Kate Forget et Aliesha Arndt
Ministère du Procureur général – Division de la justice pour les Autochtones

Cette brève préface ne saurait relater toutes les tentatives du Canada pour éradiquer et assimiler les Autochtones. Elle cherche plutôt à offrir un peu de contexte pour que l’on comprenne mieux pourquoi les communautés des Premières Nations sont disproportionnellement ravagées par des incendies mortels.

Historique

Depuis plus d’un siècle, le Canada cible les nations autochtones dans ses lois et politiques de manière à « éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des Autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canadafootnote 1.

Sa tactique la plus destructrice employée a probablement été celle de briser leurs liens avec la terre, et par le fait même, avec leurs patrimoine, culture, identité et communauté. Dans certaines régions du pays, le retrait des Autochtones de leurs terres ancestrales et leur confinement forcé dans des réserves détenues par la Couronne ont été rendus possibles par la négociation de traités. Or, sous des dehors justes et légaux, ce procédé était souvent « caractérisé par la fraude et la coercitionfootnote 2. Dans d’autres régions canadiennes, les terres étaient simplement saisies sans consentement.

En plus des tentatives de séparer les peuples autochtones de la terre, on a procédé à leur assimilation forcée par différentes méthodes instituées ou non par la loi. Parmi celles-ci, le système de pensionnats autochtones, la rafle des années 1960 et la rafle du millénaire.

Il est crucial de reconnaître que ces événements historiques ont des répercussions aujourd’hui encore et que beaucoup d’Autochtones portent en eux les marques de ce lourd passé. Le lecteur de ce rapport doit impérativement comprendre le côté sombre de l’histoire du Canada et reconnaître l’existence du traumatisme intergénérationnel qui se perpétue dans les communautés autochtones en conséquence directe des tentatives de colonisation et d’assimilation forcée de l’État.

Négligence découlant du partage des compétences

De nombreuses questions soulevées dans cette section et dans le présent rapport sont liées au chevauchement des compétences provinciales et fédérale au chapitre de la prestation des services aux Autochtones prévus par la Constitution canadienne.

La Constitution donne au gouvernement fédéral le pouvoir de gouverner les « Indiens et les terres réservées pour les Indiens », pouvoir qu’il exerce par le truchement d’une loi appelée Loi sur les Indiens. Cela signifie que le gouvernement fédéral est responsable de la prestation des services dans les réserves qui, à l’extérieur des réserves, sont de compétence provinciale. Résultat : les gouvernements provinciaux et fédéral ont des désaccords concernant leurs responsabilités respectives, ce qui contribue à un problème de sous-financement chronique ainsi qu’à la fragmentation et à l’insuffisance des services pour les communautés autochtonesfootnote 3.

Il est donc question de « négligence qui découle du partage des compétences » lorsque des groupes ou des personnes sont susceptibles de « passer entre les mailles du filetfootnote 4. Par exemple, ce sont les gouvernements provinciaux et territoriaux qui sont généralement responsables des installations d’eau potable et de traitement des eaux usées. Toutefois, ceux-ci peuvent prétendre que leur autorité ne s’étend pas aux réserves, qui tombent sous la responsabilité fédérale. Or, bien que le gouvernement fédéral s’était engagé dans son budget de 2016 à donner accès à l’eau potable aux Premières Nations, certaines communautés en Ontario et ailleurs au Canada ne jouissent toujours pas de ce droit, contrairement aux personnes non autochtonesfootnote 5. La question de l’accès aux installations d’eau potable et de traitement des eaux usées est centrale dans ce rapport étant donné l’incidence qu’elle peut avoir sur la capacité d’une communauté à intervenir en cas d’incendie.

Les communautés autochtones peuvent aussi subir les répercussions du partage de compétences dans l’application des codes du bâtiment dans les réserves. Comme mentionné précédemment, les terres des Premières Nations sont réglementées en vertu de la Loi sur les Indiens et sont la responsabilité du gouvernement fédéral. Généralement, les codes du bâtiment provinciaux ne s’appliquent pas aux projets de construction dans les réserves. Par ailleurs, le Code national du bâtiment du Canada n’a pas de statut juridique à moins qu’il soit adopté à l’échelle provincialefootnote 6.

La Loi sur les Indiens accorde aux Premières Nations le droit de créer des règlements relatifs à la construction, à la réparation et à l’utilisation de bâtimentsfootnote 7, et c’est ce qu’ont fait certaines d’entre elles en Ontario. D’autres communautés de la province ont conclu des accords avec le Canada concernant la gestion de leurs terres et de leurs ressources, sous le régime de la Loi sur la gestion des terres des premières nationsfootnote 8. Ces accords traitent parfois des dispositions du code du bâtiment dans les réserves. Cependant, en raison du manque d’uniformité dans la province, du sous-financement chronique et du manque de soutien aux mécanismes de réglementation, beaucoup de communautés vivent dans des habitations vétustes.

Conditions de vie dans les réserves

Passons à un bref aperçu du manque de services et de financement constant chez les peuples autochtones, ce qui les expose à divers dangers, et plus précisément ici le danger d’incendie mortel.

Durant son processus de colonisation et de peuplement, le Canada a souvent « forcé les Premières Nations à déménager leurs réserves situées sur des terres ayant un bon potentiel agricole ou riches en ressources naturelles vers des réserves éloignées et marginales du point de vue économiquefootnote 9. De nombreuses communautés ont été forcées de s’installer dans des réserves qui sont ou étaient situées dans le Bouclier canadien, sur des terres possédant peu de sols arables, sur des plaines inondables, etc. Ces décisions ont maintenant pour conséquence des conditions de vie précaires, notamment des problèmes de moisissure, de câblage électrique et de structure des logements. Selon un rapport de 2018, 39,7 % des logements occupés par des membres de Premières Nations sont contaminés par des moisissures, soit un taux trois fois plus élevé que dans la population générale (13 %)footnote 10. L’utilisation fréquente de matériaux inadéquats pour construire les habitations dans les réserves et le manque criant de ressources pour maintenir l’intégrité structurelle des logements expliquent en grande partie cette statistique.

Le manque systémique de logements sûrs et sécuritaires dans les communautés des Premières Nations demeure un problème d’actualité. En 2016, Statistique Canada a révélé que 44,2 % des membres des Premières Nations dans les réserves vivaient dans un logement nécessitant des réparations majeuresfootnote 11. En comparaison, ce sont 6,0 % des personnes non autochtones qui ont indiqué être dans la même situationfootnote 12.Dans le cas de beaucoup de communautés des Premières Nations, c’est le gouvernement fédéral qui alloue le financement annuel pour la réparation des infrastructures et des bâtiments. Les chefs et les conseils doivent souvent prendre des décisions difficiles, comme choisir entre la réfection partielle d’un bon nombre d’habitations ou la restauration entière de quelques-unes seulement.

S’ajoute à cette réalité la question du surpeuplement, un autre enjeu systémique touchant les Premières Nations de façon disproportionnée. En 2016, si 18,5 % des personnes vivant hors des réserves disaient se trouver dans des conditions d’entassement, ce sont 36,8 % des membres des Premières Nations ayant le statut d’Indien inscrit ou d’Indien des traités qui, eux, vivaient dans un logement surpeupléfootnote 13.

Par ailleurs, on s’attend à une augmentation de ce dernier chiffre en raison de récents changements à la Loi sur les Indiens. Afin d’éliminer la discrimination fondée sur le genre, le gouvernement fédéral a étendu le droit au statut d’indien aux personnes émancipées et à leurs descendantsfootnote 14. En plus de la hausse soudaine du nombre de personnes ayant le droit de vivre dans les réserves, la population autochtone a grimpé de 42,5 % depuis 2006 selon le recensement de 2016 – une augmentation plus de quatre fois supérieure à celle de la population non autochtonefootnote 15. Ces facteurs auront vraisemblablement tous une incidence sur le problème de surpeuplement dans les réserves.

Sécurité incendie dans les réserves

En 2011, l’Ontario First Nations Technical Services Corporation a indiqué qu’un logement dans une réserve coûtait en moyenne 250 000 $ et que 2,2 milliards de dollars étaient nécessaires pour remédier aux problèmes des Premières Nations de l’Ontario en matière d’habitations. Cette estimation tient compte des coûts de construction de nouveaux logements pour répondre aux besoins de la population et de rénovation des logements existants nécessitant des réparations majeuresfootnote 16.

Par ailleurs, Services aux Autochtones Canada (SAC) octroie des fonds annuellement pour les services de sécurité incendie dans le cadre du financement des immobilisations de base des Premières Nations, fonds qui sont gérés par les chefs et les conseils de chaque communautéfootnote 17. L’enveloppe pour la sécurité incendie est établie selon une formule régionale tenant compte de différents facteurs, dont le nombre de bâtiments dans la réserve, la proximité de la réserve avec d’autres communautés et la taille de la populationfootnote 18.

De 2008 à 2017, SAC n’a versé que 29 millions de dollars par année pour les services de sécurité incendie dans les Premières Nationsfootnote 19, lesquelles se dénombrent à 634 au Canada. De surcroît, sur cette enveloppe de 29 millions, moins de cinq millions étaient réservés à la formationfootnote 20.

Les chefs et les conseils des Premières Nations peuvent utiliser les fonds pour gérer leurs propres services de sécurité incendie, ou encore, pour recourir à ceux des collectivités avoisinantesfootnote 21, si toutefois de leur situation géographique le permet. Le groupe consultatif a fait état de différents problèmes sur le plan de la sécurité incendie dans les communautés des Premières Nations : défectuosités des camions-incendie, impossibilité de trouver des bornes d’incendie fonctionnelles, lacunes dans la formation, etc.

Lecture du rapport

À la lecture du présent rapport, il est important de comprendre en quoi le traitement réservé aux peuples autochtones au Canada a créé des problèmes systémiques qui les vulnérabilisent aux incendies domestiques et augmentent le risque de décès par le feu. Les questions traitées dans cette section visent à guider le lecteur alors qu’il prend connaissance des données et des conclusions du rapport. Il est important de reconnaître que les complexités de l’histoire du pays, les problèmes causés par la négligence découlant du partage des compétences et les conditions de vie des Autochtones ne peuvent être entièrement et véritablement comprises ni traitées comme il se doit dans ce seul rapport.


Notes en bas de page