Les 12 jeunes et leur histoire

Les 12 jeunes ont vécu des expériences complexes avec de fréquents recoupements, et ce, dès leur petite enfance. Au moment de leur décès, ils avaient été retirés de leur famille et placés dans des établissements, et tous étaient considérés à risque élevé. La plupart avaient dû quitter leur collectivité natale, et pouvaient se trouver aussi loin qu’à 1 600 kilomètres de leur famille d’origine.

Beaucoup de ces jeunes se définissaient comme LGBTQI2S. Huit étaient autochtones : ils étaient tous membres de collectivités des Premières Nations du Nord de l’Ontario, dont la plupart sont éloignées. Un des jeunes était de race noire.

Beaucoup d’entre eux souffraient de problèmes de santé mentale et de toxicomanie, étaient atteints de troubles du développement et présentaient des symptômes de trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale et de troubles de l’attachement. Ils avaient tous des antécédents de comportements d’automutilation ou de suicidabilité.

Parmi les douze jeunes, huit sont se sont suicidés, un a été victime d’homicide, deux sont décédés de façon accidentelle et un de causes indéterminées. Le mode de décès est indéterminé si une enquête complète n’a donné aucune indication précise quant à celui-ci ou si les indications sont aussi convaincantes pour un mode de décès que pour un autre.

Danny

On dit de Dannyfootnote * qu’il était tranquille et poli, et qu’il avait un excellent sens de l’humour. Très intelligent, il souffrait toutefois de graves troubles d’apprentissage affectant les processus cognitifs et la mémoire.

À l’âge de six ans, Danny a déménagé au Canada avec sa mère et ses frères.

La société d’aide à l’enfance est intervenue pour la première fois lorsque Danny avait huit ans : à l’école, il affichait des comportements inappropriés, et on soupçonnait qu’il était victime de violence physique. Des questionnements sur les problèmes de santé mentale dans sa famille, la pauvreté, le statut d’immigration incertain et le manque de soutien familial et communautaire se sont accumulés au fil du temps. Danny a été pris en charge d’urgence par la société à l’âge de neuf ans; deux ans plus tard, il faisait l’objet d’une ordonnance de tutelle par la Couronne (aujourd’hui appelée « ordonnance ayant pour effet de confier l’enfant aux soins de la société de façon prolongée »).

Peu après avoir été pris en charge, Danny a commencé à s’automutiler. Il a subi trois évaluations dans trois établissements de santé mentale pour enfants distincts, dans lesquels il a été hospitalisé. Au cours des années suivantes, il a reçu des diagnostics de trouble de l’adaptation avec anxiété, de possible trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité et de trouble d’apprentissage. On a observé qu’il était soumis à d’importants facteurs de stress psychosociaux, qu’il éprouvait des difficultés scolaires et qu’il était victime d’intimidation. Il avait besoin de matériel d’appoint à des fins éducatives, comme des lunettes et un ordinateur portatif, qu’il n’a obtenu qu’après une longue attente. Pour atténuer ses problèmes de sommeil, ses raisonnements insensés, ses déformations perceptives, sa peur et son anxiété, on lui a prescrit des médicaments. Plus tard, Danny a reçu un diagnostic de trouble stress post-traumatique complexe avec anxiété grave et symptômes psychotiques intermittents et de dysthymie; il souffrait également de tics moteurs et présentait des symptômes précoces de trouble psychotique affectif. Il a été observé que les troubles d’apprentissage dont souffrait Danny constitueraient un obstacle à la plupart des thérapies.

Pendant ses six années et demie dans le système, Danny a vécu dans dix établissements. Il a d’abord été placé avec ses frères au sein de sa collectivité, dans un foyer géré par une agence. À sa demande, Danny a intégré un foyer de groupe environ un an plus tard, sans ses frères. Il y est resté trois ans, jusqu’à sa mort.

Danny a participé à un programme éducatif régi par l’article 23footnote 1, durant lequel il aurait obtenu de bons résultats scolaires. Après avoir fait des progrès significatifs, il a réintégré une école secondaire communautaire, où il ne semble pas avoir été aiguillé vers des membres du personnel ou des activités scolaires.

L’établissement ne semble pas avoir appliqué les recommandations en matière d’intervention thérapeutique formulées dans ses évaluations ni lui avoir offert un milieu de vie structuré et favorable. La société n’a pas jugé bon d’aiguiller Danny vers des services communautaires de santé mentale, sans clairement expliquer pourquoi.

Au fil des ans, Danny est devenu plus silencieux; toujours introverti, il manifestait moins d’émotions négatives et ses accès de colère étaient moins nombreux. Pendant les trois dernières années de sa vie, il a changé peu à peu : d’abord effrayé à l’idée de quitter son foyer de groupe et peu enclin à participer aux activités communautaires, il a commencé à délaisser le foyer pour passer plus de temps dans la communauté, avec ses amis. Il interagissait le moins possible avec le personnel, et rien n’indique que ce dernier connaissait l’état d’esprit du jeune homme durant cette période. Une année avant son décès, Danny a décidé d’arrêter l’art-thérapie et les médicaments. Comme il n’avait eu aucun comportement nécessitant une intervention immédiate (comme une agression contre les membres du personnel, par exemple), peu d’incidents ont été signalés. Il ne semble pas avoir discuté avec le personnel durant la dernière année de sa vie. Dans les mois précédant sa mort, Danny a commencé à moins aller en classe.

Le matin de sa mort, Danny a assisté à son premier cours, puis a quitté l’école. On a retrouvé son corps le jour suivant, dans un parc. Il avait 16 ans. Le mode de décès est le suicide par pendaison.

Anaya

Enfant extravertie et attachante, Anayafootnote * cherchait des occasions de participer à sa culture autochtone, en particulier par la danse. Elle adorait les pow-wow, et aimait la nage et le hockey sur glace.

Elle était la cadette de quatre filles nées de la même mère, et ses sœurs souffraient toutes de problèmes de toxicomanie et de santé mentale; peu avant la mort d’Anaya, deux d’entre elles se sont s  uicidées à environ sept mois d’intervalle. On ne sait rien sur son père.

Pendant les premiers mois de sa vie, Anaya et ses sœurs ont vécu avec leur grand-mère, jusqu’à ce que cette dernière ne puisse plus prendre soin d’elles. La société, intervenue auprès de la famille avant la naissance de la jeune fille, est intervenue à nouveau. De l’âge de sept mois à neuf ans, Anaya a vécu avec sa tante et sa famille en vertu d’une entente de soins conformes aux traditions, n’ayant comme ses sœurs que des contacts sporadiques avec sa mère, qui aurait dit ne pas vouloir retrouver la garde de ses enfants.

Huit ans après son placement, Anaya a confié avoir été victime de violence physique. L’investigation qui a suivi n’a pu confirmer l’allégation. Malgré tout, la jeune fille est partie vivre avec une de ses sœurs chez son grand-père dans une collectivité voisine, en vertu d’une entente de soins conforme aux traditions. Anaya s’est ensuite rétractée, demandant à plusieurs reprises à la société de retourner vivre chez sa tante.

Anaya est toutefois restée chez son grand-père, avec qui elle a tissé des liens serrés. La société continuait à surveiller la situation; les dossiers signalent des préoccupations quant au niveau de supervision. L’aide offerte pour remédier à ce problème a été refusée. Anaya était constamment laissée aux soins de membres de la famille qui auraient fait preuve de violence psychologique. Les normes obligatoires en matière de visite et de documentation n’ont pas été respectées dans le cadre des deux ententes.

Jeune enfant, Anaya a subi une évaluation révélant qu’elle souffrait d’un trouble de la fonction exécutive et d’importants retards cognitifs. Des professionnels de la santé soupçonnaient qu’elle était atteinte d’un trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale et d’autres problèmes de santé mentale, bien qu’elle n’ait jamais reçu de diagnostic officiel. On ne lui a prescrit aucun médicament pour ses problèmes de comportement et de santé mentale.

La fréquentation scolaire d’Anaya semble avoir été constante tout au long de sa vie. Dans les sept mois précédant sa mort, la jeune fille s’est absentée de l’école 26,5 jours.

Ses comportements sexualisés précoces ont suscité des préoccupations dès ses six ans. Deux ans plus tard, elle a dit qu’elle consommait de l’alcool. Elle a été victime de violence sexuelle à au moins deux reprises, et d’autres incidents ont été soupçonnés. Plus tard, elle a commencé à inhaler des solvants et à connaître des épisodes récurrents et fréquents d’idées suicidaires et d’automutilation. En réponse aux préoccupations des membres de sa famille et du personnel scolaire, Anaya et sa famille ont reçu du counseling de façon intermittente.

À l’âge de 11 ans, elle a passé trois semaines dans un établissement d’évaluation. Peu après, elle a suivi pendant 10 semaines un programme de traitement en établissement conçu pour les jeunes autochtones, durant lequel elle a tenté de se suicider plus d’une fois. Il a été mentionné que les soins offerts par le centre de traitement étaient conçus pour des jeunes plus âgés, dont les capacités cognitives étaient plus élevées que celles d’Anaya. On a tenté d’adapter le programme à ses besoins, mais elle ne semblait pas comprendre le concept de traitement. Elle a subitement quitté le programme après le suicide de sa deuxième sœur. Un plan de sécurité a été mis en place, et elle a été confiée à la garde de sa dernière sœur pour pouvoir retourner chez elle vivre son deuil en famille. Trois semaines plus tard, Anaya a envoyé une lettre faisant part de ses intentions de suicide à un membre de sa famille; elle avait déjà envoyé des lettres semblables à des amis. Quelques jours plus tard, Anaya a quitté l’école pour aller dîner chez son grand-père; elle n’y est pas retournée en après-midi. Son corps a été découvert un peu plus tard, dans la maison. La cause du décès est la pendaison, et le mode de décès est le suicide.

Jazmine

Jeune enfant, Jazminefootnote * était aimable et polie. Elle réussissait très bien à l’école et était appréciée de ses pairs. Ses dossiers contiennent peu d’information sur ses forces et ses intérêts durant son enfance.

Avant d’en être séparée à l’âge de neuf ans, Jazmine vivait avec ses parents biologiques et ses deux frères cadets dans une ville du Nord de l’Ontario. La société est intervenue en réponse à un signalement concernant sa sécurité : on s’inquiétait de son anxiété et on craignait qu’elle ne s’automutile. Des cas de violence conjugale et de toxicomanie avaient été signalés dans sa famille. La société a enquêté sur la capacité des fournisseurs de soins à s’occuper des enfants. À cette époque, Jazmine aurait confié vouloir se suicider.

Peu après, ses frères et elle sont partis vivre chez leur grand-mère en vertu d’une entente de soins conformes aux traditions, dans une collectivité des Premières Nations éloignée située à 500 kilomètres de la ville où elle avait grandi. Elle y est restée de l’âge de neuf ans jusqu’à sa mort. Elle a été prise en charge par deux sociétés d’aide à l’enfance (desservant les régions où vivaient les membres de sa famille), et il a été décidé que la réunification familiale était la meilleure option. Il y a très peu de documentation attestant des efforts de planification coordonnée et de collaboration entre les deux sociétés.

Jazmine a fréquenté deux écoles sans que cela influence son rendement : elle semble avoir obtenu de bons résultats aux deux endroits.

Elle a été évaluée une première fois par un professionnel de la santé mentale à l’âge de 10 ans, après avoir adopté des comportements d’automutilation et exprimé des idées suicidaires. On l’a aiguillée vers des consultations et une thérapie par les arts d’expression, mais elle recevait un soutien sporadique en raison des défis que pose la prestation de services dans les collectivités éloignées.

La jeune fille a continué à s’automutiler. À 12 ans, elle a subi une deuxième évaluation, qui a déterminé qu’elle souffrait de troubles de l’humeur et de problèmes liés à la violence et à la négligence. Cette évaluation a confirmé que les deux sociétés, l’école et la famille devaient absolument collaborer pour superviser Jazmine et élaborer un plan d’action. On a jugé qu’une intervention immédiate et intensive était nécessaire; toutefois, d’après les dossiers, cette intervention n’a jamais eu lieu. Les dossiers étaient incomplets et prêtaient à confusion; par conséquent, il a été difficile de retracer le soutien offert.

Pendant les sept mois qui ont suivi, Jazmine a reçu quelques rares consultations, de façon irrégulière. On ne lui a prescrit aucun médicament. Alors qu’elle continuait à présenter des symptômes de dépression grave, elle n’a bénéficié d’aucun autre soutien, même si les dossiers indiquent que sa grand-mère ne savait pas comment répondre à ses besoins.

Le soir de sa mort, Jazmine a passé du temps avec sa grand-mère, puis est allée souper chez d’autres membres de sa famille. Plus tard dans la soirée, un de ses frères a trouvé son corps. Elle avait 12 ans. La cause du décès est la pendaison, et il a été déterminé que le mode de décès était le suicide.

Tyra

Tyra était une excellente élève et une athlète dévouée, et on disait systématiquement qu’elle avait beaucoup de potentiel. Elle souhaitait aller à l’université, loin de sa collectivité natale, et s’intéressait au domaine des services correctionnels. On dit qu’elle avait un grand cœur.

Ses parents s’étaient séparés alors qu’elle était enfant; elle vivait donc avec sa mère, deux de ses frères et sœurs et, pendant un certain temps, le nouveau partenaire de sa mère. Les services de protection de l’enfance s’inquiétaient de la supervision parentale, et il arrivait que les enfants restent à la maison en compagnie d’étrangers lors de fêtes où on consommait des substances.

La société est intervenue pendant la petite enfance de Tyra et a confirmé que ses besoins de base n’étaient pas comblés; sa famille a alors bénéficié d’un soutien à domicile. Adolescente, elle a demandé à être prise en charge par la société. Elle disait se sentir déprimée et avait commencé à s’automutiler. Elle a confié avoir été victime de violence sexuelle durant son enfance et son adolescence. Ses parents ont conclu une entente relative à des soins temporaires, et elle a été confiée aux soins de la société, où elle est restée jusqu’à son décès.

Grâce au soutien de parents d’accueil chevronnés, Tyra a bénéficié de nombreuses consultations tenant compte des traumatismes subis et d’un soutien intensif de sa communauté scolaire. Malgré tout, elle restait troublée. Environ un an après avoir été prise en charge, Tyra a séjourné à l’unité de psychiatrie pour enfants de l’hôpital de sa région après avoir eu des idées suicidaires. Elle a reçu des diagnostics de dépression et de trouble stress post-traumatique et a commencé à prendre des médicaments.

Dans les mois qui ont suivi, elle a été hospitalisée à deux reprises à l’unité de psychiatrie pour enfants en raison d’une série de tentatives de suicide. On a jugé que le meilleur moyen de répondre à ses besoins était de l’inscrire à un programme de traitement en établissement géré par un centre de santé mentale pour enfants. Son comportement s’est stabilisé, et elle a pu retourner à l’école, où elle a continué de s’automutiler, et elle a fait de multiples tentatives de suicide.

Tout indique que Tyra était une excellente élève, de l’école élémentaire au secondaire. Son parcours scolaire n’a pas été interrompu, sauf lors de ses hospitalisations. Elle a reçu du soutien d’un groupe de professionnels travaillant pour la société, l’école et le secteur de la santé mentale, qui la suivaient de très près et communiquaient régulièrement entre eux pour discuter de son bien-être.

Le jour de sa mort, Tyra a quitté l’école en après-midi. On a retrouvé son corps plus tard dans une zone boisée, pendu à un arbre au-dessus d’un sentier. Elle avait 18 ans. La cause du décès est la pendaison, et le mode de décès est le suicide.

Justin

Jeune homme sensible et attachant, Justin adorait la nature, en particulier la pêche et la marche en forêt. Il aimait regarder des films, jouer à des jeux de société et travailler sur des projets d’artisanat, qu’il donnait souvent à ses proches.

À l’âge de deux ans, Justin a été évalué par une clinique de pédiatrie du développement en raison de questionnements sur son inattention et son comportement. Il a ensuite bénéficié de services d’intervention. Au cours de sa vie, il a reçu des diagnostics de déficience intellectuelle, de problèmes de santé mentale, de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), de trouble stress post-traumatique, de trouble neurologique du développement lié à l’alcool et d’importants troubles d’apprentissage. Dans son enfance, on lui a prescrit des médicaments pour atténuer ses symptômes de TDAH; plus tard, il a dû en prendre également pour gérer son anxiété et son agressivité croissante.

La société est intervenue auprès de la famille avant sa naissance et tout au long de sa vie. Il a vécu avec sa mère, son père et deux frères et sœurs plus âgés jusqu’à la séparation de ses parents. Il a ensuite habité avec sa mère jusqu’à ses huit ans, puis avec ses grands-parents dans le cadre d’une entente de garde par un proche avec prise en charge, car on jugeait que ses besoins n’étaient pas adéquatement comblés. Pendant cette période, il serait devenu de plus en plus agressif envers ses camarades et le personnel scolaire.

Près de deux ans plus tard, l’entente a pris fin : les grands-parents de Justin peinaient à gérer son comportement de plus en plus difficile. La société l’a donc pris en charge jusqu’à la fin de sa vie. Il a été placé dans quatre foyers différents, changeant de lieu d’hébergement lorsque ses comportements devenaient trop difficiles à réguler.

À l’âge de 10 ans, Justin est devenu pupille de la Couronne (aujourd’hui appelé « enfant confié aux soins d’une société de façon prolongée »). Peu avant son 12e anniversaire, il a été placé dans un foyer de groupe non agréé à 550 kilomètres de chez lui; les dossiers indiquent qu’il n’avait pas été possible de le placer plus près de sa maison. À partir de ce moment, il a vécu dans quatre foyers de groupe différents avant son cinquième et dernier placement, où il est resté jusqu’à sa mort, à l’âge de 17 ans.

En raison d’un problème d’inscription lors d’un transfert, l’éducation de Justin a été interrompue pendant quelques mois. Il aurait alors été scolarisé à domicile. À cette période, il a suivi un programme de traitement dans son foyer de groupe.

Peu d’efforts semblent avoir été déployés pour offrir à Justin des services de santé mentale ou des services aux personnes ayant une déficience intellectuelle. Même s’il était sur le point d’effectuer la transition vers les services aux personnes ayant une déficience intellectuelle, les organismes de services aux personnes ayant une déficience intellectuelle de sa collectivité ne sont pas entrées en contact avec lui.

Au moment de son décès, Justin vivait dans une unité résidentielle séparée gérée par un foyer non agréé, dans un triplex où vivaient également deux autres clients. Il pouvait recevoir du soutien à domicile de deux membres du personnel à la fois. 

Cinq jours avant son décès, Justin a été mis en contention après avoir manifesté des problèmes de comportement d’une gravité croissante à la suite d’un désaccord avec le personnel à propos de l’emploi de sa bicyclette. Justin a perdu conscience pendant la contention et a été transporté à l’hôpital, où il est demeuré inconscient et a été maintenu en vie artificiellement. Le décès a été attribué à une encéphalopathie anoxique des suites d’un arrêt cardiaque lié à une mutation de la desmogléine-2 qui a été partiellement causé par une bagarre et l’usage de moyens de contention. Le mode de décès est indéterminé.

Azraya

Azraya avait un bon sens de l’humour et s’intéressait à la mode. Elle faisait partie d’une famille de trois enfants : elle avait un frère aîné et un jumeau. Pendant la plus grande partie de sa vie, elle a vécu avec ses frères et ses parents dans une collectivité autochtone du Nord de l’Ontario, entourée de ses grands-parents et d’autres membres de la famille.

La société est intervenue auprès de la famille avant la naissance d’Azraya, puis à de nombreuses reprises par la suite en raison de questionnements sur la supervision, la violence familiale et la consommation d’alcool. Elle a régulièrement offert du soutien à la famille et a pris en charge les enfants à plusieurs reprises.

Les parents peinaient à s’occuper de leurs trois enfants, en particulier de leur fils aîné, qui a souffert d’un trouble neurologique progressif toute sa vie et est mort quand Azraya avait 12 ans.

Après le décès de son frère, Azraya est partie vivre chez un membre de sa famille, dans une ville voisine, où elle devait habiter pendant qu’elle allait à l’école. Elle a été hospitalisée dans la région quatre mois plus tard, après avoir eu des idées suicidaires. La société a obtenu un ordre de protection, et Azraya a brièvement vécu dans un foyer géré par la société avant de retourner chez ses parents.

Quelques semaines plus tard, la jeune fille a été réhospitalisée à l’unité psychiatrique pour adolescents après avoir tenté de se suicider. Une évaluation a conclu que comme peu de renseignements sur sa petite enfance et ses capacités cognitives et intellectuelles étaient disponibles, il était difficile d’estimer l’influence de ces facteurs sur sa capacité à bénéficier d’une thérapie. Après avoir reçu son congé, Azraya a été placée à court terme dans trois établissements en attendant d’être admise dans une famille d’accueil avec traitement, dans le Sud de l’Ontario. Elle y a vécu cinq mois sous supervision individuelle.

Elle s’y serait d’abord bien intégrée, mais son comportement serait devenu plus difficile après une visite de sa famille. Pendant cette période, elle a affirmé vouloir se suicider et a séjourné à l’unité psychiatrique de deux hôpitaux de la région. On a signalé à la société que sa famille d’accueil n’arrivait pas à réguler son comportement ni à lui fournir le soutien et les services qu’on croyait en place.

Alors que la société cherchait un autre placement pour Azraya, les parents de la jeune fille ont exprimé le désir qu’elle revienne vivre à la maison. Il a été établi qu’elle pourrait retourner chez elle à condition de respecter une ordonnance de surveillance avec certaines conditions, notamment celle de recevoir des services de santé mentale.

Pendant les six mois suivants, Azraya a surtout habité avec sa famille. Les dossiers indiquent que son milieu de vie était alors instable. Elle a été prise en charge à quelques reprises après avoir demandé à la société d’intervenir à la suite d’incidents liés à la consommation de substances et à la violence. Azraya ne semblait pas bénéficier d’un soutien en santé mentale à ce moment.

La société a planifié une rencontre en vue de son admission à un programme de traitement en établissement conçu pour les jeunes autochtones, mais Azraya est décédée avant qu’elle ait lieu. Deux semaines avant sa mort, la jeune fille a demandé à être de nouveau prise en charge : elle vivait des problèmes de plus en plus complexes à la maison. Elle a été temporairement placée dans un foyer géré par la société, où elle vivait seule dans un appartement avec des employés occasionnels et des suppléants. Comme elle présentait un risque élevé d’automutilation, elle était placée en permanence sous supervision individuelle. Cette mesure a été interrompue sans raison apparente quelques jours avant sa mort.

Pendant la dernière année de sa vie, Azraya n’est pas allée à l’école : elle a séjourné à l’hôpital, dans un foyer d’accueil avec traitement, dans des foyers gérés par la société pendant de courtes périodes, et chez ses parents dans le cadre d’une ordonnance de surveillance. Pendant ses quatre mois dans le foyer d’accueil avec traitement, elle a été inscrite à deux écoles, mais n’y est allée qu’une journée.

Le soir de son décès, Azraya a enfreint son couvre-feu pour assister à une fête. La police l’y a retrouvée et l’a amenée au service des urgences d’un hôpital de la région, restant sur place jusqu’à l’arrivée du personnel du foyer. La jeune fille s’est enfuie peu après; des recherches ont immédiatement été entreprises. On a retrouvé son corps deux jours plus tard, dans une forêt bordant l’hôpital. Elle avait 14 ans. La cause du décès est la pendaison, et le mode de décès est le suicide.

Kanina

Dès son plus jeune âge, Kanina était vue comme une enfant active socialement et physiquement. Elle aimait l’école, surtout les mathématiques et les sciences. Elle aidait beaucoup sa grande sœur et était surnommée « Kookooomes » par un de ses parents de famille d’accueil.

Kanina était une jeune d’une communauté éloignée des Premières Nations. Elle vivait avec ses parents biologiques et ses cinq frères et sœurs, jusqu’à ce qu’elle et sa sœur soient prises en charge dans le contexte d’une entente de soins conformes aux traditions; Kanina était alors âgée de deux ans. Elle a été prise en charge dix fois au cours de sa vie, généralement pour des périodes de six mois. Chaque fois, l’objectif était la réunification familiale. Des épisodes de violence conjugale et d’usage de substances seraient survenus à son domicile familial tout au long de son enfance. Il y avait des antécédents importants de suicides dans sa famille. Ses parents ont suivi à deux reprises des programmes de traitement familiaux auxquels avaient participé certains, ou l’ensemble de leurs enfants.

Kanina a été dirigée vers le counseling à l’âge de sept ans, après le suicide de sa tante. À cette époque et dans les mois qui ont précédé son décès à l’âge de quinze ans, le counseling portait surtout sur le deuil vécu lors de la perte de relations. Elle n’avait pas reçu de diagnostic psychiatrique, et elle ne prenait pas de médicaments.

Au cours de sa dernière année de vie, Kanina a vécu plusieurs placements, souvent en raison de pensées suicidaires et d’incidents d’automutilation et de tentatives de suicide. À la suite d’un transfert de placement, Kanina avait cessé de fréquenter l’école pour un certain temps. La documentation ne permet pas d’expliquer la raison de cette période d’absence et n’en précise pas la durée.

Kanina a passé les quatre mois avant son décès dans un centre de guérison pour les jeunes autochtones. Elle y avait fait l’objet de deux évacuations sanitaires en raison d’automutilation et de tentatives de suicide. Sa dernière visite à l’hôpital remontait à cinq jours avant son décès.

Alors qu’elle vivait dans ce centre de guérison, Kanina a entamé une relation avec une autre résidente. Le cas de cette résidente, Jolynn, a aussi fait l’objet d’une évaluation par le Comité. Durant les semaines et les jours qui ont précédé la mort de Kanina, les deux jeunes filles ont été vues ensemble à plusieurs reprises. Bien qu’il soit question de cette relation dans différents documents, rien n’indique que des discussions visant à soutenir Kanina face à son identité sexuelle aient eu lieu. De plus, il semble que des membres du personnel lui auraient mentionné qu’elle pourrait être arrêtée si elle avait des relations sexuelles avec Jolynn, étant donné l’âge de cette dernière. Même si cela est vrai d’un point de vue strictement juridique, cette façon d’agir ne démontre pas de réceptivité par rapport aux besoins auxquels Kanina tentait de répondre ni de compréhension de ces besoins.

Kanina est restée dans son dernier foyer pour moins de trois jours avant son décès. Elle avait été placée dans un foyer avec rotation de personnel administré par une société autochtone de bien-être de l’enfance. À l’âge de 15 ans, Kanina s’est suicidée dans sa famille d’accueil. Elle a enregistré son suicide sur son iPad. Des lettres de suicide ont été laissées pour plusieurs membres de sa famille, ainsi que pour Jolynn. À l’autopsie, des preuves claires d’automutilation sur une longue période ont été observées sur plusieurs parties du corps de Kanina.

Jolynn

Jolynn est une jeune autochtone née dans le Nord de l’Ontario. On dit qu’elle était calme. Elle aimait dessiner et faire des croquis.

Elle vivait avec sa mère biologique avant d’être prise en charge à l’âge de deux ans. Sa mère avait des antécédents d’itinérance et d’usage de substances qui seraient survenus durant la petite enfance de Jolynn. Elle n’a pas connu son père biologique avant la dernière année de sa vie.

Peu de temps après sa prise en charge, Jolynn a été placée dans un foyer de soins conformes aux traditions administré par une société autochtone de bien-être de l’enfance. Après sept ans à cet endroit, Jolynn a été retirée de la garde de la société et a été prise en charge par le même fournisseur de soins, par l’entremise d’une entente privée. Elle est demeurée avec ce fournisseur de soins et sa famille jusqu’à l’âge de 11 ans.

Après la fin de ce placement, Jolynn a vécu 20 placements durant une période de 18 mois. Les changements de placement sont souvent survenus de façon imprévue, après un incident comportemental. Il est mentionné dans les antécédents sociaux du dossier de Jolynn que son éducation a été « interrompue » en raison des nombreux changements de placement. Pendant certains placements, elle n’était pas inscrite à l’école. La dernière année que Jolynn a terminée est la sixième année; elle aurait été en septième année si elle avait été inscrite à l’école au moment de son décès.

Au cours des six mois qui ont précédé son décès, Jolynn a été placée dans un centre de guérison pour les jeunes à deux reprises. Alors qu’elle était à ce centre, Jolynn a entamé une relation avec une autre résidente. Le cas de cette résidente, Kanina, est aussi analysé par le Comité. Kanina a quitté le centre, et Jolynn a plus tard fait l’objet d’une évacuation sanitaire après une tentative de suicide. Dans les jours qui ont précédé le décès de Kanina, les deux jeunes se sont rencontrées à plusieurs reprises hors du centre. Après quelques jours, Jolynn a appris le suicide de Kanina.

Par la suite, Jolynn a été hospitalisée à l’unité de santé mentale pour enfants et adolescents d’un hôpital pendant 17 jours. À l’exception d’un intervalle de temps durant cette hospitalisation, Jolynn ne s’est jamais fait prescrire de médicaments.

Durant son hospitalisation, Jolynn a parlé au personnel de sa relation avec Kanina et de ses sentiments à propos de sa perte. Aucun document ne laisse croire que l’on ait discuté de son identité sexuelle avec Jolynn durant son séjour à l’hôpital, ou que le personnel ou les organismes, notamment la société autochtone de bien-être de l’enfance, l’aient fait.

À son congé de l’hôpital, aucun lit pour enfants en santé mentale n’était disponible. Ainsi, Jolynn a quitté l’hôpital pour une visite prolongée au domicile de son père en attendant qu’un lit se libère. Un plan de sécurité a été établi entre l’hôpital, la société autochtone de bien-être de l’enfance et la famille et Jolynn. Toutefois, rien n’indique qu’une intervention thérapeutique active ait été offerte durant les sept semaines où Jolynn était chez son père.

À l’âge de 12 ans, Jolynn s’est suicidée dans la maison de son père. Il semblerait que le suicide de Kanina ait eu une incidence sur celui de Jolynn. L’autopsie a révélé des preuves claires d’automutilation sur différentes parties de son corps.

Kassandra

On a décrit Kassandra comme une adolescente intelligente, énergique et agréable; elle aimait danser, chanter et faire de la gymnastique. 

Kassandra a vécu avec ses parents biologiques et un frère plus âgé jusqu’à sa prise en charge à l’âge de 12 ans. Des épisodes de violence conjugale et d’usage de substances seraient survenus durant sa petite enfance.

Durant sa vie, Kassandra a reçu les diagnostics de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), de trouble disruptif avec dysrégulation émotionnelle et de trouble d’anxiété généralisée. Elle a pris plusieurs médicaments à différents moments de sa vie, de l’âge de 11 ans jusqu’à son décès à 14 ans, dont des médicaments stimulants pour le TDAH, des antipsychotiques et des antidépresseurs.

Il semblerait que le comportement de Kassandra a été problématique dès son très jeune âge. Des rapports ont fait état d’une augmentation des épisodes de violence, d’agression et de problèmes comportementaux entre l’âge de deux et sept ans. Quand Kassandra avait sept ans, la société autochtone de bien-être de l’enfance a commencé à la suivre sur une base régulière, et une intervention au sein de la famille a été mise en place. L’accès à un programme d’éducation parentale a aussi été offert. La mère de Kassandra aurait demandé de l’aide à plusieurs reprises, mais n’aurait pu obtenir le soutien dont elle jugeait avoir besoin pour gérer le comportement de sa fille.

La même année, la mère de Kassandra a demandé que sa fille soit placée dans un centre de traitement en établissement. Les fournisseurs de services communautaires n’étant pas d’accord, il n’y a pas eu de placement. Elle a commencé à recevoir des services de santé mentale pour enfants, et une période de stabilité fragile a été observée à la maison. D’année en année, de nombreux incidents requérant une intervention d’urgence de la police et des services en santé mentale de l’hôpital sont survenus. Il a été mentionné que le comportement de Kassandra nuisait à sa capacité de fréquenter l’école et d’y réussir. À l’âge de 13 ans, elle a été dirigée vers la première de quatre classes visées par l’article 23 administrées par des fournisseurs de services en établissement ou par des organismes communautaires, en vertu d’une disposition de la Loi sur l’éducation. Peu avant son douzième anniversaire, Kassandra a été admise en traitement en établissement. Durant les deux années et demie qui séparent son entrée en traitement en établissement de son décès, Kassandra a vécu dans sept établissements différents; le placement le plus long a duré six mois. Ses fournisseurs de services visaient une réunification familiale : des efforts ont été consacrés à la poursuite de la thérapie familiale, et Kassandra a continué à voir sa famille régulièrement. En 2014, Kassandra a été confiée aux soins de la société de façon prolongée tout en conservant un accès continu à sa mère.

Certains services en santé mentale ont été fournis à Kassandra alors qu’elle recevait des soins en établissement, mais elle a continué à avoir de la difficulté à en tirer profit. Une difficulté à entretenir des relations positives avec ses camarades, avec le personnel et avec sa famille a été observée. Kassandra se mutilait et a été placée en situation vulnérable avec des personnes qu’elle avait rencontrées sur les médias sociaux.

Pendant les quatre mois qui ont précédé son décès, Kassandra a été placée dans un foyer avec rotation de personnel avec deux autres résidents. Les documents disponibles ne fournissent pas de renseignements sur les besoins des autres jeunes ni sur les circonstances entourant leur placement. Cependant, il semblerait que les besoins des résidents étaient très variés et qu’un questionnement a émergé quant à la capacité du personnel à répondre à un tel éventail de besoins.

À l’âge de 14 ans, Kassandra est décédée des suites de l’inhalation de fumée lors d’un incendie dans sa famille d’accueil. Le coroner a établi que le mode de décès était un homicide. L’incident a été causé par une intensification du comportement d’un autre jeune du foyer qui a poussé Kassandra et deux membres du personnel à s’enfermer dans une chambre au deuxième étage. Un incendie s’est déclaré au premier étage et ils ont été incapables de sortir. Les tentatives de réanimation sont restées vaines.  

Amy

On a décrit Amy comme une personne amicale, mais sur ses gardes. Elle était fière de son apparence et démontrait de l’intérêt pour sa communauté et sa culture autochtones. Lorsqu’elle en avait la chance, elle aimait apprendre à fabriquer des objets en écorce de bouleau et à faire du perlage en suivant des méthodes et des modèles traditionnels. Elle aimait aussi faire des croquis et tenir un journal, et elle avait un intérêt pour la gymnastique.

La société autochtone de bien-être de l’enfance est intervenue auprès de la famille d’Amy avant sa naissance et durant la majeure partie de sa vie, en raison de la supervision inadéquate et de l’usage de substances de ses parents, d’épisodes de violence conjugale et de problèmes de santé mentale (un des parents). Amy et ses frères et sœurs ont été pris en charge par la société à de multiples reprises, mais retournaient dans leur famille peu de temps après avec des plans de sécurité. Le Comité a relevé plus de huit aiguillages au cours de la vie d’Amy en raison d’inquiétudes quant à la protection des enfants dans sa famille. La société a continué d’intervenir au fil du temps pour répondre à de très nombreux enjeux liés à la protection, et il est devenu plus complexe d’organiser les placements.

Amy a commencé à adopter des comportements à risque élevé, comme s’automutiler (coupures) et faire usage de solvants et d’alcool, très tôt dans sa vie. Elle a été témoin de violence familiale, de tentatives de suicide et de décès dans sa communauté. Elle a confié avoir été victime d’agressions sexuelles à répétition survenues durant son enfance. 

Amy est restée proche de ses sœurs et était parfois avec elles dans ses placements en famille d’accueil. Amy et l’une de ses sœurs ont fait partie d’un pacte suicidaire avec d’autres jeunes, et plusieurs incidents d’automutilation en lien avec Amy ou sa sœur ont été rapportés. Amy a été évacuée de sa communauté à plusieurs reprises pour recevoir des soins médicaux après des incidents importants d’automutilation.

Amy n’avait jamais subi d’évaluation formelle de ses besoins avant la dernière période de sa vie. Avant cette évaluation, elle avait principalement reçu du soutien en santé mentale en situation d’urgence à la suite d’incidents d’automutilation et de tentatives de suicide. Même si un trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale était soupçonné, aucune investigation supplémentaire n’a été réalisée. Elle a reçu un diagnostic de trouble de l’adaptation et de dépression peu de temps avant son décès. Amy a reçu du counseling de façon sporadique tout au long de sa vie, et n’a jamais eu accès à un thérapeute régulier ou à une approche coordonnée.

Amy a commencé très tôt à fréquenter l’école de façon irrégulière. Lorsqu’elle était prise en charge, son assiduité était meilleure durant certaines périodes et elle réussissait bien à l’école. Toutefois, elle n’a pas été inscrite à l’école lors de son dernier placement en raison de retards administratifs dans la récupération des documents relatifs à son placement précédent.

À l’âge de 10 ans, Amy a été prise en charge par la société pour une période de 15 mois. Elle a d’abord été placée dans quatre familles d’accueil pour de courtes périodes, puis elle a été transférée dans un programme de services en établissement du Sud de l’Ontario, où elle est restée pendant 12 mois avant de retourner vivre avec ses parents. À son retour à la maison, où son comportement s’est aggravé : vandalisme, usage d’alcool et de solvants, tentatives de suicide et dommages matériels. Son comportement a entraîné son retrait de la communauté et une nouvelle prise en charge par la société.

Amy a été réadmise au même programme de services en établissement. La société locale était alors en processus d’enquête de protection en milieu institutionnel de l’établissement des enfants, ce qui a mené à des vérifications de plusieurs signalements liés à la protection de l’enfance. Amy est restée à cet endroit à la suite de l’enquête. Trois mois plus tard, elle a été impliquée dans une altercation avec le personnel et a été immédiatement transférée dans un autre programme à proximité.

Alors qu’elle était dans ce nouveau programme de services en établissement, Amy a continué à s’automutiler et à avoir des comportements agressifs, des situations qui ont occasionné des hospitalisations et l’utilisation de contentions physiques. Amy voyait un conseiller en intervention d’urgence dans un organisme communautaire; toutefois, ce suivi ne semble pas avoir été régulier. On savait qu’Amy faisait partie d’un pacte suicidaire et que deux autres jeunes de ce pacte s’étaient suicidés. Amy avait aussi confié avoir été victime d’abus sexuels dans le passé, de même que d’une agression sexuelle récente qui serait survenue l’une des fois où elle avait quitté l’établissement sans permission et avait passé la nuit à l’extérieur. 

Amy a reçu des soins d’urgence à la suite d’épisodes d’automutilation et a été examinée aux services des urgences de l’hôpital local à plusieurs reprises durant les six mois précédant son décès. Amy a été hospitalisée à deux reprises; sa dernière hospitalisation, d’une durée de quatre jours, est survenue environ deux semaines avant son décès. Entre son congé et le jour du décès, elle a été amenée à l’urgence à trois autres reprises, pour un épisode d’automutilation, des pensées suicidaires ou une tentative de suicide. 

Le jour du décès d’Amy, alors qu’elle était âgée de 13 ans, le personnel du programme de services en établissement est venu la voir régulièrement pendant qu’elle était seule dans sa chambre. Vingt minutes après la dernière vérification, un employé est retourné à la chambre d’Amy pour lui apporter une collation et l’a trouvé pendue à la corde du store. Les tentatives de réanimation sont restées vaines. La cause du décès est la pendaison, et le mode de décès est le suicide.

Brooklyn

On a décrit Brooklynfootnote * comme une jeune fille polie et amicale. Elle était d’ascendance autochtone, et on dit qu’elle prenait plaisir à participer à des cérémonies et à faire des apprentissages sur sa culture. Elle aimait plusieurs sports, ainsi que l’équitation, l’art, la cuisine et le jardinage.

Brooklyn a vécu avec ses parents durant la première année de sa vie et pour une période de huit mois durant la petite enfance. Elle avait cinq frères et sœurs et cette période de sa vie a été marquée par les défis auxquels fait face sa communauté des Premières Nations, notamment la pauvreté, l’usage de substances, le soutien minimal offert à la communauté et l’accès variable à l’éducation. Brooklyn a été prise en charge juste avant son premier anniversaire. Elle a maintenu un contact irrégulier avec ses parents et ses frères et sœurs tout au long de sa vie. Brooklyn ayant été systématiquement placée dans le même foyer que sa petite sœur, elles ont toujours été proches.

Brooklyn a reçu des diagnostics de trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, de déficience intellectuelle légère, de trouble réactionnel de l’attachement, de trouble d’apprentissage et de trouble traumatique du développement. Lorsqu’elle avait quatre ans, une évaluation psychiatrique a souligné l’importance de la planification de la permanence et a mentionné des problèmes d’attachement. On lui a prescrit des médicaments pour des problèmes de perturbation du sommeil, d’attention, d’impulsivité et de maîtrise de la colère. Au début de son adolescence, Brooklyn a été admise à deux reprises dans des unités internes de santé mentale pour enfants après des épisodes d’agression, et a reçu du counseling et fait de l’art-thérapie durant ses placements.

Tout au long de la vie de Brooklyn, des efforts ont été faits pour trouver un proche stable ou conclure une entente de soins conformes aux traditions plus près de son domicile, mais ils ont été infructueux. À l’âge de six ans, elle avait vécu dans 17 familles d’accueil du Nord de l’Ontario; presque toutes étaient situées dans des communautés des Premières Nations.

À l’âge de six ans, Brooklyn et sa sœur ont été placées dans une famille d’accueil située à 800 kilomètres de leur domicile et administrée par une agence gérée par une ressource externe rémunérée. Brooklyn avait à cette époque des compétences langagières en anglais très faibles et n’avait pas fréquenté l’école de façon régulière. Brooklyn et sa sœur ont vécu six ans dans cette famille d’accueil, de loin la plus longue période de stabilité dans sa vie. Ce placement s’est terminé abruptement, et les raisons ne semblent pas être liées aux enfants. Brooklyn n’a reçu qu’un soutien minime pour gérer les sentiments vécus au moment de cette transition et en lien avec le changement de parents d’accueil, de communauté, d’école et de thérapeutes.

Après deux placements organisés par une autre agence gérée par une ressource externe rémunérée au cours de l’année suivante, Brooklyn a vécu huit autres placements administrés par différentes agences, et ce, de l’âge de 13 ans à son décès trois ans plus tard. Le placement le plus long a été d’une durée de sept mois, dans un foyer de groupe. À partir de l’âge de 14 ans, Brooklyn a cessé de fréquenter l’école et a commencé à présenter des comportements difficiles qui avaient été présagés dans ses évaluations en bas âge. Elle avait des antécédents de comportements liés à des actes de nature incendiaire.

Au moment de son décès, Brooklyn vivait depuis 10 semaines dans un foyer avec rotation de personnel à la suite d’un placement d’urgence survenu avec une planification minimale de la transition. Brooklyn n’allait pas à l’école et ne participait à aucune activité de la communauté.

Après une série de départs du foyer de groupe sans permission pour rencontrer des personnes que l’on croyait impliquées dans des activités illégales en lien avec l’exploitation de jeunes vulnérables, on a inséré une vis dans la fenêtre de la chambre de Brooklyn pour qu’elle ne puisse pas l’ouvrir complètement. Cette action a été posée dans le but de l’empêcher de s’échapper de l’établissement par la fenêtre. Il ne semble pas y avoir eu d’autre mesure de protection prise ni d’autre soutien offert dans le but de remédier à ces différentes situations problématiques. 

Les tentatives pour limiter l’accès aux réseaux sociaux ont entraîné des disputes majeures. Brooklyn s’isolait alors dans sa chambre, et s’y barricadait parfois en poussant des meubles contre la porte. Le jour de son décès, alors qu’elle était âgée de 16 ans, elle s’est fâchée contre le personnel parce que l’accès à Internet lui avait été interdit. Elle a poussé son matelas contre la porte et y a mis le feu. Le matelas a empêché Brooklyn de sortir de la chambre et a empêché le personnel d’y entrer, tout comme c’est le cas de la vis dans sa fenêtre. Il a été établi que sa mort était accidentelle et qu’elle avait été causée par l’inhalation de fumée.

Ashley

On a décrit Ashleyfootnote * comme une jeune intelligente qui possédait un talent pour la musique. Elle exprimait sa créativité par les croquis et le dessin, et elle aimait jouer aux cartes et aux jeux vidéo. Elle avait une excellente capacité d’introspection quant aux problèmes rencontrés dans sa vie, et elle avait des discussions approfondies avec les médecins et les psychiatres sur les effets qu’avaient les médicaments qui lui étaient prescrits.

Ashley a été abandonnée à la naissance; sa grand-mère est devenue sa fournisseuse de soins par une entente informelle. Elles ont vécu ensemble pendant les 15 années qui ont suivi, dans leur communauté des Premières Nations, où la mère d’Ashley les visitait de façon irrégulière.

Alors qu’elle était enfant et jeune adolescente, Ashley a été témoin de violence familiale au sein de sa famille élargie et de tentatives de suicide dans sa famille. Elle a été victime d’abus sexuel et d’intimidation. Ashley a fait usage de substances et a commis des actes de vandalisme sur des propriétés de la communauté. Au début de son enfance, elle a été témoin d’au moins deux incidents entraînant la mort d’un autre enfant, ou lui causant des blessures graves.

Les tentatives de suicide fréquentes d’Ashley ont donné lieu à des évacuations sanitaires à répétition vers l’unité interne de psychiatrie pour enfants d’un hôpital local. La grand-mère d’Ashley a vu sa capacité de fournir des soins à sa petite-fille compromise en raison de son vieillissement, de circonstances de vie difficiles et de ses propres problèmes médicaux et de santé mentale.

À l’âge de 15 ans, après huit incidents liés à des pensées suicidaires et des tentatives de suicide, Ashley a été prise en charge par la société autochtone de bien-être de l’enfance dans le contexte d’une entente de soins conformes aux traditions. Ceci a permis de respecter le désir d’Ashley d’être admise dans un programme de traitement en établissement. Par la suite, ses lourds antécédents psychiatriques, psychologiques et comportementaux ont occasionné six hospitalisations (dont deux d’une durée d’environ cinq mois) et 10 tentatives de suicide. Ashley a vécu 18 placements différents, notamment des programmes de soins en famille d’accueil, trois programmes de traitement gérés par des communautés des Premières Nations du Nord de l’Ontario et un traitement en milieu fermé. Ashley a déménagé 23 fois; elle est entre autres retournée quatre fois chez sa grand-mère lorsqu’il n’y avait aucune autre possibilité, et a été placée à cinq endroits pour une nuit seulement en situation de crise.

Au fil du temps, Ashley a reçu différents diagnostics, dont ceux d’usage de cannabis, de trouble des conduites, de trouble stress post-traumatique (TSPT), de trouble dissociatif de l’identité, et de réponse au traumatisme complexe, notamment par la dissociation, le rappel intrusif et l’organisation limite. Ashley aurait consommé du cannabis quotidiennement dès l’âge de 11 ans. Des médicaments lui ont été prescrits, mais sa médication a été fréquemment ajustée parce que leur efficacité était remise en question. Un de ces médicaments visait à éviter les rappels nocturnes associés au TSPT

La possibilité qu’Ashley soit une personne transgenre a été mentionnée dans son dossier, mais aucun fournisseur de services n’a abordé ce sujet avec elle.

Deux mois avant son décès, Ashley a été placée dans un programme de soins dans un foyer situé près de sa communauté d’origine. Au moment de ce placement, une enquête de protection de l’enfance en milieu institutionnel était en cours, et une vérification de plusieurs aspects liés à la protection des enfants avait été faite. 

Même si Ashley devait bénéficier d’une supervision individuelle du personnel dans ce placement, on lui permettait souvent de quitter l’établissement sans être accompagnée. Elle ne fréquentait pas l’école et ne recevait aucune intervention thérapeutique. Malgré cela, son comportement semble s’être stabilisé, et aucune tentative de suicide n’est survenue lors de ce placement.

Le soir précédant son décès, Ashley a été amenée par le personnel de la famille d’accueil à un endroit où des proches de sa communauté demeuraient. Ashley devait être de retour au foyer à 23 h. Elle et trois autres jeunes se sont rendus dans une partie isolée d’un parc des environs. Les jeunes ont plus tard confirmé qu’ils avaient consommé de l’alcool et fumé de la marijuana, et qu’ils avaient abandonné Ashley au parc après avoir été incapables de la réveiller.

Comme Ashley n’était pas revenue au foyer à minuit et demi, le personnel a appelé la police, et une disparition a été déclarée. Le corps d’Ashley a été retrouvé dans le parc aux alentours de 20 h ce soir-là. Il a été établi que la mort était accidentelle et qu’elle était le résultat d’une noyade chez une jeune présentant une intoxication grave à l’alcool.


Notes en bas de page

  • note de bas de page[*] Retour au paragraphe Certains noms ont été changés pour préserver l’anonymat des personnes et de leur famille.
  • note de bas de page[1] Retour au paragraphe Les programmes régis par l’article 23 offrent aux élèves dans des établissements de soins, de traitement ou correctionnels des services éducatifs conçus pour répondre à leurs besoins cognitifs, sociaux, émotionnels et physiques.