Les jeunes autochtones, leur famille et leur communauté

Le Comité a observé que malgré le passé complexe de ces jeunes et les risques élevés auxquels ils étaient exposés, les interventions restaient minimales, voire parfois inexistantes. Souvent, l’environnement dans lequel ils vivaient n’inspirait pas un sentiment d’appartenance ou une motivation à long terme. Dans beaucoup de cas, on ne semblait pas avoir encouragé les jeunes à envisager leur futur avec espoir ou à entretenir des aspirations positives – les jeunes ayant vécu dans le système qui ont témoigné devant le Comité ont confié avoir eu la même expérience.

La prestation des services et des soins ne tenait pas compte de l’identité de ces jeunes marginalisés. Les jeunes autochtones, noirs et LGBTQ2IS n’étaient pas systématiquement aiguillés vers des programmes adaptés à leur culture et à leur identité. Peu d’efforts ont été déployés pour les intégrer.

Huit vies autochtones

Huit des douze jeunes dont le Comité a examiné le cas étaient autochtones. Le Comité estime que ces jeunes, leur famille et leur communauté ont souffert de la colonisation, des séquelles des pensionnats et des traumatismes intergénérationnels. Les communautés autochtones ont toutefois démontré leur volonté de persévérer, de guérir et de se réapproprier leur culture et leur identité, un travail essentiel; les jeunes autochtones ayant vécu dans le système ont d’ailleurs souligné l’importance de la communication avec les aînés, de l’apprentissage par l’expérience dans la nature, des cérémonies traditionnelles et des soins holistiques (voir p. 13 pour une définition du terme).

Le Comité juge que les services fournis aux huit jeunes autochtones ne répondaient souvent pas à leurs besoins : il note un manque d’approches tenant compte des traumatismes adaptées à la culture et axées sur la prévention et le soutien familial. Les réserves ne leur offrant pas le refuge dont ils avaient besoin lorsqu’ils ne pouvaient rester à la maison, les jeunes se voyaient souvent obligés de quitter leur collectivité, ce qui les éloignait de leur culture, de leurs activités traditionnelles et d’une approche holistique de soins.

Aux défis que devaient surmonter ces jeunes venaient s’ajouter les obstacles systémiques et les problèmes auxquels doivent faire face les collectivités autochtones en Ontario, dont un accès limité aux ressources; ces collectivités ne disposent pas de logements adéquats ni de suffisamment d’eau ou de nourriture. Plusieurs des 12 jeunes ne bénéficiaient pas d’un accès à l’éducation ni de soins de santé équitables, notamment aux soins de santé mentale, aux services sociaux et aux activités récréatives. Les sociétés autochtones de bien-être de l’enfance qui desservent les collectivités des Premières Nations éloignées, en particulier, doivent composer avec des contraintes qui leur sont propres, comme de vastes zones géographiques.

Rôle des sociétés et des établissements

Le Comité a été frappé par le manque d’attention accordé à la préservation de la famille, aux interventions précoces et aux conséquences à long terme pour les jeunes. Les 12 jeunes étaient tous sous la responsabilité d’une société d’aide à l’enfance ou d’une société autochtone de bien-être de l’enfance au moment de leur décès, et beaucoup d’entre eux ont eu des interactions avec les services de protection de l’enfance à de nombreuses reprises au cours de leur vie.

Les jeunes n’avaient pas souvent leur mot à dire sur les soins qu’ils recevaient, et leurs tentatives d’exprimer leurs besoins étaient souvent négligées, ignorées et qualifiées de « recherche d’attention ». Ils n’ont jamais bénéficié suffisamment longtemps de services ou de programmes communautaires, comme des programmes éducatifs et des services de santé mentale.

« Ne cherchez pas le moyen de laisser les enfants s’exprimer. Laissez-les s’exprimer, tout simplement. »

Plusieurs de ces jeunes ont été placés loin de leur collectivité natale; il leur était donc difficile de rester en contact avec leur famille, leur communauté et leur culture. Ils vivaient de nombreux placements en peu de temps, ce qui les empêchait souvent de tisser des liens et d’entretenir des relations saines avec leurs fournisseurs de soins. En moyenne, les jeunes ont été placés dans 12 établissements au cours de leur viefootnote 1. Il n’existe actuellement aucune façon d’effectuer un suivi de la durée d’hébergement des jeunes ou du nombre de transferts à l’échelle du système. Le choix de l’établissement semblait être guidé par les places disponibles plutôt que par la compatibilité de celui-ci avec les besoins de l’adolescent.

Un des défis que pose l’attribution d’un établissement à un adolescent en fonction de ses besoins est le manque de clarté quant aux types de foyers. Même si certains termes reviennent souvent (p. ex., foyer de groupe, foyers avec rotation de personnel, établissement de traitement, etc.), il n’existe pas de définition claire des différents types de foyers pour enfants; il est donc difficile de les distinguer les uns des autres et de comprendre les services particuliers qu’ils offrent. Les exigences d’agrément et la supervision sont également floues : bien des foyers, agréés ou non, ne sont pas inspectés par le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires. En effet, les exploitants de multiples foyers peuvent recevoir un permis après l’inspection de seulement 10 % d’entre eux.

L’agrément peut aider à assurer la conformité de l’établissement aux normes, mais aucun processus de surveillance de la qualité des soins prodigués aux jeunes n’est en place. Comme il n’existe aucune base de données centrale répertoriant les foyers, les sociétés ont une connaissance variable de la disponibilité des foyers, de leur emplacement géographique ainsi que de la nature et de la qualité des services offerts.

En passant en revue leurs environnements de placement, le Comité a constaté que les besoins de base des jeunes étaient inégalement comblés. Il a établi que beaucoup recevaient des soins de piètre qualité, ce qui a eu de lourdes conséquences à long terme. Il estime que la qualité des soins a été influencée par la capacité, le manque de supervision, les qualifications et la formation du personnel et des fournisseurs de soins. La contention physique et la supervision individuellefootnote 2 étaient les moyens d’intervention privilégiés; il ne semblait pas y avoir de consensus quant à l’utilisation d’autres moyens d’intervention.

Soins de santé mentale

Les 12 jeunes souffraient tous de problèmes de santé mentale, beaucoup d’entre eux depuis l’enfance. Le Comité a constaté que la plupart avaient reçu des services fragmentés, réactifs et liés à des situations de crise, et que certains n’en avaient pas reçu du tout. Des services supplémentaires auraient grandement aidé les familles de ces jeunes, et très peu d’entre elles y avaient accès, même lorsqu’elles en faisaient la demande. Le Comité a remarqué que beaucoup des 12 jeunes ont été confrontés à situations complexes dans leur famille d’origine et au cours de leur vie, ce qui a pu contribuer à leurs problèmes de santé mentale. La disponibilité des soins de santé mentale intensifs ou à long terme a soulevé des préoccupations, en particulier dans le cas des jeunes adolescents et des jeunes en phase de transition. Le nombre de places en établissement disponibles pour les jeunes ayant besoin de soins plus intensifs variait dans la province. Les services de santé mentale vers lesquels on les aiguillait étaient marqués par une absence d’approche collaborative, une responsabilisation et une coordination des services insuffisantes et une pénurie de professionnels possédant les compétences nécessaires pour répondre à leurs besoins en matière de santé mentale.

Réseaux de services

Les rôles, les relations et les structures de communication au sein du système de protection de l’enfance ne semblaient pas clairement définis. Le Comité a noté un manque apparent de transparence et un mauvais partage de l’information entre les sociétés, les foyers et les autres services à l’enfance et à la famille. Un flou entourait en particulier le rôle et le mandat des services de bien-être de l’enfance quant à la prestation de soins de santé mentale. Les autres fournisseurs de services communautaires semblaient supposer que le système de bien-être de l’enfance avait la responsabilité et la capacité de fournir des soins de santé mentale aux jeunes et de faire en sorte que leurs besoins dans ce domaine soient comblés. Les familles et les secteurs offrant des services aux enfants et aux jeunes ne paraissaient pas bien comprendre la différence entre les services de protection de l’enfance et les services de santé mentale. La clarté des rôles n’était pas le seul élément posant problème : dans bien des cas, les services étaient aussi souvent mal intégrés à la communauté.

Surveillance du système

Dans la plupart des cas, le Comité n’a pu établir avec précision la nature et le degré d’intervention des fournisseurs de services, car les dossiers et les documents étaient fragmentés et les renseignements, lacunaires : ils révélaient des divergences entre les agences et les définitions, et le recours aux différents services restait flou. Ces problèmes semblent également avoir empêché le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires d’effectuer une surveillance adéquate. Si le Comité n’a parfois pas été en mesure de déterminer le type de service reçu ou le fournisseur, il est probable que le Ministère ne soit pas non plus arrivé à retracer le parcours des jeunes dans le système et à en avoir une vue d’ensemble.

Le Comité a également passé en revue des rapports d’incident grave pour comprendre le milieu et les conditions de vie des jeunes. Il estime que les renseignements contenus dans ces rapports étaient souvent insuffisants et, dans certains cas, inexacts. D’un point de vue systémique, le Comité s’inquiète du fait qu’on n’a jamais analysé à l’échelle provinciale les tendances dans ces rapports et dans les autres documents afin de trouver des occasions d’amélioration.

Toute analyse du système de services ne serait pas complète sans une évaluation coûts-avantages. Ces jeunes ne semblent pas avoir retiré d’avantages significatifs des services et du soutien en place pour les aider. Il a été impossible d’estimer les coûts globaux du soutien offert à ces jeunes dans le système de protection de l’enfance, parce que ces données ne sont pas répertoriées au même endroit. L’impossibilité d’analyser les coûts, les résultats et l’expérience dans leur ensemble limite la capacité à offrir des services de qualité tout en réduisant le coût des systèmes au fil du temps.

Recommandations

Le Comité a formulé cinq recommandations qui pourraient changer fondamentalement la vie des jeunes de l’Ontario et réduire le fardeau qui pèse sur le système de services sociaux de la province, à court et à long terme. Un résumé des recommandations figure ci-dessous; la section des recommandations (p. 58) fournit du contexte et des renseignements supplémentaires.

Aux gouvernements du Canada et de l’Ontario :

  1. Offrir dès maintenant des services équitables et adaptés à la culture et à la spiritualité aux jeunes, aux familles et aux communautés autochtones de l’Ontario.

Aux ministères des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, de l’Éducation, de la Santé et des Soins de longue durée, et des Affaires autochtones :

  1. Définir et offrir un ensemble de services essentiels, bâtir un système de soins intégré pour les jeunes et leur famille et adopter une approche holistique adaptée à chaque enfant de l’Ontario. Les services offerts doivent couvrir les domaines de la santé, de la santé mentale, du bien-être, de l’éducation, des loisirs, de la garde d’enfants, de la santé mentale chez les enfants, de l’intervention précoce, de la prévention et de la déficience intellectuelle. La prestation de services devrait être axée sur la nature des besoins de chaque jeune et de sa famille.
  2. Élaborer une approche holistique permettant de cibler, de mettre sur pied et d’offrir des services aux jeunes à risque élevé (avec ou sans intervention des services de bien-être de l’enfance) qui assure la continuité des soins jusqu’à l’âge de 21 ans.
  3. Renforcer la responsabilisation des systèmes de soins et offrir des occasions d’amélioration continue à l’aide de mesures, d’évaluations et de rapports publics.

Au ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautairesfootnote 3

  1. Améliorer dès maintenant la qualité et la disponibilité des foyers pour les jeunes pris en charge.

Principes

Le Comité a défini 10 principes qui sous-tendent ses recommandations :

  1. Tous les jeunes doivent participer aux soins qu’ils reçoivent, être au centre de ceux-ci et les influencer en fonction de leur connaissance d’eux-mêmes et de leur situation. Leurs voix doivent être entendues; nous devons les croire et leur accorder la priorité.
  2. Tous les jeunes doivent avoir l’occasion de découvrir et de comprendre leur histoire, leur culture et les coutumes et enseignements traditionnels.
  3. La prestation de services et de soins aux jeunes, aux familles et aux communautés doit être holistique, axée sur la prévention et adaptée aux besoins. Elle doit combler les besoins physiques, mentaux, émotionnels et spirituels des jeunes.
  4. Nous devons encourager les communautés autochtones à exprimer leurs besoins et à perfectionner les moyens d’y répondre, et leur offrir le soutien et le financement nécessaire pour y parvenir.
  5. Nous devons encourager les communautés autochtones à développer leur autonomie et à entretenir une relation d’égal à égal avec l’Ontario, et leur offrir le soutien et le financement nécessaires pour y parvenir.
  6. Soigner, c’est agir. La prestation des soins doit susciter un sentiment d’accomplissement continu, et s’articuler autour de l’avenir des jeunes.
  7. Les soins sont une responsabilité partagée qui dépasse les frontières organisationnelles, sectorielles, géographiques et juridictionnelles. Nous devons abolir les cloisons entre les systèmes ou les rendre invisibles aux yeux des clients.
  8. Les enfants doivent vivre à la maison tant que c’est possible; sinon, on doit les placer dans un foyer stable et chaleureux aussi longtemps que nécessaire et limiter les transferts et les transitions, dans la mesure du possible.
  9. Nous devons offrir des services aux jeunes et à leur famille dans leur région, ou aussi près de chez eux que possible.
  10. Tous les jeunes doivent aller à l’école ou effectuer un apprentissage équivalent.

Notes en bas de page

  • note de bas de page[1] Retour au paragraphe Ce nombre est approximatif : dans certains cas, le dossier des jeunes était incomplet, et le Comité n’a pu vérifier le nombre de transferts effectué durant les périodes non documentées.
  • note de bas de page[2] Retour au paragraphe Modèle selon lequel un membre du personnel ne surveille qu’un enfant à la fois.
  • note de bas de page[3] Retour au paragraphe Auparavant le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse (MSESC).