôt, car l’érosion a déjà commencé au pied de ces falaises.

La municipalité de Chatham-Kent a fermé Talbot Trail (ouest) sur 3,8 kilomètres à cause de l’érosion du côté sud de la route (glissement rotationnel). Pour régler le problème, il faudra investir environ 640 millions de dollars d’entrée de jeu, puis 12 millions de dollars par an pour l’entretien.

4.7.3 Tempêtes de pluie récentes

Les risques d’inondation pesant sur le Sud-Ouest de l’Ontario ne sont pas uniquement le fruit de la montée des eaux lacustres.

En septembre 2016, un épisode pluvieux intense et isolé venu du Nord-Ouest a déversé plus de 200 millimètres d’eau en six heures sur les villes de Windsor, Tecumseh et Lakeshore, inondant des milliers de sous-sols d’habitations urbaines.

En août 2017, un système similaire en provenance du Sud-Ouest a formé deux tempêtes distinctes, la première causant des pluies de 100 millimètres, la deuxième faisant s’abattre 146 millimètres d’eau en moins de trois heures. Les 246 millimètres ainsi tombés en moins de six heures dépassent toutes les normes de construction reconnues. Résultat : plus de 300 millions de dollars de pertes assurables.

Comme la région d’Essex et la vallée du cours inférieur de la rivière Thames sont des zones de faible altitude, si le niveau d’eau lacustre ou fluvial est élevé, les eaux pluviales et les eaux usées n’ont nulle part où aller.

Par exemple, certains secteurs de Lakeshore, Tecumseh et Windsor occupés par 30 000 résidents sont des centres entièrement urbanisés qui se trouvent dans une zone inondée par le passé par le lac Sainte-Claire. Les systèmes de pompage assurant le drainage des eaux sont à présent régulièrement saturés par les intempéries qui dépassent les normes de construction reconnues. Ces secteurs sont dotés de systèmes de protection contre les débordements lacustres (bermes ou dispositifs de pompage), mais ceux-ci sont hypothéqués par les élévations records du niveau du lac. N’importe quel épisode de pluie mesurable, comme ceux survenus en 2016 et 2017, provoquera des inondations non négligeables, surtout dans les centres urbains.

4.8 Autres inondations récentes dignes de mention

Les inondations du printemps 2019 ont certes causé beaucoup de dégâts dans bien des régions de l’Ontario, mais d’autres inondations survenues récemment ont retenu mon attention pendant l’examen. J’en parle dans la présente section pour montrer que celles de 2019 ne semblent pas être un phénomène isolé. Là encore, l’objectif n’est pas de brosser un portrait exhaustif de ces inondations, portrait qui ne relève d’ailleurs pas de ma mission. Je trouve néanmoins qu’il est important d’en mentionner quelques-unes pour montrer que les inondations ne sont pas rares dans la province et qu’elles peuvent arriver n’importe quand.

4.8.1 Inondations récentes à Toronto

Plus de 2,7 millions de personnes vivent à Toronto, et près de 6 millions dans la région du grand Toronto (RGT). Comparativement à d’autres endroits, la ville n’a pas été particulièrement marquée par les inondations de 2019, mais elle a été touchée par d’autres épisodes qui sont dignes de mention ici.

Avec des zones de drainage de 38 kilomètres carrés (ruisseau Carruthers) à 900 kilomètres carrés (rivière Humber), les bassins hydrographiques de Toronto sont relativement peu étendus. Dans ces zones caractérisées par de petits cours d’eau et des surfaces très urbanisées (imperméables), il ne faut pas longtemps pour que des chutes de pluie entraînent des inondations. Au nombre des menaces figurent les embâcles en hiver, la fonte des neiges au printemps, les orages imprévisibles en été et les vestiges d’ouragans à l’automne.

Même si l’aménagement du territoire réduit efficacement les risques en zone verte, beaucoup de quartiers sont sortis de terre près des rivières avant la gestion des plaines inondables. Les centres-villes historiques de Brampton, Bolton, Unionville et Stouffville en font partie. En tout, il y a 41 secteurs vulnérables (grande concentration de bâtiments dans une plaine inondable) rien que dans le territoire relevant de l’Office de protection de la nature de Toronto et de la région (TRCA).

Les inondations les plus graves de l’histoire de l’Ontario sont survenues en octobre 1954, quand l’ouragan Hazel s’est abattu sur la région de Toronto : 81 personnes ont perdu la vie, et les dégâts ont été estimés à 25 millions de dollars (dollars de 1954). D’après l’évaluation des risques d’inondation récemment menée par le TRCA, si l’ouragan Hazel survenait aujourd’hui, il pourrait coûter près de 3 milliards de dollars en dommages matériels, perturbations économiques et déplacement de populations. Une tempête de cette envergure est bel et bien une éventualité à laquelle il faut se préparer, mais à la lumière des récents épisodes, on constate que des intempéries beaucoup moins fortes peuvent aussi provoquer des dégâts considérables.

C’est ainsi que le 8 juillet 2013, pendant l’heure de pointe de l’après-midi, un orage violent déverse plus de 120 millimètres d’eau sur certains secteurs de la RGT. Résultat : environ 1 milliard de dollars de pertes assurables et des milliers d’usagers coincés, dont plus de 1 400 passagers qu’il a fallu sortir d’un train de GO Transit piégé par les eaux de la rivière Don.

Au printemps 2017, le lac Ontario atteint un niveau historique. Sur les îles de Toronto, où se trouvent 800 résidents, près de 30 entreprises et deux écoles, les conséquences sont terribles : dans les parcs, les berges s’érodent considérablement, de gros dégâts surviennent et les débris s’accumulent. À cause de la fermeture du parc de l’île de Toronto, la ville subit en 2017 des dommages directs et indirects estimés à 8 millions de dollars. En 2019, si le niveau d’eau grimpe encore plus haut qu’en 2017, des mesures préventives permettent de garder les îles ouvertes. Cette année-là, l’eau reste à son niveau record pendant près de quatre semaines. L’évaluation complète des dégâts occasionnés est encore en cours.

Le 8 août 2018, une tempête « ninja » très localisée fait tomber plus de 100 millimètres de pluie en moins de deux heures. Cette tempête non prévue a une amplitude géographique si restreinte que sa trajectoire n’est pas recensée par les pluviomètres en temps réel du TRCA. Le ruisseau Black du quartier Rockcliffe, un secteur très vulnérable aux inondations, monte de deux mètres en 75 minutes, inondant les propriétés alentour et coinçant dans un ascenseur deux hommes qui tentaient de récupérer leur véhicule dans un stationnement souterrain. Ils seront sauvés de justesse par les premiers intervenants.

Le 15 mars 2019, alors que les chutes de pluie et la fonte des neiges augmentent le débit des rivières, un embâcle se forme à Caledon, inondant le quartier central de Bolton. Le soir, devant la montée des eaux, plus de 80 maisons sont évacuées, dont 30 directement touchées par les inondations. La glace accumulée devra être retirée à l’excavatrice.

4.8.2 Inondations récentes dans le bassin hydrographique de la rivière Grand

La rivière Grand serpente au cœur de l’une des régions les plus florissantes de l’Ontario. Son bassin hydrographique subit toutefois les conséquences de la forte croissance démographique, de la culture extensive et des changements climatiques : le réchauffement de l’air et de l’eau, l’intensification des tempêtes de pluie et les variations météorologiques radicales représentent de nouveaux casse-têtes pour gérer les inondations, améliorer la qualité de l’eau et approvisionner en eau les municipalités, les agriculteurs, le secteur industriel et l’environnement naturel.

Dans le bassin hydrographique de la rivière Grand, les facteurs d’inondations sont multiples :

  • Fonte des neiges rapide en peu de temps;
  • Chutes de pluie et fonte des neiges en même temps;
  • Embâcles localisés;
  • Chutes de pluie modérées sur un sol saturé ou gelé;
  • Chutes de pluie extrêmes et localisées (cellules orageuses violentes, orages de convection ou brises de lac);
  • Pluie abondante et étendue (vestiges de tempêtes tropicales ou gros systèmes dépressionnaires);
  • Déferlement sur les rives du lac Érié.

Dans le bassin hydrographique, bien que certains types d’inondations présentent un caractère saisonnier, le risque d’inondation fluviale est présent plus ou moins toute l’année. À cela s’ajoutent les problèmes propres au lac Érié : inondations causées par le déferlement des vagues, érosion du rivage et brises de lac (vent soufflant de la surface de l’eau vers les rives).

Les grosses inondations du bassin hydrographique semblent suivre un cycle et se succéder : d’après les données, ce type de phénomène est survenu par occurrences multiples à la fin des années 1940, au milieu des années 1970, au début et à la fin des années 2000, et plus récemment, en 2017 et 2018.

En juin 2017, un épisode de pluie non prévu provoque de fortes inondations à Grand Valley, Drayton, West Montrose, Conestogo, Cambridge (Preston) et Glen Morris. Plus de 125 millimètres de pluie s’abattent sur la partie nord du bassin hydrographique en l’espace de quelques heures, ce qui produit le débit le plus fort jamais observé dans la rivière Grand à Cambridge depuis mai 1974. Les bilans (non confirmés) font état de plusieurs millions de dollars de dégâts.

L’épisode de pluie en une journée le plus intense jamais enregistré dans le bassin hydrographique de la rivière Grand survient en février 2018. Il provoque des inondations presque sans précédent, aggravées par les embâcles majeurs qui se forment dans de nombreuses localités. À Brantford, à cause de ces embâcles, l’eau passe par-dessus les digues, ce qui force l’évacuation de plus de 5 000 résidents. Les barrages relevant de l’Office de protection de la nature de la rivière Grand contribuent à réduire le débit de l’ordre de 40 % à 50 % en aval des principaux réservoirs, mais le transport est quand même gravement perturbé (fermetures de routes et de ponts). À Cambridge et Brantford, les dommages municipaux s’élèvent à plus de 5 millions de dollars. Quant aux dommages subis par les propriétaires fonciers et les entreprises, ils sont encore indéterminés.

En février 2019, la fonte des neiges et l’accumulation de glace causent le deuxième embâcle le plus important jamais enregistré dans une localité (West Montrose) depuis 1967, le premier datant de février 1981.