La transformation numérique des trente dernières années a donné naissance à une nouvelle réalité économique dans laquelle la base de la richesse et du pouvoir provient de la possession de propriété intellectuelle de valeur et, plus récemment, de l’accumulation et du contrôle des données. La propriété intellectuelle et les données sont aujourd’hui les actifs les plus précieux au monde pour les affaires et la sécurité nationale. La meilleure preuve en est l’évolution constante de l’indice Standard & Poor 500 (S&P500) au cours des quatre dernières décennies. Comme le montre la figure 1, environ 17 % de la valeur du S&P500 en 1975 était constituée d’actifs incorporels, alors qu’aujourd’hui les actifs incorporels représentent plus de 91 % du S&P500 (Ocean Tomo, 2015), pour un total de 22 000 milliards de dollars en valeur (The Globe and Mail, 2019) (en anglais seulement), et les actifs corporels ne représentent que 5 % de la valeur totale des cinq entreprises les plus riches au monde.


Figure 1 : Passage des actifs corporels aux actifs incorporels. Composants de la valeur du marché de l’indice S&P500

Figure 1

Source : Ocean Tomo: Intangibles Asset Market Value Study, 2015.

La Figure 1 illustre un déplacement des composants de la valeur de marché du S&P, où les actifs incorporels, qui constituaient la majorité des actifs totaux en 1975 (83 %), sont devenus la minorité (9 %) en 2019. Entre-temps, la proportion des actifs incorporels a augmenté au fil du temps, représentant la minorité en 1975 (17 %) à la majorité (91 %) en 2019.


Parallèlement, des gouvernements tournés vers l’avenir ont commencé à élaborer des stratégies de développement économique actualisées, axées sur le soutien à la génération, l’accumulation, la commercialisation et la protection de la propriété intellectuelle.

Au cours des dix dernières années, l’économie mondiale s’est élargie pour inclure les actifs de données, et l’accent stratégique s’est tourné vers la génération, l’exploitation et le contrôle de ces actifs de données. Cela inclut l’application de l’apprentissage automatique pour produire de l’intelligence artificielle ainsi que la génération d’une propriété intellectuelle précieuse développée en plus des actifs de données, créant ainsi un nouveau défi en matière de politiques liées à la propriété intellectuelle générée par les machines. Cette génération sans précédent d’actifs de propriété intellectuelle (et de données) exige des approches politiques urgentes, mais sophistiquées, pour chaque nation, État ou territoire qui fait concurrence dans l’économie mondiale. Cela inclut certainement l’Ontario.

Le Comité d’experts en matière de propriété intellectuelle a été créé par le gouvernement de l’Ontario au printemps 2019 dans le cadre des efforts faits par celui-ci pour examiner, actualiser et mettre en œuvre des objectifs politiques qui favorisent la prospérité de l’Ontario dans l’économie contemporaine. Le Comité d’experts en matière de PI a été chargé d’élaborer un plan d’action pour la mise en place d’un cadre provincial de propriété intellectuelle qui exploite pleinement les avantages potentiels des investissements de l’Ontario dans la recherche et le développement et maximise le rôle que les intermédiaires en innovation de l’Ontario peuvent jouer pour soutenir ce cadre.

En tant que membres du Comité d’experts, nous venons d’horizons très divers, notamment de l’enseignement supérieur, de l’industrie, de la technologie et de l’innovation, du capital-risque et de l’investissement, ainsi que du droit de la propriété intellectuelle :

  • Jim Balsillie, homme d’affaires et philanthrope, président du Conseil d’administration et ancien co‑président‑directeur général de Research In Motion (aujourd’hui BlackBerry), président du conseil canadien des innovateurs ainsi que président du Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale
  • Shiri M. Breznitz, Ph. D., professeure agrégée de l’École Munk des affaires internationales et des politiques publiques de l’Université de Toronto
  • Myra Tawfik, professeure de stratégie et de commercialisation de propriété intellectuelle de l’EPICentre de l’Université de Windsor
  • Dan Herman, Ph. D., cofondateur du Centre for Digital Entrepreneurship & Economic Performance (DEEP), et cofondateur de MyJupiter Inc
  • Natalie Raffoul, associée directrice de Brion Raffoul Intellectual Property Law

Pour parvenir à nos recommandations, nous avons passé en revue les recherches sur l’essor de l’économie basée sur la propriété intellectuelle et les meilleures pratiques des territoires concernés dans le monde entier, et nous avons mené 14 consultations en personne, auxquelles ont participé plus de 110 personnes et plus de 80 organisations.

Nous avons été encouragés par la participation enthousiaste et les idées audacieuses dont nous ont fait part les intervenants lors de ces consultations et par le désir manifeste de nombreux Ontariens d’aider le gouvernement à obtenir une image solide du milieu de la propriété intellectuelle de l’Ontario et de l’aider à être plus performant pour tous ceux qui y participent. Par conséquent, nos recommandations reflètent le défi que doit relever la province pour optimiser un tel milieu, ainsi que les possibilités qu’il peut offrir, souvent sans financement supplémentaire, simplement grâce à une meilleure coordination entre les intervenants.

Le défi pour l’Ontario dans l’économie d’aujourd’hui

Lors d’un discours récent, le ministre des Finances de l’Ontario, Rod Phillips, a fait la déclaration suivante concernant la place qu’occupait l’Ontario concernant le PIB par habitant : [traduction] « Lorsque l’on parle de l’Ontario, certains d’entre nous se souviendront de l’époque où nous faisions partie des dix territoires nord-américains les plus importants, à égalité avec nos voisins du sud comme l’État de New York, qui se classe aujourd’hui au cinquième rang… les gens sont souvent surpris d’apprendre que nous sommes désormais au 45e rang, juste devant le Montana. Nous devrions faire mieux, et nous pouvons faire mieux. », (Toronto Star, 10 octobre 2019).


Figure 2 : Graphique du PIB par habitant du Canada par rapport aux États-Unis.

Figure 2

Source : www.IMF.org

La Figure 2 compare le PIB par habitant du Canada à celui des États-Unis au cours de la période allant de 2010 à 2019, et indique que le PIB par habitant des États-Unis dépasse considérablement celui du Canada à compter de 2015. Bien que les États-Unis aient connu une croissance de leur PIB par habitant pendant la même période, le PIB par habitant du Canada a connu une baisse modérée deouis 2014. De légères augmentations comparativement aux années précédentes sont observées au Canada en 2017 et 2018, mais le PIB par habitant reste inférieur aux niveaux de 2010.


Le défi de la prospérité de l’Ontario est partagé avec le reste du pays. Les données comparant le PIB par habitant du Canada à celui des États-Unis au cours de la dernière décennie révèlent des tendances qui n’ont commencé que très récemment à susciter un sentiment d’inquiétude, et seulement chez quelques rares responsables de la politique monétaire et budgétaire. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB par habitant du Canada est inférieur de 3 % à ses niveaux de 2010, alors que les États-Unis ont connu une augmentation de 35 % au cours de la même période (Fonds monétaire international, 2019), en partie grâce à l’alignement de leur infrastructure de politique économique sur les réalités économiques fondées sur la connaissance et les données qui, selon le département du Commerce américain, contribuent pour près de 8 billions de dollars par an à l’économie américaine. Ces résultats sont en corrélation directe avec la capacité de chaque citoyen à consommer des produits et des services.

Un autre facteur qui n’est pas pris en compte lors de l’examen des données sur le PIB par habitant, en particulier lorsque les taux d’emploi augmentent, est l’indice de qualité des emplois. Dans une étude récente comparant le rendement du marché du travail des provinces canadiennes avec celui des États américains de 2015 à 2017, les provinces canadiennes ont obtenu des résultats nettement moins importants que les États américains, toutes les provinces canadiennes se classant dans la moitié inférieure des 60 territoires (Fraser Institute, 2019, PDF) (en anglais seulement).

Les travailleurs canadiens étaient également beaucoup plus susceptibles d’occuper un emploi à temps partiel subi, alors qu’ils auraient souhaité travailler à temps plein. Sur cet indicateur de sous-emploi, toutes les provinces canadiennes se sont classées dans la moitié inférieure.

À la fin des années 1980, alors que l’économie n’était pas aussi intensive dans le domaine de la propriété intellectuelle qu’elle ne l’est aujourd’hui et que notre mesure de la qualité de l’emploi était supérieure de 15 %, une augmentation d’un pour cent de l’emploi générait, en moyenne, une augmentation de 4,4 % du revenu réel tiré du travail. Aujourd’hui, elle génère moins de 3 %, (CIBC Economics, Tal Benjamin 2019) (en anglais seulement).

Les meilleurs résultats dans ces indices proviennent de territoires qui ont fait évoluer leurs stratégies de prospérité pour obtenir de meilleurs résultats dans cette économie mondiale transformée.


Figure 3 : Indice de qualité des emplois du Canada (graphique fourni par la CIBC)

Figure 3

Source : Tableaux de la CIBC basés sur les tableaux de Statistique Canada

Les deux graphiques de la Figure 3 (en anglais seulement) illustrent l’indice de qualité des emplois de la CIBC pour le Canada. Cet indice combine des renseignements sur la répartition des emplois à temps partiel par rapport aux emplois à temps plein; au travail autonome par rapport au travail rémunéré; et le classement de la rémunération d’emplois rémunérés à temps plein pour plus de 100 groupes d’industries. Le tableau de gauche illustre une baisse de l’indice de 1989 à 2019. Le tableau de gauche illustre une baisse de l’indice de 2018 à 2019.


Un certain nombre d’intervenants ontariens peuvent jouer un rôle important dans le renversement de ces tendances en matière de prospérité. Ils comprennent les petites et moyennes entreprises (PME), le secteur postsecondaire de l’Ontario, les incubateurs, les accélérateurs et les Centres régionaux d’innovation (CRI) qui reçoivent des fonds publics pour améliorer les résultats en matière d’innovation. De même, le gouvernement a un rôle essentiel à jouer pour guider la création et la mise en œuvre de stratégies politiques qui aident ces acteurs à atteindre les résultats souhaités en matière de prospérité.