Les jeunes autochtones, leur famille et leur communauté

De façon générale, on pouvait voir de nombreuses similitudes dans les histoires des 12 jeunes, de leur famille et de leur communauté, ainsi que dans leurs expériences de soins.

Principales conclusions

  • Malgré des histoires complexes et empreintes de traumatismes et la présence d’un risque élevé apparent très tôt dans leur vie, ces jeunes ont reçu des interventions et des mesures de prévention minimales, voire parfois inexistantes, même si des besoins avaient été ciblés rapidement. Les actions entreprises auprès des jeunes et de leur famille étaient surtout axées sur les situations de crise. 
  • Les caractéristiques identitaires des jeunes n’ont pas été prises en compte dans l’offre de soins ou de services. Les jeunes autochtones, noirs et LGBTQI2S n’étaient pas systématiquement aiguillés vers des programmes adaptés à leur culture et à leur identité, et leur identité n’était pas prise en compte dans leurs soins. Il y avait des lacunes quant à l’attention portée à leur identité, et des efforts minimaux ont été faits en ce qui a trait à l’inclusivité.
  • Les jeunes ne vivaient souvent pas dans des environnements permettant de développer un sentiment de motivation ou d’appartenance, ou un attachement sain et à long terme à un adulte. Il semble qu’ils n’aient pas été souvent encouragés à avoir de l’espoir quant à leur futur ou à avoir des aspirations positives, ou encore à prendre part à des activités qui mettent leurs forces en valeur.

Résumé des observations

Il a été établi que l’expérience de traumatismes multiples et complexes était un aspect commun aux 12 jeunes. La plupart d’entre eux étaient aussi issus de familles que l’on considère à risque élevé. Des signes de traumatismes intergénérationnels étaient clairs dans les huit histoires autochtones analyséesfootnote 1. Certaines familles se sont demandé si les fournisseurs de soins dans les placements avaient offert un soutien adéquat aux jeunes qui vivaient des traumatismes, des deuils, la perte d’êtres chers, ou qui avaient été victimes d’abus ou d’agressions sexuels.  

Les défis auxquels faisaient face ces jeunes lors de leur prise en charge semblaient être multiples. Durant les réunions du Comité, un des aînés autochtones a parlé d’une cérémonie dans la communauté qui a lieu tôt dans la vie d’un enfant et lors de laquelle on lui attribue un nom, un clan, un but, et la possibilité d’agir de sa propre volonté. Le Comité a noté que cette cérémonie comporte plusieurs aspects fondamentaux absents des expériences des 12 jeunes, soit l’identité, les liens avec les autres, le sentiment d’appartenance, les rôles et les responsabilités, le pouvoir de choisir sa propre voie, et le sentiment d’être utile. 

Le Comité a remarqué qu’il n’y a pas eu assez d’attention accordée à l’identité des jeunes et d’actions posées à cet égard. Les jeunes autochtones, noirs et LGBTQI2S qui étaient marginalisés n’étaient pas systématiquement dirigés vers des programmes fondés sur l’identité ou sur la culture; leur identité ne semblait pas non plus être prise en compte dans le choix des services offerts durant leur prise en charge.

Les jeunes, les familles et les travailleurs des sociétés ont tous observé des défis importants chez les jeunes pris en charge quant à leur capacité à développer des liens avec les autres.

Les jeunes qui ont vécu dans le système ont exprimé avoir souvent ressenti un isolement social et un manque de liens significatifs dans leur vie. Ils ont décrit le traumatisme que représente le fait d’être retiré de sa famille et de sa communauté, de n’avoir personne à qui parler ouvertement et de n’avoir aucun exutoire pour leurs émotions. Les jeunes ont aussi dit qu’ils ressentaient un besoin criant d’établir un lien significatif avec une personne, et d’avoir quelqu’un qui puisse les guider. 

Certains des jeunes ont dit que vivre dans un foyer de groupe, c’était comme vivre seul. Ils ont rapporté des lacunes en matière de supervision et de sécurité, et ont mentionné qu’ils avaient la possibilité d’aller et venir comme ils le désiraient, et qu’ils n’avaient pas la chance de bénéficier de consultations ni de personnes à qui se confier.

Certaines familles ont déclaré que leurs enfants avaient un contact limité avec eux après leur prise en charge. Un parent a raconté que son enfant devait se cacher pour appeler sa famille et qu’il exprimait constamment un sentiment de solitude et le désir de retourner à la maison. Un autre parent a expliqué qu’il était difficile pour leurs enfants de passer les fêtes loin de leur communauté.

Les travailleurs des sociétés et le personnel des placements ont parlé de l’importance de conserver l’objectif de réunification avec les familles biologiques et ont précisé que placer les jeunes près de leur domicile allait dans ce sens. Les liens avec la famille, la communauté et la culture ont été présentés comme des éléments au cœur du sentiment d’appartenance des jeunes et de leur identité.

Occasions d’amélioration

  • Viser avant tout de laisser l’enfant dans sa famille d’origine le plus longtemps possible.
  • Offrir du soutien aux parents biologiques et aux enfants tôt dans le processus d’intervention, afin d’éviter d’avoir à retirer les jeunes de leur domicile et de leur communauté.
  • Envisager de retirer les parents de leurs communautés pour leur offrir un traitement et du soutien, plutôt que de prendre en charge les jeunes. 
  • Choisir du personnel dans les placements, des travailleurs des sociétés et des fournisseurs de soins qui acceptent, soutiennent ou reflètent la diversité des identités, comme des personnes qui s’identifient comme LGBTQBQ ou comme Autochtones.
  • Mettre les jeunes en contact avec des pairs ayant vécu l’expérience du système de bien-être de l’enfance et souffrant de problèmes de santé mentale, afin qu’ils sentent qu’ils ne sont pas seuls à vivre ce genre d’expérience. 
  • Veiller à ce que les fournisseurs de soins agissent en présumant que les jeunes ont vécu des traumatismes, et à ce qu’ils comprennent les effets des traumatismes sur le développement du cerveau et emploient une approche tenant compte des traumatismes.

Huit vies autochtones

Parmi les jeunes dont l’histoire a fait l’objet d’un examen par le Comité d’experts, huit étaient des Autochtones issus de collectivités des Premières Nations du Nord de l’Ontario. Le Comité a pris soin de tenir compte du caractère unique de ces jeunes, de leur famille d’origine et de leur communauté de façon à souligner et à honorer les différences dans leur vie, leurs expériences et leurs besoins. La majorité de ces collectivités sont éloignées.

Principales conclusions

  • Les jeunes, leur famille et leur communauté ont été influencés par la colonisation, les séquelles des pensionnats et les traumatismes intergénérationnels.
  • Les communautés d’origine des jeunes étaient aux prises avec des obstacles structurels importants, une iniquité majeure dans les services aux familles et aux enfants, ainsi qu’un accès limité à des ressources spécialisées.
  • Des logements et une qualité de l’eau et de la nourriture inadéquats dans les communautés d’origine des jeunes constituaient un point commun marquant des jeunes issus de collectivités éloignées. Beaucoup de jeunes ne bénéficiaient pas d’un accès équitable à l’éducation, aux services sociaux, aux activités récréatives et aux soins de santé, notamment aux soins de santé mentale.
  • Il manquait d’approches adaptées à la culture et tenant compte des traumatismes orientées vers l’intervention, la prévention et le soutien précoces aux familles. 
  • Les jeunes ne semblaient pas avoir un endroit sûr où se rendre dans la réserve s’ils en ressentaient le besoin.
  • Après leur retrait de leur communauté d’origine, les jeunes étaient placés dans des environnements au sein desquels le contact avec des aînés, les apprentissages liés à la nature, les cérémonies traditionnelles et les soins holistiques étaient très peu présents; les milieux où étaient placés les jeunes ne semblaient pas reconnaître leurs besoins culturels ni y répondre.
  • Les sociétés autochtones de bien-être de l’enfance qui offrent des services aux jeunes et aux familles de collectivités des Premières Nations éloignées font face à des limites particulières quant à l’offre de services, comparativement à d’autres sociétés (p. ex., grands territoires, ressources limitées).
  • Malgré les effets historiques et actuels de la colonisation, les séquelles des pensionnats et les traumatismes intergénérationnels, les communautés autochtones continuent de persévérer, de se guérir et de se réapproprier leur culture et leur identité. 

Résumé des observations

Il est extrêmement clair pour le Comité que les communautés d’origine des jeunes font face à des obstacles structuraux importants et ont un accès limité aux ressources. Le Comité a entendu les chefs et les conseils de bande de deux communautés souligner que le manque de financement viable était un problème, surtout en ce qui a trait au financement visant à soutenir les programmes de guérison traditionnelle. L’accès inégal aux ressources a contribué aux lacunes majeures en ce qui a trait au logement et à la qualité de l’eau et de la nourriture. Beaucoup de jeunes n’avaient pas accès à l’éducation, aux services sociaux, aux activités récréatives et aux soins de santé, notamment aux soins de santé mentale, sur une base régulière.

Les jeunes autochtones ayant vécu dans le système ont expliqué que leurs communautés d’origine n’ont souvent pas accès à de l’eau potable et à des fruits et des légumes frais; ils doivent donc consommer des aliments transformés et moins chers. Ils ont également parlé de logements surpeuplés, sans électricité ni eau courante.

Ils ont également mentionné l’absence de loisirs auxquels ils pouvaient participer et ont fait un lien entre ce problème et la santé mentale et l’usage de substances chez jeunes. Ils ont expliqué avoir besoin de s’occuper; leurs communautés tentent d’ailleurs d’offrir des activités, mais souvent, celles-ci ne sont organisées que lors d’occasions spéciales.

Les jeunes autochtones ont aussi souligné plusieurs aspects positifs de leurs communautés d’origine, comme l’existence de grandes familles élargies de qui ils sont proches, le sentiment d’appartenance à la maison et dans la communauté, et la possibilité de faire des apprentissages sur leur culture, leurs coutumes et leur langue.

Les aînés du comité ont aussi souligné l’importance de la famille élargie et de l’attachement à la famille et à la culture. Ils ont remarqué un manque d’approches adaptées à la culture et tenant compte des traumatismes qui sont axées sur le parentage et sur le soutien aux familles. Les dirigeants d’une des communautés ont parlé des séquelles intergénérationnelles des pensionnats dans leur communauté et d’abus sexuels au sein des familles. Ils ont précisé que pour pouvoir faire face aux traumatismes intergénérationnels, il fallait s’attaquer aux obstacles systémiques et disposer de ressources durables.

De façon générale, les jeunes, leurs familles, et leurs communautés semblent avoir été influencés par la colonisation, les séquelles des pensionnats et les traumatismes intergénérationnels.

Les jeunes autochtones l’ont rappelé lorsqu’ils ont parlé des traumatismes intergénérationnels résultant de l’expérience des membres de leur famille qui ont grandi dans les pensionnats. Ils ont expliqué que l’histoire récente de leur communauté, soit que ses membres aient grandi sans parents (dans les pensionnats), explique pourquoi ces derniers ne possèdent pas de compétences parentales. Ils ont aussi affirmé qu’il y avait un manque de soutien aux parents et de cours d’éducation parentale adaptés à leurs communautés au sein de celles-ci. Ils ont expliqué que les cours d’éducation parentale étaient axés sur la culture occidentale et qu’ils « imposaient un modèle étranger à leur culture ». Ils ont suggéré d’adopter un modèle selon lequel les familles guérissent ensemble, car celui-ci serait mieux adapté à leurs communautés. 

Ils ont expliqué que ce sont les communautés qui élèvent les enfants et que le modèle de la cellule familiale ne se voit pas dans la plupart des communautés autochtones. Les jeunes ont également mentionné que les parents se faisaient souvent dire qu’on allait leur redonner leurs enfants lorsque ces derniers étaient pris en charge par les services de protection de l’enfance, mais que ce n’était en fait pas le cas; cette situation contribue à la méfiance envers les sociétés dans les communautés.

Les chefs et les conseils de trois communautés ont expliqué qu’un soutien structuré et viable est requis dans la réserve afin que les jeunes n’aient pas à la quitter pour recevoir des services. Ils ont ajouté que si les jeunes ont à quitter la réserve, ils devraient être en mesure de recevoir du soutien dans leur domicile temporaire. Des services de prévention et de soutien aux familles étaient rarement offerts, et les jeunes ne semblaient pas disposer d’un endroit sûr dans la réserve où aller s’ils en ressentaient le besoin.

Les jeunes autochtones ont aussi souligné que lorsque des services de prévention sont offerts dans leur communauté et que les familles tentent d’y avoir accès, leur action se solde souvent par une prise en charge, ce qui décourage les personnes qui pourraient y avoir recours. 

Le Comité a constaté que très peu d’efforts avaient été faits pour offrir des soins holistiques ou pour répondre d’abord aux besoins spirituels. Lorsque les jeunes autochtones ont été retirés de leur domicile, beaucoup d’entre eux ont été placés très loin de leur communauté d’origine. Les familles autochtones et les dirigeants de trois communautés ont mis de l’avant le besoin de laisser les jeunes dans leurs communautés, ou le plus près possible de leur domicile. Le Comité a noté que le contact avec des aînés, les apprentissages liés à la nature et les cérémonies traditionnelles étaient très peu présents, surtout une fois que les jeunes sont retirés de leur communauté d’origine. 

Les jeunes autochtones ont parlé de l’importance du lien avec la nature. Ils ont expliqué qu’ils désiraient avoir des occasions de sortir à l’extérieur pour chasser et pêcher lorsqu’ils étaient loin de leur communauté d’origine. Cela constituait une dimension importante de leur culture et de leurs pratiques spirituelles qui leur manquait souvent lorsqu’ils étaient placés à l’extérieur de leur communauté.

Ils ont également décrit le choc culturel qu’ils vivaient lorsqu’ils étaient retirés de leur communauté. On s’attendait à ce qu’ils utilisent les transports en commun et à ce qu’ils s’adaptent à la vie urbaine; ils avaient aussi un accès plus facile à l’alcool.  

Les jeunes ont aussi déclaré avoir été victimes de racisme en milieu urbain : ils se sont fait lancer des objets, ont été victimes d’intimidation et ont été la cible de commentaires négatifs en personne ou sur les médias sociaux, souvent quotidiennement. Ils ont parlé de la consommation d’alcool pour s’évader; selon eux, beaucoup de jeunes « sortent, deviennent ivres et se perdent » en ville.

Le Comité reconnaît que les sociétés autochtones de bien-être de l’enfance qui travaillent auprès de jeunes et de familles de collectivités des Premières Nations éloignées font face à des défis particuliers dans la prestation de services, comparativement aux autres sociétés. Par exemple, le territoire géographique de leurs cas peut être beaucoup plus étendu et les ressources considérablement moindres.

Les dirigeants de deux communautés et des jeunes ayant vécu dans le système ont expliqué qu’il existe un problème de confidentialité dans les petites communautés.

Les jeunes ont parlé des liens étroits entre les travailleurs des sociétés et les travailleurs en santé mentale, et les familles auxquelles ils offrent des services dans leurs communautés. Ils ont expliqué avoir parfois l’impression que ces liens compromettent l’intégrité des enquêtes de protection de l’enfance et de la prise de décisions.

Le Comité a proposé que le financement aux communautés autochtones soit fondé sur les besoins de chacune des communautés et que les programmes et les services soient élaborés, développés et offerts par les communautés autochtones afin qu’ils soient plus pertinents et efficaces pour les jeunes et les familles. Les jeunes se sont demandé si une approche dans l’esprit de l’arrêt Gladuefootnote 2 pourrait être appliquée aux jeunes qui sont pris en charge, et si une approche de justice réparatrice pourrait être envisagée en contexte de protection de l’enfance dans les communautés autochtones.

Le Comité reconnaît la résilience des jeunes, des familles et des communautés autochtones qui ont fait l’objet de cette analyse, et réitère que malgré les effets historiques et actuels de la colonisation, les séquelles des pensionnats et les traumatismes intergénérationnels, les communautés continuent de persévérer, de se guérir et de se réapproprier leur culture et leur identité.

Occasions d’amélioration

  • Les jeunes autochtones ont suggéré qu’il pourrait être préférable de retirer les parents de leurs communautés pour leur offrir un traitement et du soutien, plutôt que de prendre en charge les jeunes. 
  • On devrait enseigner aux jeunes autochtones l’histoire des pensionnats, de la colonisation et du patriarcat.
  • S’il est impossible de placer des enfants autochtones dans leur communauté d’origine, des cours de langue autochtone devraient être offerts.
  • Les dirigeants de deux communautés ont souligné qu’il devrait y avoir des foyers de groupe au sein des communautés des Premières Nations et que des professionnels devraient vivre dans la communauté pour éviter qu’ils s’y rendent en situation de crise seulement et qu’ils la quittent ensuite. Selon eux, il serait avantageux d’avoir un agent de liaison communautaire qui connaît bien le fonctionnement des systèmes de soins en santé mentale.
  • Les dirigeants de deux des communautés des jeunes ont évoqué que le principe de Jordan devrait toujours s’appliquer; le Comité était en accord avec cette proposition. Le principe de Jordan est un principe de l’enfant d’abord visant à régler rapidement les conflits liés à la compétence entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces et territoires en ce qui a trait au paiement des services, afin que leur prestation aux Premières Nations ne soit pas retardée ou interrompuefootnote 3.
  • Les dirigeants d’une communauté autochtone ont soutenu que la mobilisation de la communauté est très importante et que les communautés devraient établir leurs propres besoins lorsqu’un financement est reçu. Ils devraient concevoir, élaborer et offrir eux-mêmes les services à leur communauté.

«J’avais toujours honte d’être Autochtone, mais après avoir fait des apprentissages sur mes ancêtres, je me sens plus fort. »

Rôle des sociétés et des établissements

Le Comité a observé plusieurs points communs dans les placements des jeunes en établissement, notamment la distance des placements par rapport à leur communauté d’origine, les changements fréquents de placement, et les pratiques et approches employées pour travailler auprès des jeunes.

Principales conclusions

  • Beaucoup de jeunes ont été placés loin de leur communauté d’origine; il leur a donc été difficile de garder un contact avec leur famille, leur communauté et leur culture.
  • Les placements multiples ont eu un effet négatif sur la capacité des jeunes à développer des liens et un attachement sain avec leurs fournisseurs de soins, leurs enseignants et d’autres adultes.
  • Les placements multiples ont eu des répercussions sur l’accès des jeunes à une éducation valable. Leur absence du milieu scolaire a contribué à l’isolement social et aux lacunes quant au développement d’aptitudes essentielles.
  • Les contentions physiques et la supervision individuelle sont des méthodes d’intervention fréquemment employées dans les placements en établissement. Il ne semblait pas y avoir d’interprétation commune des différentes méthodes d’intervention ni d’approche normalisée ou cohérente à cet égard.
  • La supervision individuelle semble avoir été établie pour répondre à un besoin de sécurité urgent et ne semblait pas donner lieu à une réelle implication auprès des jeunes ni à la création de liens avec eux.
  • La pertinence de la supervision individuelle au-delà de périodes de crise de courte durée pour soutenir les jeunes n’est pas claire, mais les jeunes sont nombreux à avoir fait l’objet d’une supervision individuelle sur une période prolongée.
  • Il n’existe pas d’exigences minimales quant aux aptitudes, à la supervision, aux compétences, à la formation et à l’éducation du personnel et des fournisseurs de soins.
  • Il sera nécessaire de mieux comprendre les facteurs de risque et les signes de la traite des personnes, ainsi que les interventions efficaces.
  • L’opinion des jeunes est un aspect essentiel à leur bien-être. Les jeunes ont eu très peu d’occasions de donner leur opinion durant leur prise en charge, car celle-ci n’était pas valorisée. Leurs tentatives de communiquer leurs besoins étaient souvent négligées, ignorées et vues comme un désir d’attirer l’attention.
  • On n’a pas toujours répondu aux besoins fondamentaux des jeunes.
  • La faible qualité des soins reçus par les jeunes durant leur vie a eu de très lourdes conséquences sur eux.
  • Les jeunes ne participaient pas activement aux services et aux programmes dans la communauté, dont les programmes éducatifs et les services en santé mentale, et ce, pour de longues périodes de temps; ils passaient souvent des journées complètes dans leurs placements en ayant très peu à faire. Il semblerait que plusieurs des 12 jeunes pourraient avoir été susceptibles d’être victimes de traite de personnes ou avoir été victimes de la traite de personnes.

Résumé des observations

Plusieurs des 12 jeunes étaient placés loin de leur communauté d’origine; le plus éloigné était à une distance de 1 600 kilomètres.

Les jeunes ayant vécu dans le système ont décrit des placements situés très loin de leurs communautés d’origines. Ils ont mentionné avoir recherché des liens avec la nature, avec leur famille (y compris leurs frères et sœurs) et avec leur communauté et leur langue. Ils désiraient retourner dans leur communauté d’origine le plus tôt possible; beaucoup ont dû attendre jusqu’à l’âge de 16 ans pour quitter la prise en charge et retourner dans leur communauté.

Le Comité a mentionné que lorsque les jeunes ne sont plus en contact avec leur culture, leur famille, leur communauté, leur éducation et leur réseau de soutien, ils se retrouvent privés de leurs moyens de protection les plus forts, leurs défenseurs naturels. Le Comité a expliqué que plus les jeunes étaient éloignés de leur communauté d’origine, plus il aura été difficile pour eux d’entretenir un lien avec les personnes de leur communauté qui prenaient soin d’eux et défendaient leurs intérêts s’ils n’étaient pas en mesure de le faire eux-mêmes.

De plus, la plupart des jeunes ont vécu de multiples transferts de placement. Les déménagements n’étaient souvent pas planifiés, ce qui occasionnait des placements d’urgence au premier endroit où c’était possible. Parfois, de nombreux transferts de placement sont survenus en une courte période de temps. Par exemple, un des jeunes a été transféré 18 fois sur une période de 20 mois. Le Comité et les travailleurs ont relevé des difficultés quant à la prestation de soins de qualité, à la création de liens, à la continuité de l’éducation et au développement d’un attachement sain avec les fournisseurs de soins, lorsque les jeunes sont transférés aussi fréquemment. Les travailleurs des sociétés et le personnel des placements ont parlé des prises en charge dans les familles et du traumatisme vécu par les jeunes qui sont transférés dans un nouveau placement.

Les jeunes ont aussi décrit ce sentiment et ont souligné que de voir leurs effets personnels transportés dans des sacs poubelles rendait l’expérience déshumanisante.

En plus des multiples changements de placement, les jeunes ont parlé des choix de placement en expliquant que les sociétés d’aide à l’enfance ou les sociétés autochtones de bien-être de l’enfance « essaient juste de trouver un endroit où caser les enfants ». Ils ont expliqué que le choix des placements se faisait selon leur endroit de résidence plutôt que selon la compatibilité, ce qui occasionnait une mauvaise compatibilité entre les placements et leurs besoins quant à leur langue, leur culture et leur personnalité. Ils ont raconté qu’ils ne se sentaient parfois pas accueillis ou acceptés dans des familles déjà établies, et qu’ils se sentaient souvent traités comme une « entrée d’argent ».

Le Comité a noté des approches d’intervention et des pratiques semblables dans les placements en établissement. L’une de ces pratiques est de mettre en place une supervision individuelle lorsque l’on craint qu’un jeune puisse se causer des blessures. Le Comité a observé qu’il ne semblait pas y avoir d’interprétation commune entre les établissements du fonctionnement de la supervision individuelle en contexte de placement en établissement. Le personnel a expliqué qu’habituellement, une supervision individuelle signifie qu’un membre du personnel s’assure de surveiller le jeune du regard en tout temps, jusqu’à ce que l’on juge qu’il présente un risque plus faible. On a expliqué que l’application de ce type de supervision exige la présence de plus de personnel. Ceci peut être difficile lorsqu’il n’y a pas suffisamment de personnel durant un quart de travail et peut nuire aux soins des autres jeunes de l’établissement.

Bien que le Comité reconnaisse le bien-fondé de la supervision individuelle dans certaines situations pour assurer la sécurité immédiate d’une personne, il semblait que cette supervision ait souvent été la seule forme d’intervention. Le Comité a remarqué qu’une supervision visuelle constante peut parfois assurer la sécurité dans l’immédiat; toutefois, pour promouvoir le bien-être des jeunes et pour leur offrir un environnement enrichi, le personnel des placements et les fournisseurs de soins doivent aussi mobiliser les jeunes et bâtir des relations authentiques avec eux. Cela ne semble pas actuellement faire partie de l’approche de la supervision individuelle. Le Comité a également constaté une variabilité dans la mise en œuvre et l’arrêt de la supervision individuelle. Certains membres du personnel qui prennent des décisions quant à ce type de supervision n’ont pas nécessairement reçu de formation adéquate pour le faire. 

Une autre forme d’intervention fréquente dans les placements en établissement est l’utilisation de contentions physiques. La fréquence du recours aux contentions physiques avec les jeunes en placements en établissement était particulièrement élevée et était l’incident grave le plus souvent rapporté sur une période de six mois. Le Comité a observé des incohérences quant au type de contentions physiques utilisé et à la durée de la contention, la plus longue période de contention physique d’un jeune ayant été de deux heures. Selon la Marche à suivre pour signaler les incidents graves du MSESC, toute contention doit être signalée comme un incident grave. Dans le rapport fourni, les mesures d’intervention moins perturbatrices utilisées avant la contention doivent être décrites. Le Comité a noté une variabilité dans l’interprétation et l’application de mesures moins perturbatrices et dans les approches employées pour le désarmoçage d’une situation avant d’opter pour des contentions physiques.

Le Comité, les familles, les travailleurs des sociétés, le personnel des placements et les jeunes ayant vécu dans le système ont tous parlé des compétences du personnel et des fournisseurs de soins dans les placements en établissement. Tous reconnaissaient le niveau de compétence, d’expertise, d’attention et de soins requis pour soutenir les jeunes, et les effets majeurs, positifs et négatifs, que peuvent avoir ces différents aspects sur la vie d’un jeune.

Le Comité a relevé une absence de soins de qualité dans les placements en établissement. Il a noté que la qualité des soins est influencée par la formation, les compétences, l’éducation et la rémunération du personnel et des fournisseurs de soins, ainsi que par le soutien offert dans l’environnement de travail. Plus précisément, le Comité a observé que le personnel des placements, les travailleurs des sociétés et les fournisseurs de soins n’étaient pas toujours préparés ou outillés pour soutenir les jeunes qui présentent des problèmes de santé mentale ou d’usage de substances, des troubles concomitants, un trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale ou un traumatisme complexe. Le Comité a aussi remarqué une importante variabilité dans les compétences des fournisseurs de soins. Les travailleurs des sociétés ont remarqué que le personnel des établissements manque souvent de formation officielle et travaille souvent à temps partiel à plusieurs endroits pour joindre les deux bouts, étant donné la faible rémunération. 

Les jeunes ont mentionné que le personnel des placements en établissement manque de formation pertinente et qu’il y a des inégalités quant aux normes attendues du personnel d’un foyer de groupe à un autre (p. ex., compétences, éducation, formation). Ils ont ajouté que des compétences particulières sont requises pour soutenir des enfants et des adolescents, et que le manque de personnel est un problème : tout le monde ne peut faire ce travail. Par exemple, un adolescent a expliqué que plusieurs jeunes ayant des diagnostics différents peuvent vivre dans un même foyer de groupe (p. ex., trouble oppositionnel avec provocation, syndrome d’alcoolisation fœtale, anxiété, dépression). L’adolescent a expliqué que lorsqu’il n’y a que deux ou trois travailleurs pour s’occuper de plusieurs jeunes qui ont des besoins importants, ils sont incapables de les soutenir adéquatement.

Les jeunes ont aussi souligné que le personnel des placements a un travail exigeant, associé à des taux élevés d’épuisement professionnel et de rotation du personnel. Ils ont affirmé que si des efforts visaient à rendre leur travail moins exigeant, ils auraient plus d’occasions d’avoir une présence significative auprès des jeunes.

Des indices laissaient croire que plusieurs des 12 jeunes pourraient avoir été à risque d’être victimes de la traite de personnes ou en avoir été victimes lorsqu’ils étaient dans un placement en établissement. Le Comité a noté que ce risque augmente lorsque les jeunes n’ont pas un réseau de soutien solide et stable. Ils ont précisé que la traite de personnes est généralement mal comprise et qu’il serait pertinent pour le personnel des placements, les travailleurs des sociétés, les fournisseurs de soins et les policiers de comprendre les facteurs de risque, les signes et les caractéristiques d’une intervention efficace s’ils pensent qu’un jeune en est victime. Plus précisément, il faudra explorer comment Internet et les médias sociaux sont utilisés pour recruter les jeunes dans la traite de personnes.

L’expérience des jeunes dans les placements

Bien que les expériences vécues par les jeunes aient été influencées par leur identité, leur histoire, et le lieu de leur domicile, elles étaient aussi grandement influencées par l’interaction des jeunes avec les systèmes de soins dont le mandat était de répondre à leurs besoins. Certains des renseignements obtenus par le Comité sur les expériences vécues par les jeunes dans les placements en établissements sont présentés ci-après.

Parmi les 12 jeunes, plusieurs ne semblent pas avoir eu la chance véritable de fournir de l’information sur leurs besoins, leurs désirs et leurs soins de façon générale. Dans certains cas, il était clair qu’ils donnaient leur opinion, mais que celle-ci était ignorée. Par exemple, des preuves écrites ont démontré qu’un adolescent avait expliqué le traumatisme qu’il avait vécu, ses souffrances et les obstacles qui l’empêchaient d’améliorer sa situation. Cette personne avait fait tout ce qu’elle pouvait pour donner son opinion, demander de l’aide et expliquer clairement ses besoins aux individus et aux systèmes de soins. Le Comité a observé que les adultes au sein de la sphère de soins n’ont pas priorisé la voix de cette personne et n’ont pas répondu adéquatement à ses appels à l’aide. 

Bien que des preuves montrent que des jeunes faisaient entendre leur voix de façon explicite, le Comité a également observé plusieurs cas où les besoins étaient exprimés de façon indirecte et étaient négligés par les travailleurs des sociétés, le personnel des placements ou les fournisseurs de soins. À plusieurs reprises durant leur vie, les jeunes ont communiqué en levant des drapeaux rouges, comme l’automutilation, l’agressivité ou la fugue. Au lieu de voir ces comportements comme la communication de besoins plus profonds et d’y répondre adéquatement, on a plutôt employé des approches punitives, supposé que ces comportements visaient à attirer l’attention, envoyé le jeune à l’urgence ou ont transféré le jeune dans un nouvel établissement.

Les jeunes ayant vécu dans le système ont remarqué de nombreuses similitudes quant aux expériences vécues durant leurs placements et à la qualité des soins reçus. Plusieurs jeunes d’une même zone géographique ont vécu des abus sexuels, spirituels et physiques, ainsi que de la négligence, commis par des fournisseurs de soinsfootnote 4.

Les jeunes ont rapporté avoir déclaré ces abus au travailleur responsable de leur dossier, qui changeait ensuite soudainement, sans qu’aucun suivi ne soit fait. Ils ont expliqué que les travailleurs ne donnaient jamais suite à leurs déclarations et à leurs inquiétudes, ce qui entraînait une perte de confiance. L’un d’eux a exprimé qu’il ne savait plus à qui se confier. Un autre a dit que personne n’était là pour aider les enfants qui déclarent être victimes d’abus dans le système. Les jeunes ont ajouté que la déclaration d’un abus n’était pas suffisamment documentée, ce qui les a empêchés d’avoir des recours dans le système judiciaire. Ils ont parlé des effets importants de ces abus, comme un stress post-traumatique actuel lié à leurs placements, des terreurs nocturnes, ainsi que d’autres conséquences liées aux traumatismes, notamment une incapacité de faire preuve de compassion ou de l’accepter, ou d’« apprendre les émotions ».

Les jeunes ont aussi évoqué des lacunes générales en ce qui concerne les soins qui ne sont pas offerts de façon attentionnée et volontaire, et avec prévenance. Les jeunes ont expliqué que les travailleurs, le personnel et les fournisseurs de soins les faisaient se sentir simplement comme « une autre rentrée d’argent ». Ils ont décrit leur expérience dans le système : vivre dans sa valise, sans adresse officielle, et être souvent transféré d’un placement à l’autre. Ils ont parlé de foyers de groupes, où « deux, trois personnes responsables de superviser la maison fumaient à l’intérieur et invitaient leurs amis » (ils parlaient des fournisseurs de soins) et où ils n’avaient pas le droit d’utiliser le téléphone ni de consulter quelqu’un à l’extérieur du système pour aller chercher de l’aide. Les jeunes ont expliqué que le fait d’être confié aux soins de société de façon prolongée (auparavant appelée tutelle de la Couronne) était une entente principalement financière et que tous leurs besoins fondamentaux ne pouvaient être comblés grâce à de l’argent.

Plusieurs familles ont déclaré qu’elles ne sentaient pas que les placements étaient des environnements positifs où leurs enfants étaient écoutés et où du soutien leur était offert. D’autres familles se sont demandé si les travailleurs des sociétés comparaient les avantages associés aux fournisseurs de soins dans les placements et ceux associés à leurs proches lorsqu’ils prenaient des décisions par rapport aux soins.

Un parent a expliqué que son enfant n’était pas heureux lorsqu’il vivait dans un placement en établissement; il ne faisait qu’y habiter. Plusieurs familles ont déclaré que leurs enfants leur ont dit avoir été contraints par la force chaque fois qu’ils étaient fâchés, que les fournisseurs de soins n’étaient pas « gentils » et que ceux-ci les menaçaient.

Le Comité a noté que les besoins fondamentaux des jeunes n’étaient pas toujours comblés. Certains jeunes étaient fréquemment absents du foyer où ils étaient placés et il semble, selon l’information disponible, que personne ne savait où les jeunes passaient leur temps et que personne ne s’en inquiétait. Le Comité a remarqué que la plupart de ces jeunes ne participaient pas réellement aux services et aux programmes dans leurs placements ou dans leur communauté. Peu de liens existaient avec les programmes de jour, les centres de jeunes, les activités récréatives et de loisirs et dans beaucoup de cas, l’accès à l’éducation était interrompu pour de longues périodes.

Occasions d’amélioration

  • L’opinion des jeunes devrait toujours être prise en considération, valorisée et respectée.
  • Les jeunes devraient être placés le plus près possible de leur communauté d’origine, à moins que cela n’occasionne un risque pour leur sécurité.
  • La priorité devrait être accordée aux placements à long terme pour les jeunes afin qu’ils puissent développer des attachements sains et durables avec des adultes.
  • Les travailleurs des sociétés et le personnel des placements devraient tenter de réduire au maximum le traumatisme associé à la prise en charge et aux changements de placement.
  • Il faudra effectuer plus de recherches pour comprendre comment utiliser les contentions physiques de façon appropriée avec les jeunes.
  • Le personnel des placements et les fournisseurs de soins devraient recevoir une formation obligatoire sur la traite de personnes, les problèmes de santé mentale, l’usage de substances, les troubles concomitants, le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, les personnes LGBTQI2S, la culture autochtone et la prestation de services adaptés à la culture, et le traumatisme complexe chez les jeunes.
  • Les jeunes devraient avoir l’occasion d’exprimer leurs besoins, et ceux-ci devraient être pris au sérieux. Les enfants et les adolescents devraient être informés de toutes les procédures et les interventions qui les concernent.
  • Aucun jeune ne devrait déménager avec ses effets personnels dans un sac poubelle.
  • Un processus d’évaluation devrait mettre en évidence les attentes des parents de famille d’accueil et celles des jeunes, afin qu’ils soient jumelés en fonction de ces renseignements.
  • Les jeunes devraient être regroupés et logés en fonction de leurs besoins.
  • Des efforts devraient être faits pour rendre le travail du personnel des établissements moins exigeant, dans le but de réduire les taux d’épuisement professionnel et la rotation du personnel, et de donner au personnel l’occasion d’avoir une présence significative auprès des jeunes.

 « J’ai toujours voulu demander aux travailleurs responsables de mon dossier : et si vous étiez à ma place? »

« Vous ne pouvez pas simplement offrir un chèque à quelqu’un et vous attendre à ce qu’il élève un enfant; c’est plus compliqué que ça. »

Soins de santé mentale

Les 12 jeunes ayant fait l’objet d’une évaluation par le Comité d’experts souffraient tous de problèmes de santé mentale. La présente section décrit les observations et les conclusions du Comité en ce qui a trait aux services de santé mentale offerts aux jeunes.

Principales conclusions

  • Les soins de santé mentale offerts étaient fragmentés, liés à des situations de crise, prodigués de façon réactive et, dans plusieurs cas, tout simplement inexistants.
  • La disponibilité des soins de santé mentale intensifs et à long terme a soulevé des inquiétudes, en particulier en ce qui concerne les jeunes adolescents et les jeunes en phase de transition.
  • Des évaluations holistiques axées sur la prévention et des interventions précoces sont nécessaires. Lorsque les jeunes souffraient de problèmes de santé mentale, on les aiguillait souvent vers les services de psychiatrie ou d’urgence des hôpitaux (lorsqu’on les aiguillait tout court), sans envisager ou mettre à profit d’autres services susceptibles d’avoir un effet positif sur leur santé mentale et leur bien-être.
  • Des inégalités flagrantes persistent en ce qui concerne la disponibilité des soins de santé mentale dans les collectivités des Premières Nations du Nord.
  • On semble supposer que le système de protection de l’enfance a le mandat et la capacité d’offrir des soins de santé mentale aux jeunes et de veiller à ce que leurs besoins soient comblés à cet égard. Les familles, les enfants et les secteurs offrant des services aux jeunes ne comprennent pas bien la différence entre les services de protection à l’enfance et les soins de santé mentale.

Résumé des observations

Le Comité a relevé des points communs entre les différentes interactions qu’ont eues les jeunes avec les services de santé mentale. Le degré d’accès aux soins pour les jeunes et leur famille variait considérablement en fonction de leur lieu de résidence, un facteur qui influençait également l’expérience des jeunes ayant vécu dans le système de bien-être de l’enfance et l’information reçue des familles et du personnel des sociétés d’aide à l’enfance.

Le Comité a également observé un manque de soins de santé mentale complets et axés sur la prévention dans chacun des 12 cas examinés, quel que soit le lieu de résidence. Une évaluation et une intervention précoces dans des délais raisonnables auraient pu prévenir la dégradation de la santé mentale de ces jeunes, et peut-être même empêcher leur prise en charge par une société d’aide à l’enfance ou une société autochtone de bien-être de l’enfance. Certaines familles ont mentionné avoir demandé de l’aide pour leur enfant très tôt, sans réussir à obtenir les services nécessaires. Les soins de santé mentale, lorsqu’ils étaient offerts, étaient souvent fragmentés et de courte durée; or, selon les renseignements fournis, des soins de longue durée auraient peut-être été préférables.

Les jeunes, les familles et les travailleurs des sociétés ont constaté que les listes d’attente constituaient un obstacle à l’accès aux soins de santé mentale. Parmi les 12 jeunes dont le cas a été étudié et ceux ayant fait l’expérience du système de bien-être à l’enfance, beaucoup ont dû se rendre à l’hôpital plusieurs fois avant de recevoir des soins, et certains n’en ont même pas bénéficié.

De jeunes autochtones et les dirigeants de trois collectivités ont mentionné qu’il était difficile d’avoir accès à des services de consultation dans les collectivités des Premières Nations éloignées en raison du petit nombre d’habitants : les travailleurs sont souvent des membres de la collectivité ou de la famille élargie qui connaissent les jeunes et leur famille, ce qui fait douter de leur confidentialité et constitue un obstacle à l’accès aux soins.

Le Comité a fait remarquer que certains jeunes avaient été confiés à un organisme de bien-être de l’enfance non pour des raisons de sécurité, mais parce que la collectivité n’offrait pas les services de santé mentale ou aux personnes ayant une déficience intellectuelle nécessaires et que les familles n’arrivaient pas à satisfaire les besoins de leur enfant. Les familles ont dit qu’elles croyaient que le système de protection de l’enfance permettrait à leur enfant d’avoir accès à des soins de santé mentale.

Une jeune personne a expliqué qu’elle avait été prise en charge en raison de problèmes de santé mentale après que ses parents ont communiqué à de nombreuses reprises avec la société d’aide à l’enfance pour demander à recevoir du soutien et à être aiguillés vers des ressources. Elle pense que si elle avait bénéficié plus tôt d’un programme de soutien en santé mentale, elle aurait peut-être pu continuer à vivre avec ses parents.

Parmi les 12 jeunes, certains semblaient être atteints d’une déficience intellectuelle, mais n’avaient pas reçu de diagnostic officiel, même si leurs dossiers font état de symptômes; d’autres recevaient des services de santé mentale alors qu’ils étaient probablement atteints d’une déficience intellectuelle. Le Comité a noté en particulier que le choix d’options de traitement et de soutien efficaces pour les jeunes atteints de troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale semblait poser problème.

Le personnel des établissements et les travailleurs des sociétés ont fait remarquer que lorsque les jeunes étaient confiés aux services de protection de l’enfance, les parents et les fournisseurs de services communautaires, notamment les professeurs, les conseils scolaires, les infirmières et les médecins, s’attendaient à ce que les jeunes aient plus facilement accès aux ressources de santé mentale et à ce que leurs besoins de santé mentale soient comblés. Chaque groupe a expliqué que ces attentes envers le système de protection de l’enfance sont irréalistes; par conséquent, les jeunes ne reçoivent pas les services de santé mentale dont ils ont besoin.

Le personnel des établissements et les travailleurs des sociétés ont également expliqué qu’en situation de crise, les jeunes reçoivent souvent leur congé de l’hôpital s’ils ne risquent pas de se suicider dans l’immédiat. Par exemple, un jeune qui s’automutile régulièrement sera renvoyé chez lui, car le médecin considère que « l’automutilation n’est pas une méthode efficace [pour se suicider] » ou que l’adolescent « tente d’attirer l’attention ». Le personnel et les travailleurs ont mentionné que les jeunes recevaient régulièrement leur congé sans qu’aucun plan de sécurité ait été mis en place. Lorsqu’on en suggérait un, on recommandait généralement la supervision individuelle. Le personnel des établissements a fait remarquer que la mise en œuvre de ce type de recommandation nécessitait des employés supplémentaires, et qu’il fallait attendre que la société donne son approbation; pendant ce temps, la sécurité de l’adolescent était compromise. Tous étaient d’avis que cette situation nuisait à la réalisation d’interventions durables et à la prestation d’un traitement de longue durée aidant à prévenir les futures crises de santé mentale. Le Comité a remis en question l’efficacité de la supervision individuelle, puisque cette méthode ne suffisait souvent pas à assurer la sécurité des jeunes et ne leur offrait aucun soutien susceptible d’améliorer leur santé mentale ou leur bien-être.

Le Comité estime que les 12 jeunes auraient tous dû subir une évaluation de la santé mentale dès leur enfance, puis régulièrement par la suite, ce qui n’a pas été le cas pour beaucoup d’entre eux. Les travailleurs des sociétés ont expliqué que lorsque les jeunes sont en état de crise et qu’on les amène à l’hôpital, l’intensité et la nature de l’évaluation varient considérablement, même lorsqu’ils ont des tendances suicidaires et s’automutilent. Le personnel des établissements a indiqué que certains hôpitaux avaient une « liste noire » d’admission (ce serait le terme utilisé); il avait l’impression que les jeunes dont le nom y figure n’étaient pas hospitalisés ou évalués adéquatement s’ils se présentaient à l’hôpital dans certaines circonstances. Le personnel de l’hôpital n’a pas confirmé l’emploi du terme, mais a expliqué que l’hospitalisation n’est pas bénéfique pour tous les patients, et que l’hôpital tient souvent pour acquis que les jeunes reçoivent le soutien dont ils ont besoin auprès de leur établissement ou du système de protection de l’enfance. Aucune information n’a été obtenue pour appuyer cette affirmation.

Si certains jeunes recevaient des soins de santé mentale fragmentés et prodigués de façon réactive, d’autres n’en recevaient tout simplement pas. Le Comité a remarqué des inégalités, en particulier dans les collectivités des Premières Nations du Nord, où il n’y avait parfois aucun médecin ou travailleur en santé mentale. En cas de crise de santé mentale, on amenait les jeunes au poste de soins infirmiers; si on jugeait qu’ils avaient besoin de soins et de soutien plus poussés, on les envoyait dans la ville la plus proche, souvent située très loin. Les familles et les dirigeants d’une des collectivités ont fait remarquer que les jeunes avaient besoin de services adaptés sur le plan culturel. Ils ont également expliqué que lorsque les jeunes doivent quitter leur communauté pour recevoir des soins, ils éprouvent de la difficulté à conserver les progrès réalisés lorsqu’ils retournent dans leur environnement initial.

Les jeunes ont mentionné que même si certains travailleurs en santé mentale des Premières Nations n’ont pas suivi de formation officielle, ils peuvent tout de même accompagner les jeunes sur les terres et améliorer significativement leur santé mentale.

Lorsque la collectivité n’offrait aucun service psychiatrique, on donnait parfois aux jeunes la possibilité de recourir à des consultations en télépsychiatrie. Ce modèle permet de pallier les lacunes du service dans l’immédiat; il est toutefois difficile d’améliorer la santé mentale des jeunes et de formuler des recommandations adaptées à la culture et durables sans comprendre le contexte de la communauté.

Les jeunes autochtones du Nord de l’Ontario ont décrit avec sincérité leurs tentatives de suicide, leurs comportements d’automutilation et le suicide de leurs amis. Lorsqu’on leur a demandé de parler des services en santé mentale, beaucoup d’entre eux ont mentionné n’avoir aucun souvenir qu’on leur en ait offert. Lorsqu’ils se confiaient à leurs travailleurs, on leur disait d’« en revenir ». Certains parents d’accueil ne signalaient pas avant plusieurs mois les tentatives de suicide aux sociétés d’aide à l’enfance ou aux autres services, de peur de perdre la garde de l’enfant (et donc le soutien financier dont ils bénéficiaient). Un jeune a indiqué avoir tenté de se suicider en consommant des médicaments; son état, qu’on a pris pour une intoxication à l’alcool, lui a valu de passer la nuit en cellule de dégrisement.

Le Comité a eu l’impression que les 12 jeunes dont il avait étudié le cas étaient souvent considérés de manière isolée, indépendamment de leur famille, de leur communauté, de leur environnement et des structures sociales en place. Des soins de santé mentale holistiques prodigués par des équipes, notamment des évaluations et des traitements prenant en considération l’enfant dans son ensemble (besoins physiques, émotionnels, spirituels et mentaux) et son environnement, auraient été immensément bénéfiques. Selon le Comité, des thérapies novatrices auraient également dû être envisagées, en particulier des méthodes autochtones originales. Une approche holistique de la santé mentale aurait permis d’éviter d’assimiler les conséquences des traumatismes intergénérationnels, le racisme systémique et les obstacles socio-économiques et structurels à des problèmes de santé mentale individuels.

Le Comité et les familles ont reconnu qu’il fallait mieux comprendre l’utilisation d’Internet et des médias sociaux chez les jeunes ainsi que leur influence sur la santé mentale. Son rôle dans la création de pactes suicidaires et dans la cyberintimidation a soulevé des préoccupations. Toutefois, même si Internet n’est pas toujours sécuritaire, il peut offrir des occasions de mieux soutenir les jeunes, entre autres par l’intermédiaire des médias sociaux.

Occasions d’amélioration

  • Les collectivités devraient offrir des outils d’évaluation holistiques, préventifs et axés sur le travail d’équipe afin d’améliorer l’applicabilité, la pertinence sur le plan culturel et l’efficacité des soins.
  • Pour prévenir les problèmes de santé mentale, il faut aller au-delà des soins de santé mentale habituels et assurer l’accès aux programmes communautaires, d’éducation et de loisirs, et à ceux visant à combler les besoins fondamentaux.
  • Les soins de santé mentale devraient prendre en compte l’enfant dans son ensemble (besoins physiques, émotionnels, spirituels et mentaux) ainsi que son environnement (famille, collectivité élargie, etc.)
  • Il faudrait effectuer davantage de recherche et offrir plus de formations sur les facteurs de risque liés à l’utilisation d’Internet chez les jeunes, en particulier en ce qui concerne les pactes suicidaires et la cyberintimidation.
  • Quelques familles ont mentionné la nécessité d’offrir des soins de santé mentale destinés aux jeunes victimes d’abus sexuels.
  • Les services de santé mentale devraient comprendre des cérémonies traditionnelles adaptées à la communauté, dont l’utilisation de plumes, les rencontres dans des cercles sacrés et les cérémonies du calumet.
  • Les personnes qui prennent des médicaments devraient aussi avoir accès à du soutien thérapeutique pour traiter leurs problèmes de santé mentale.
  • L’interruption des services de santé mentale devrait se faire de façon progressive.
  • Les travailleurs et les fournisseurs de soins devraient bénéficier d’une formation de base plus complète, qui leur permettrait de comprendre la santé mentale et de ne pas la confondre avec des problèmes de comportement (p. ex., colère).
  • Dans la mesure du possible, il faudrait privilégier un traitement sans hospitalisation.
  • Les conseillers en orientation et les travailleurs devraient éviter de demander aux jeunes de raconter une expérience traumatisante plus d’une fois.
  • Le personnel des établissements a suggéré que les hôpitaux leur offrent un soutien supplémentaire afin de désamorcer la situation et assurer un suivi approprié lorsqu’un adolescent est en situation de crise, même lorsque ce dernier n’a pas à être hospitalisé.

« Je n’en voulais pas au système, j’en voulais au fait qu’il n’assurait pas ma sécurité. »

Réseaux de services

Les interactions qu’ont eues 12 jeunes et leur famille avec les réseaux de services ont grandement influencé leur bien-être. La présente section étudiera ces réseaux, leurs recoupements et leur influence sur les jeunes et leur famille.

Principales conclusions

  • Les jeunes n’ont pas bénéficié de soins de qualité, complets et attentifs, axés sur la préservation de la famille.
  • Les rôles, les relations et les structures de communication au sein du système de protection de l’enfance ne sont pas clairement définis.
  • Il existe un manque apparent de transparence et un mauvais échange de renseignements entre les sociétés, les foyers et les autres services à l’enfance et à la famille.
  • Les services étaient souvent mal intégrés à la communauté (p. ex., écoles, programmes culturels, loisirs communautaires et services de soutien et de traitement locaux).
  • L’accès aux lits en établissement ou en centre de traitement pour enfants et leur disponibilité varie, et la signification de « lit » est floue.
  • Le coût total des soins offerts aux jeunes dans le système de protection de l’enfance ne peut être évalué avec précision, car les données ne sont pas centralisées.
  • Les réseaux de services auxquels ont eu affaire les jeunes n’étaient pas axés sur la préservation de la famille.

Résumé des observations

Intégration des réseaux de services

Le Comité juge que les rôles, les relations et les structures de communication entre les divers organismes d’aide et secteurs (p. ex., protection de l’enfance et santé mentale communautaire) ne sont pas clairement définis.

Un flou entourait également les structures de surveillance. Le personnel des établissements et les travailleurs des sociétés semblaient avoir une compréhension limitée des initiatives du MSESC en cours.

Il semblait y avoir un manque de transparence et un mauvais échange de renseignements entre les sociétés et les fournisseurs de soins aux enfants en foyer ou en établissement, particulièrement les ressources externes rémunérées (dont beaucoup sont des entités à but lucratif). Les travailleurs des sociétés et le personnel des établissements ont expliqué que comme il n’existe aucun processus officiel d’échange de renseignements entre les sociétés et les établissements, le personnel de première ligne n’a pas toujours accès à certains renseignements importants sur les jeunes, comme les résultats de leurs évaluations et les particularités de leur milieu sociohistorique; cela peut nuire à la qualité des soins offerts. Le Comité a noté que l’échange de renseignements sur la disponibilité et la qualité des établissements était limité, et que les sociétés avaient un accès variable aux lits en établissement ou en centre de traitement. Même si des protocoles de service interagence sont en place, l’échange de renseignements et la communication semblaient toujours poser problème lorsque plusieurs sociétés s’occupaient des mêmes enfants et familles.

Le Comité a noté que dans certains cas, des questions de compétence entre les sociétés et les autres organismes œuvrant auprès des enfants et des jeunes empêchaient ces derniers d’accéder aux services dont ils avaient besoin ou à des soins de qualité. Le Comité est d’avis que le principe de Jordan devrait s’appliquer dans tous les cas où des limites de compétences ralentissent la prestation des services ou nuisent aux soins prodigués à un jeune.

Les autres organismes de la communauté considéraient que les sociétés avaient la capacité de fournir des services de prévention et de protection ainsi que des soins aux jeunes et à leur famille. Certaines sociétés s’efforçaient d’offrir un éventail de services ne se limitant pas à la protection des enfants (p. ex., services de prévention), et d’autres, non. Quelques sociétés offrent officiellement une gamme de services; on les appelle « organismes multiservices ». Le Comité juge qu’un même organisme ne devrait pas avoir à fournir à la fois des services de prévention et de protection. Toutefois, les services à l’enfance et à la famille offerts dans nombre de collectivités sont fragmentés, ce qui rend difficile toute intervention complète et crée une lacune que certaines sociétés s’efforcent de combler.

Les rôles des services de protection de l’enfance, des hôpitaux, des services communautaires de santé mentale et des programmes de traitement en milieu fermé ne semblaient pas clairement définis, et un flou entourait leurs recoupements lorsqu’ils servaient les mêmes jeunes et familles. Les services étaient souvent mal intégrés à la communauté (p. ex., écoles, programmes culturels, loisirs communautaires et services de soutien et de traitement locaux); la mise en place d’une équipe multidisciplinaire qui discuterait des recoupements entre les services offerts à une personne, à une famille ou à une communauté pourrait aider à régler ce problème.

Si l’intégration des services était insuffisante dans certaines régions, bien des collectivités des Premières Nations éloignées n’avaient tout simplement pas accès aux ressources et aux services dont elles avaient besoin. Le Comité a remarqué que lorsque les sociétés constituent le seul fournisseur de services d’une collectivité, les familles qui ont besoin d’aide se tournent souvent vers elles. L’absence d’autres fournisseurs dans ces collectivités contribue probablement à la surreprésentation des jeunes autochtones dans le système de protection de l’enfance.

Les coûts du soutien aux jeunes dans le système de protection de l’enfance, en particulier des placements dans les ressources externes rémunérées, ne sont pas répertoriés au même endroit. Le Comité a proposé de consigner ces renseignements (y compris les prix quotidiens pour chaque jeune, les ententes de taux spéciaux et les heures travaillées par le personnel) pour réaliser une analyse des coûts et comparer le modèle actuel avec un modèle holistique, intégré et axé sur la communauté.

Expériences du réseau de services

Le Comité a remarqué que les jeunes n’ont pas bénéficié de soins de qualité de la part des services utilisés. Certains hôpitaux, préposés à la protection de l’enfance, fournisseurs de soins, membres du personnel et certaines écoles ont fourni des soins de façon inconsidérée et inattentive. Bien des jeunes n’étaient pas toujours traités avec considération et respect et ne recevaient pas un niveau fondamental de soins de la part de beaucoup des fournisseurs avec lesquels ils ont interagi. Certains ont passé des mois sans éducation, subi de nombreux placements effectués sans aucune considération apparente pour leur caractère approprié, et vécu dans des milieux qui n’étaient ni enrichissants ni constructifs.

Les jeunes ont indiqué avoir reçu des soins plus axés sur la punition que sur la correction, qui ne valorisaient pas les forces, les solutions et les progrès. Ils estiment que les services et le soutien n’étaient pas personnalisés et ne tenaient pas compte de leurs besoins individuels : tous les adolescents ayant des antécédents familiaux ou des diagnostics semblables étaient traités de la même façon. Ils ont mentionné avoir eu peu d’occasions de se réjouir à l’idée de prendre part à des activités positives (p. ex., événements musicaux ou sportifs).

Le personnel des établissements a suggéré qu’il faudrait offrir davantage de soutien aux jeunes faisant la transition vers la vie autonome ou les services aux adultes. Il a souligné l’importance d’adopter une approche progressive, qui nécessiterait la collaboration des secteurs de services à l’enfance et aux adultes.

Les jeunes qui avaient vécu cette transition partageaient cette impression. Un adolescent a indiqué avoir dû vivre en semi-autonomie à cause de son âge, sans toutefois se sentir prêt pour ce niveau d’indépendance. Après la sortie du système de protection, les jeunes ne recevaient plus de visites de leurs travailleurs sociaux, et aucun suivi n’était effectué. Quelques jeunes autochtones ont indiqué avoir été simplement « renvoyés chez eux ». Lorsqu’ils étaient dans le système, ils bénéficiaient entre autres d’une allocation vestimentaire, mais à 16 ans, on les « mettait à la porte ».

Le Comité juge que les réseaux de services avec lesquels les 12 jeunes ont interagi n’accordaient pas assez d’importance à la préservation de la famille. Les familles recevaient rarement du soutien avant que leur enfant ne leur soit enlevé, et les dossiers n’indiquent pas que les travailleurs des sociétés, le personnel des établissements et les fournisseurs de soins facilitaient ou encourageaient la communication entre les jeunes et leur famille après la prise en charge. Beaucoup de familles ont indiqué que les sociétés d’aide à l’enfance et les sociétés autochtones de bien-être de l’enfance communiquaient avec elles de façon sporadique, et qu’elles n’étaient pas au courant du plan de soins de leur enfant ou de son bien-être en général. Des représentants de quatre collectivités ont indiqué qu’il fallait offrir un soutien structuré et durable aux familles et aux communautés, avant et après la prise en charge.

Les jeunes ont souligné les problèmes de communication entre les sociétés et les parents et familles. Ils estimaient que les parents biologiques auraient dû pouvoir visiter plus souvent leurs enfants. On dit aux parents que leurs enfants leur seront rendus, mais ce n’est souvent pas ce qui arrive.

Les jeunes autochtones du Nord de l’Ontario ont expliqué que les réseaux de services aux familles ne répondent pas aux besoins de ces dernières et estiment que les méthodes de soins traditionnelles seraient plus efficaces. Un participant a fait remarquer : « Nous savons que quand les gens sentent qu’ils appartiennent à une communauté, ils obtiennent de meilleurs résultats ».

Les jeunes ont souligné le besoin de mettre en place un processus d’aide aux jeunes autochtones axé sur les méthodes traditionnelles. Ils ont précisé : « ne colonisez pas le processus ni les solutions ». Ils ont également noté que les gouvernements et les autres services sociaux devraient faire participer les jeunes aux initiatives touchant la communauté, depuis l’élaboration et la planification jusqu’à la mise en œuvre.

Occasions d’amélioration

  • Le MSESC, les sociétés d’aide à l’enfance ou les sociétés autochtones de bien-être de l’enfance et les établissements devraient collaborer davantage et échanger plus de renseignements.
  • Les systèmes communautaires devraient être intégrés et comprendre des services de santé, de santé mentale et de bien-être, d’éducation, de loisirs, de garde d’enfants, de santé mentale chez les enfants et d’intervention précoce, et des services aux personnes ayant une déficience intellectuelle ou aux autres personnes ayant des besoins particuliers. La formation d’une équipe multidisciplinaire avec un responsable désigné pourrait permettre d’atteindre cet objectif.
  • Le principe de Jordan devrait s’appliquer dans tous les cas où les limites de compétences ralentissent la prestation des services ou nuisent aux soins prodigués à un jeune.
  • Un modèle de services holistique, intégré et axé sur la prévention et la préservation de la famille devrait être offert aux enfants et aux familles.
  • Les jeunes devraient avoir accès à des ressources après leur sortie du système.
  • Les approches autochtones traditionnelles devraient être intégrées aux services à l’enfance et à la famille, car elles sont mieux adaptées aux besoins des familles autochtones de l’Ontario.
  • Lorsque les gouvernements ou les services sociaux entreprennent des initiatives auprès des communautés autochtones, ils devraient faire participer les jeunes tout au long du processus. Après avoir formulé des commentaires sur l’initiative, les jeunes devraient être régulièrement informés des progrès effectués et du statut du projet.
  • Les jeunes pris en charge devraient avoir l’occasion de participer à davantage d’activités positives (p. ex., événements musicaux ou sportifs).
  • Les services et le soutien offerts aux jeunes devraient être personnalisés et adaptés aux forces et aux besoins individuels.

« Lorsque les enfants sortent [du système de protection de l’enfance], ils se suicident ou consomment des drogues. Ce n’est pas leur faute ni celle des travailleurs; c’est la faute du système. »

Surveillance du système

La présente section résume les observations du Comité sur la surveillance et les responsabilités en ce qui a trait aux soins fournis aux 12 jeunes.

Principales conclusions

  • Certains jeunes sont placés dans des foyers qui n’ont pas été inspectés par le MSESC.
  • Même si certains termes reviennent souvent (p. ex., foyer de groupe, foyer avec rotation de personnel, établissement de traitement, etc.), il n’existe pas de définition claire des différents types de foyers pour enfants; il est donc difficile de les distinguer les uns des autres et de connaître les services particuliers qu’ils offrent.
  • L’agrément peut aider à assurer la conformité de l’établissement aux normes, mais aucun processus de surveillance de la qualité des soins prodigués aux jeunes n’est en place.
  • Il n’existe aucune norme minimale en matière d’éducation ou de compétences préalables pour le personnel des foyers pour enfants.
  • La formation offerte aux parents d’accueil et aux fournisseurs de soins ne semble pas être mise à jour régulièrement en fonction de l’évolution des besoins des jeunes pris en charge (p. ex., en ce qui a trait à la santé mentale, à la consommation de substances, aux troubles du développement, au trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, à la traite de personnes, aux médias sociaux et à l’utilisation d’Internet chez les jeunes).
  • Il n’existe aucun mécanisme de surveillance et de suivi de la durée d’hébergement des jeunes ou du nombre de placements effectués.
  • Les dossiers et les documents étaient fragmentés et les renseignements, lacunaires : ils révélaient des divergences entre les agences et les définitions, et le recours aux différents services restait flou.
  • Les tendances dans les rapports d’incident grave et les autres documents n’ont jamais été analysées à l’échelle provinciale pour trouver des occasions d’amélioration.
  • Les documents ne semblaient pas souligner les forces des jeunes ou donner une idée de leur personnalité.

Résumé des observations

Le Comité a constaté que nombre de foyers, agréés ou non, n’avaient peut-être pas été inspectés par le MSESC, car les exploitants avaient reçu un permis après l’inspection de seulement 10 % de leurs foyers. Parmi les jeunes dont le Comité a examiné le cas, deux vivaient chez des membres de leur famille en vertu d’une entente de soins conformes aux traditions, trois vivaient dans des foyers gérés par une agence qui n’avaient pas été inspectés par le MSESC, un vivait dans un foyer avec rotation de personnel non agréé, et six vivaient dans des foyers agréés, dont des foyers de groupe, des établissements de traitement et des foyers avec rotation de personnel.

Les termes employés pour désigner les différents types d’établissements étaient très variés, ce qui a entraîné une grande confusion. Le Comité a remarqué que les termes « foyer de groupe », « foyer de type familial », « foyer avec rotation de personnel », « foyer géré par une agence » et « famille d’accueil avec traitement » étaient fréquemment employés par les services de protection de l’enfance et les services en établissement pour enfants. Le Comité comme les travailleurs des sociétés les jugeaient trompeurs, parce que ces types de foyers pouvaient ou non présenter des différences. Par exemple, les foyers avec rotation de personnel et les foyers de groupe emploient tous deux du personnel en rotation afin de prendre soin des jeunes. Les travailleurs des sociétés responsables de placer les jeunes ont expliqué qu’en raison du manque de clarté des termes, ils ne comprenaient pas toujours parfaitement les particularités des établissements ni les différences entre les divers types d’environnement et ne savaient pas toujours si les foyers étaient agréés ou non. Par exemple, les travailleurs présument souvent qu’une famille d’accueil avec traitement gérée par une société qui n’offre que deux lits est agréée, mais ce n’est pas le cas. Les foyers gérés par une agence ont entraîné une confusion toute particulière : les travailleurs ne comprenaient pas les exigences d’agrément, et lorsque le Comité a tenté d’obtenir des précisions du MSESC, il a reçu une réponse floue. Il en a donc conclu que ce type de foyer se trouve dans une zone grise, où les exigences d’agrément et les obligations redditionnelles ne sont pas claires. Le Comité n’a pu déterminer en quoi consistait le processus d’agrément pour les sociétés d’aide à l’enfance et les sociétés autochtones de bien-être de l’enfance, s’il en existe un.

Les travailleurs ne comprenaient pas bien quels facteurs déterminaient l’octroi d’un permis aux établissements agréés. Pour ce qui est des foyers ayant obtenu un permis provisoire du MSESC, les travailleurs des sociétés ont indiqué ne pas savoir quels problèmes de conformité avaient empêché la délivrance d’un permis sans restriction. Ces éléments compliquent le choix d’un établissement répondant aux besoins respectifs des jeunes; une transparence accrue du processus d’agrément serait souhaitable. En révisant les documents d’agrément, le Comité a constaté qu’après la délivrance d’un permis provisoire à un foyer pour enfants, certains problèmes de sécurité ou de qualité des soins peuvent persister.

Certains membres du personnel des établissements remettent en question l’approche du MSESC en matière d’agrément; selon eux, cette approche devrait être axée sur la collaboration plutôt que sur la punition et la conformité. Lorsque les employés du MSESC inspectent un foyer pour enfants, ils doivent mener des entrevues avec les jeunes qui y vivent. Le personnel des établissements s’est interrogé sur leurs compétences; il estime que ces employés devraient être tenus de suivre une formation sur les traumatismes et le développement de l’enfant avant l’inspection.

Bien que le modèle d’agrément actuel puisse encourager la conformité avec les normes opérationnelles de l’établissement, le Comité a noté qu’il n’existe aucun système de surveillance garantissant un environnement stimulant et des soins de qualité pour les jeunes. Les travailleurs des sociétés et le personnel des placements jugent qu’il faut élever et uniformiser les normes des foyers pour enfants, et les adapter à la diversité des ressources et des pratiques à travers la province. Le Comité est aussi d’avis qu’il faudrait établir des normes de qualité des soins.

Le Comité a remarqué qu’il n’existe aucune norme minimale en matière d’éducation ou de compétences préalables pour le personnel des foyers pour enfants, et que les parents d’accueil et les fournisseurs de soins ne suivent pas tous la même formation pour leur permettre de répondre aux besoins complexes des jeunes (y compris en ce qui a trait à la santé mentale, à la consommation de substances, aux troubles du développement, au trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, à la traite de personnes, aux médias sociaux et à l’utilisation d’Internet chez les jeunes).

Il n’existe également aucun mécanisme visant à effectuer la surveillance de la durée d’hébergement des jeunes ou du nombre de placements effectués, données qui pourraient constituer des indicateurs de l’expérience et du bien-être des jeunes. 

Le Comité estime que tous les jeunes pris en charge méritent le même degré d’examen et de transparence de la part de tous les organismes de surveillance. L’examen d’un enfant confié aux soins d’une société de façon prolongée (auparavant pupille de la Couronne) se veut un moyen de surveiller la qualité; toutefois, le Comité a constaté que dans certains cas, les examens ne parvenaient pas à définir les problèmes en matière de soins offerts aux jeunes. Comme les 12 jeunes n’étaient pas tous confiés aux soins d’une société de façon prolongée, le Comité n’avait pas toujours accès à des renseignements exhaustifs. De plus, les jeunes recevant des soins conformes aux traditions à long terme ne subissent pas ce type d’examen, qui permettrait de surveiller la qualité des soins offerts aux jeunes autochtones en particulier.

Le Comité a également souligné la nécessité de mettre en place des systèmes de surveillance adaptés à la culture qui sont élaborés par les communautés autochtones et tiennent compte des obstacles structurels (p. ex., manque de fonds et de ressources, infrastructures et logements inadéquats).

Dans le cadre du travail effectué par le Comité, un examen approfondi de la documentation liée aux 12 jeunes a été effectué. Le Comité s’est demandé quels étaient les objectifs de certains documents (p. ex., rapports d’incident et d’incident grave), et si on s’en servait efficacement. Le MSESC n’avait visiblement pas effectué un suivi des tendances en matière d’incidents graves à l’échelle provinciale, ce qui aurait permis de repérer les problèmes liés aux soins et les points à améliorer. Toutefois, des travaux sont en cours afin d’évaluer le risque d’après les données figurant dans les rapports d’incident grave.

Le Comité a constaté que les dossiers et les documents étaient fragmentés et les renseignements, lacunaires : ils révélaient des divergences entre les agences et les définitions, et le recours aux différents services restait flou. La consignation des incidents n’était pas uniforme, et dans certains cas, elle était bâclée. Certaines sections avaient été copiées et collées, parfois dans le dossier d’un autre jeune. Dans certains cas, les documents étaient tout simplement inexistants; il devenait alors difficile d’appréhender la situation dans son ensemble ou de connaître l’état de bien-être du jeune.

Les jeunes ont parlé du manque de documentation; ils avaient l’impression que cette lacune empêchait le signalement des difficultés liées aux soins qu’ils recevaient, ce qui est possiblement le cas. Lorsque les exploitants de plusieurs foyers effectuaient un rapport, l’adresse indiquée était souvent celle du bureau principal; le lecteur n’avait donc aucune idée de l’endroit où vivait vraiment le jeune. Les foyers non agréés, y compris les foyers gérés par une agence, n’ont pas à remettre des rapports d’incident grave au MSESC. Le Comité a également constaté que beaucoup de dossiers et de documents ne donnaient pas l’impression que le personnel ou les exploitants adoptaient une approche mettant en valeur les forces des jeunes; au contraire, ces derniers étaient souvent qualifiés de « difficiles ». Les jeunes ont confirmé cette impression en expliquant que les rapports d’incident grave amenaient le personnel à entretenir une perception négative d’eux.

Les jeunes ont suggéré que les employés des foyers de groupe ne prennent pas connaissance des rapports d’incident grave avant d’avoir passé du temps avec chacun des jeunes, pour qu’ils puissent se forger leur propre opinion au lieu de se fier à celle des autres. Avant d’avoir appris à connaître les jeunes, les nouveaux employés devraient seulement être informés des problèmes de sécurité. Les rapports d’incident grave sont unilatéraux et tendent à montrer que le personnel a fait tout ce qu’il pouvait; le contexte et la situation du jeune sont parfois laissés de côté.

Occasions d’amélioration

  • Les nouveaux employés des foyers pour enfants ne devraient prendre connaissance des rapports d’incident grave qu’après avoir passé du temps avec chacun des jeunes et s’être forgé leur propre opinion. Ils ne devraient avoir accès qu’aux renseignements nécessaires pour assurer leur sécurité ainsi que celle des jeunes et des autres membres du personnel ou visiteurs.
  • Tous les jeunes devraient bénéficier d’un examen équitable des soins qui leur sont prodigués et du même degré de transparence de la part des organismes de surveillance.
  • Des structures de surveillance adaptées à la culture qui tiennent compte des obstacles structurels aux soins devraient être mises en place; celles qui touchent les foyers autochtones devraient être élaborées par les communautés autochtones.
  • Des normes quantifiables devraient être mises en place dans les foyers pour enfants afin que le personnel, les exploitants et les organismes de surveillance puissent comprendre ce qu’on attend d’eux et savoir s’ils répondent aux attentes.
  • Les travailleurs des sociétés ont recommandé qu’on élève les normes minimales dans les foyers pour enfants; toutefois, elles devraient tenir compte de la diversité des ressources et des pratiques dans la province.
  • Les travailleurs des sociétés ont conseillé qu’il y ait davantage de transparence en ce qui a trait à l’agrément, pour qu’ils puissent connaître les problèmes de conformité d’un foyer énoncés lors de l’examen des permis avant de placer un jeune.
  • Le personnel des établissements a recommandé que les représentants du Ministère responsables des entrevues avec les jeunes suivent une formation sur les traumatismes et le développement de l’enfant avant l’inspection.

« Vivre dans le système a été pour moi une expérience traumatisante – qui en est responsable? »


Notes en bas de page

  • note de bas de page[1] Retour au paragraphe Voir « Huit vies autochtones » à la page 34 pour d’autres renseignements sur les traumatismes intergénérationnels.
  • note de bas de page[2] Retour au paragraphe Selon les dispositions législatives sur les peines d’emprisonnement au Canada, les principes de l’arrêt Gladue exigent qu’un juge porte une attention particulière aux origines d’un contrevenant autochtone et envisage des solutions de rechange raisonnables à l’incarcération.
  • note de bas de page[3] Retour au paragraphe Gouvernement du Canada. Définition du principe de Jordan par le Tribunal canadien des droits de la personne, [en ligne], 2018.
  • note de bas de page[4] Retour au paragraphe Comme ces expériences ont toutes été déclarées dans une même zone géographique, l’ancien ministère des Services à l’enfance en a été informé. Puisque les incidents se sont produits dans le passé et que l’identité des fournisseurs de soins n’a pas été révélée au Bureau du coroner en chef, ils n’ont pas été déclarés à une société d’aide à l’enfance.